Derrida
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de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, ses livres                     Derrida, ses livres
Sources (*) : Derrida, la confession               Derrida, la confession
Jacques Derrida - "Circonfession", Ed : Seuil, 1991,

"Circonfession" (Jacques Derrida,1991) [Circonfession]

   
   
   
                 
                       

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Ce texte a été rédigé entre janvier 1989 et avril 1990, au moment de l'agonie de sa mère, et deux ans avant la première version du Monolinguisme de l'autre. Jacques Derrida avait 59 ans. Le texte est composé de 59 bandes d'écriture, chacune étant constituée d'une seule phrase, une par année de vie, qu'il appelle des "périodes ou périphrases". Elles courent au bas de la page, formant 59 anneaux successifs qui sont aussi 59 blessures, 59 reprises du prépuce circoncis. Dans le tapuscrit, chacun des cycles est réglé selon un corps Macintosh. Jacques Derrida s'est servi d'un programme qui lui indiquait la fin d'un paragraphe au bout d'environ 25 lignes. C'est une règle dont il dit qu'il ne l'a pas choisie, mais qu'il l'a suivie docilement (Papier Machine p155). Il est à noter que 59 est un nombre premier. C'est aussi le nombre de chapitres du roman de Faulkner, Tandis que j'agonise, et le nombre de vers prononcés par le Ghost dans l'oreille d'Hamlet (Acte 1, scène 5).

S'agit-il d'un texte autobiographique? C'est l'impression qu'il donne à première lecture, mais il tient à relativiser cette impression. Son statut, dit-il en 2002 lors d'un dialogue improvisé (dans Epoché and Faith, pp29-30), reste en suspens. Le texte ressemble à une confession autour de la circoncision - mais une telle confession est à la fois possible et impossible, et ce n'est pas cela qu'il signe en son nom, dit-il. Lui-même ne sait pas qui parle, il ne sait pas qui prie dans ce texte, ni à qui il s'adresse, ni ce qui se dit en secret.

Selon une méthode qui lui est habituelle, il commente et cite un autre texte, parallèle au sien : les Confessions de Saint Augustin. Mais ici, en plus, il se cite lui-même en utilisant des extraits de certains "carnets" non publiés écrits entre 1976 et 1984. A ces carnets, il avait à l'époque donné le titre de Livre de la circoncision (ou Livre d'Elie), et c'est sur ce sujet qu'il revient, la circoncision, la sienne. Et en outre, Circonfession est présenté en contre-point d'un autre texte écrit par Geoffroy Bennington, qui porte un autre titre, la Derridabase. Autant la Derridabase de G.B., en tant que machine logique, grammaire ou subjectivité absolue, est prévisible, autant Circonfession de J.D. est imprévisible et singulier. Ce texte étonnant occupe un peu moins du tiers inférieur de chaque page. On peut le considérer comme une très longue note - footnote en anglais (en hébreu, le mot pied (רגל) est un euphémisme pour pénis). Il y a 292 pages.

Nom : Derrida. Prénom Jacky ou Jacques (ou encore Jacob). Prénom hébraïque : Elie. Il se confesse ou plutôt se circonfesse, car c'est sa circoncision qui se rappelle à lui. Etrange circoncision survenue lorsqu'il avait 8 jours, dont il ne peut avoir aucun souvenir, qui revient dans ses concepts (comme différance ou auto-affection), qui lui sert d'écran, d'écrin et se rappelle à lui dans quelques fantasmes en rapport avec sa mère mourante : autofellocirconcision. Il évoque sa circoncision sans la raconter, au bord de ses lèvres. Depuis qu'il écrit, n'a-t-il pas parlé que de ça?

Dans une circoncision, un anneau de peau est jeté, enterré dans le sable (le prépuce). C'est une bague, une alliance. Même rompue, elle subsiste à travers une autre langue, une autre syntaxe, une autre alliance. Même s'il n'a pas transmis la religion juive, même si ses fils sont incirconcis, il a donné à son oeuvre une forme circoncise qui lui survivra. La filiation qui se termine avec lui trouvera son chemin dans une écriture qui coupe comme une lame, dans le langage et aussi dans la vie, hors langage. Il faut que l'oeuvre se cicatrise, qu'elle durcisse et pourtant reste une plaie ouverte qui continue à saigner. C'est la surabondance qui la rend belle.

On peut avoir rompu, depuis la naissance, avec les pratiques juives sans rompre avec l'eschatologie. Il suffit d'aimer cet autre qui est absent, de réinventer une nouvelle circoncision qui ne soit pas instituée par le père, mais pour la mère, dans une opération d'auto-chirurgie où l'on se porte soi-même, opération impossible d'une auto-déchirure par laquelle il devient possible de mêler sa voix à celle des quatre rabbins du Pardès (l'Eden, autre nom du jardin de son enfance), en habitant ce qui reste de judaïsme.

La circoncision peut être lue comme un meurtre d'enfant. Derrida s'interroge autour d'elle sur ses frères ou cousins morts autour de lui : Moïse (dont il est presque le jumeau), Pinhas, Jean-Pierre. La mort l'environne. Il hérite de morts, il leur survit mais pleure déjà sa propre disparition. L'on ne peut hériter de lui que s'il se donne la mort.

Dans Circonfession, Derrida se cite. Plus tard, il profèrera ce texte et le citera, par exemple dans la clôture du film D'ailleurs Derrida dont il est le thème, ou dans Tourner les mots où il commente le film. A chaque fois des écarts, des déplacements. Dans l'impossibilité de dire "Moi, ici, je signe", il laisse sa marque.

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Par la signature conjointe de Jacques Derrida avec l'un(e) de ses élèves et la juxtaposition des deux textes, on peut comparer ce texte avec La Contre-allée, texte signé avec Catherine Malabou et paru en 1999. Dans les deux cas, c'est le maître qui lit le texte de l'élève et y réagit à sa façon (autobiographique). Cette inversion est illustrée par une photographie insérée dans le livre (p15, voir ici), qui reprend une autre inversion du rapport entre Socrate et Platon datée du 13ème siècle (voir ici). Mais tandis que Geoffroy Bennington, dans sa Derridabase, ne cite jamais le texte de Derrida, Catherine Malabou, dans son Ecartement des voies, le citera abondamment - un choix qui répond peut-être aux reproches faits par Derrida lui-même.

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Jacques Derrida a proféré, pour la Bibliothèque des voix d'Antoinette Fouque, le texte complet de Circonfession. Cette lecture a été publiée en DVD, précédée d'une introduction, elle aussi lue par Derrida lui-même. C'est sa deuxième intervention dans ce cadre "vocal", après Feu la cendre (1987).

 

 

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Formulations à partir de ce texte (les têtes de chapitre sont entre crochets) :

 

"Je suis le dernier des eschatologistes"

Ce qui fait oeuvre, c'est que les regards des lecteurs/spectateurs ne se croisent pas

Décloisonner, c'est rouvrir la plaie de ma circoncision, cette scission sublime

Je me recueille dans la plaie de la circoncision qui éponge sans fin le sang qu'elle exprime

Ce qui se passe dans la circoncision se fait hors langage

L'oeuvre est un chaos de lave rouge qui durcit, sauf à ne pas coaguler

Une ruine devient belle après le passage d'une crue, d'une surabondance qu'elle a emmurée

Pour parler du nom de Dieu, il faut inventer une autre langue et une autre syntaxe

Et s'il y avait dans la circoncision un désir inhibé de meurtre d'enfant?

L'ordinateur porte la menace d'une autre subjectivité absolue, d'un cloisonnement entre deux mondes

Jacques Derrida réactive indéfiniment l'effet de circoncision : il mêle sa voix à celles des quatre rabbins du Pardès

Aucun programme, aucune machine logique ou textuelle ne fermera la veine qui laisse sa chance à l'événement

Nos tâches : refonder les religions en s'en jouant, réinventer la circoncision, recirconcire ce qui se décirconcit, déjouer la réappropriation des langages par un Dieu-Un

La circoncision est un épanchement sanguin strictement cautérisé, coagulé, cicatrisé

La circoncision, cette coupure du pourtour, est instituée par et pour la mère

La circoncision, castration simulée, coupe sans retrancher; du point sur le (i), elle fait un élément prononçable

J'ai passé ma vie à enseigner pour enfin revenir à ce qui mêle au sang la prière et les larmes

Dans l'"autofellocirconcision" derridienne, le propre se reconnaît comme frappé d'exappropriation

L'écriture est un intense rapport à la survivance, non par désir qu'après moi quelque chose reste, mais par jouissance, ici et maintenant, de la vérité du monde en mon absence radicale

Le pire, pour Derrida, le plus épouvantable, aurait été qu'on le laisse tomber, sans nom, pendant "sa" circoncision, qu'il soit laissé forclos, sanglant, impossible à citer

Que peuvent dire les mots? Juste l'impossibilité de dire : "Moi, ici, je signe"

Pour qu'elles me survivent, il faut que les choses soient imprévisibles

Un texte circoncis se passe du corps et de sa part incirconcise - il évite les citations qui seraient des incorporations

Mon sexe, je ne peux le décrire qu'à travers des millénaires de judaïsme, alliance rompue sur tous les plans

J'ai perdu l'anneau de mon père, cette partie de moi dont le secret est jeté dehors, dans le pli d'un retour sur soi, d'un nouveau départ décisif pour l'alliance

Circoncision, je n'ai jamais parlé que de ça : limites, marges, marques, clôture, anneau, alliance, don, sacrifice, écriture du corps, pharmakos, coupure, ...

Circoncision est le désir de vivre sans avoir besoin d'écrire : aimer la vie

La circoncision est double, entre celle qui élève, enveloppe et pétrifie et celle qui fait passer la fine lame d'un couteau d'écriture

Jacques Derrida a reçu le nom hébraïque d'Elie : signe d'élection, don caché, appel silencieux d'un prophète qui, à chaque circoncision, rappelle l'alliance

"J'ai dû me porter moi-même lors de ma circoncision" : pour qui sait lire, cela s'écrit dans la différance

Ce qui se rappelle à moi sans avoir eu lieu, je l'appelle circoncision

"La constance de Dieu dans ma vie s'appelle d'autres noms, si bien que je passe à juste titre pour athée"

Ecrire sans croire à sa propre survie, c'est écrire pour un présent qui n'est fait que du retour sur soi de cette survie déniée

"J'ai fait de l'eschaton le bord des lèvres de ma vérité"

Du jour de sa naissance, l'enfant n'appartient plus à sa famille; coupure ou cicatrice, c'est l'eschatologie de la circoncision

Fantasme de Jacques Derrida : "Je suis déjà dans la mémoire de ceux qui me survivent, assistent à ma disparition et pleurent"

Pour qu'on puisse hériter de mes écrits, il faut d'abord que je me donne la mort

Jacques Derrida, né un an après la mort de son frère Paul Moïse, a hérité du talith de son grand-père maternel, Moïse

Il faut à l'oeuvre une forme circoncise : changer de peau, l'arracher, la greffer, la contourner, tenir le désir en arrêt entre deux mouvements au-delà du cercle

A la "survivante éternelle", ce blasphème, ce parjure, cette figure du savoir absolu pour laquelle aucune surprise n'est possible, il faut répondre par l'aveu, la demande de pardon

Ne garder d'une pensée que sa loi de production, c'est la réduire à une grammaire, un théologiciel qui, en cautérisant les plaies et cicatrisant les circoncisions, prive d'avenir

On n'a jamais peint le pénis circoncis du Christ

Le 23 juillet 1989, devant sa mère malade, apparemment guéri d'une paralysie défigurante, Jacques Derrida fait l'aveu en son corps d'une conversion illisible qu'il donne à lire

L'oeuvre derridienne, autobiothanatohétérographique, est la mise en oeuvre de ce qu'il nomme "ma" circoncision

Opération sans sujet, la circoncision produit un écran/écrin sur lequel se lisent les souvenirs et les écrits

Dieu se terre à mort en moi par la violence du vide

Fidèle à un dieu inavouable, irrecevable, pour le meilleur et pour le pire, comme un fils qui ne porterait pas de nom

"Je suis la fin du judaïsme"

J'habite ici ce qui reste de judaïsme

Le modèle quaternaire du discours paradisiaque de la "rationalité" juive (pshat - Remez - Drash - sod), "Je l'ai dans le sang"

Le Dieu derridien : ni témoin, ni voix, ni loi transcendante, ni présence immanente, ce serait une figure féminine de Yhvh qui, sans rien dire, circulerait entre les inavouables

Il faudrait une nouvelle langue, de nouvelles phrases pour une nouvelle circoncision : détacher l'anneau de chair et le passer au doigt de la dame

La circoncision est une alliance hétéronomique

Ecrire un livre est une auto-circoncision, une auto-chirurgie

Mes fils incirconcis sont les seuls dont je redoute le jugement

Un Livre d'Élie (non biblique), signé Jacques Derrida, est resté sous forme de carnets

Jacques Derrida, qui se sent double, est presque le jumeau d'un frère mort

Fantasme de Jacques Derrida : "Ma mère, en signe d'alliance, me circoncit de ses lèvres, et j'éjacule dans sa bouche quand elle avale le prépuce"

"Circonfession" (Jacques Derrida,1991) [Circonfession]

 


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1991_CIRCON

DerridaConfession

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YYA.1991.Derrida.Jacques

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