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Sources (*) : Derrida, le cinéma               Derrida, le cinéma
Jacques Derrida - "Le cinéma et ses fantômes (interview dans les Cahiers du cinéma, avril 2001)", Ed : Cahiers du Cinéma, 2001,

Le cinéma et ses fantômes (Jacques Derrida, 2001) [CahiersCin]

   
   
   
                 
                       

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Le texte publié dans les Cahiers du Cinéma sous le titre Le cinéma et ses fantômes, en avril 2001, est la combinaison de deux entretiens retranscrits et mis en forme par Stéphane Delorme. Le premier a eu lieu le 10 juillet 1998 à Paris, par Antoine de Baecque et Thierry Jousse, et le second le 6 novembre 2000 par Thierry Jousse (11 pages, de la p75 à la p85). Il a été reproduit en 2013 dans "Penser à ne pas voir, Ecrits sur les arts du visibles" (ESAV).

La première interview est à peu près contemporaine du tournage du film D'ailleurs Derrida, de Saafa Fathy, sorti en 1999, et la seconde postérieure à la publication du livre Tourner les mots, au bord d'un film (2000), livre à deux voix qui relate l'expérience du réalisateur et de l'acteur. D'autres commentaires sur ce film prononcés lors d'une conversation à l'INA le 25 juin 2002, ont été publiés sous le titre Trace et archive, image et art. L'ensemble s'inscrit dans une séquence d'environ quatre ans, où Derrida réévalue, dans une certaine mesure, sa conception du cinéma.

Cet entretien, qui mêle les aspects autobiographiques, les expériences vécues et une approche théorique, est le principal témoignage laissé par Derrida sur son rapport complexe au cinéma :

a) D'un côté, le cinéma est marqué par la culture américaine. Utilitaire, manipulateur, tourné vers le rêve ou le divertissement, cet art populaire s'imprime dans le corps et les désirs des spectateurs. Il libère, sans effort, sans sanction ni travail, des engagements et interdits. Propice à toutes les identifications, il procure une jouissance cachée, secrète, infantile. En mettant sur le même plan l'image et la parole, en réitérant, par une reproduction saisissante de la voix et de l'image (un des phénomènes majeurs du XXème siècle), la présence vivante d'un passé irreprésentable, il donne au témoignage valeur de preuve. Aucun art ne peut plus ignorer cette expérience de croyance qui n'a pas de précédent. On peut, avec lui comme avec les autres telé-technologies (télévision, Internet) croire sans croire, laisser venir à soi des souvenirs enfouis ou oubliés, entendre ou voir des archives, des spectres qui se manifestent directement en disant "je", magnifier des moments tragiques ou épiques de l'histoire. Ces effets de reproduction, de virtualisation, ne sont pas dépourvus d'enjeux politiques. Ils donnent crédit, sur un mode religieux ou sensuel, à des images présentées comme authentiques, mais qui ne sont que des artefacs, des fabrications. Cette séduction, souvent érotique, fait oublier le travail du texte.

b) D'un autre côté, l'écriture derridienne est comparable à celle d'un film. Il greffe, il colle, il compose, il monte, il met en scène, en restant toujours attentif à la bande-son (le rythme, la sonorité des mots). Tout cinéma n'est pas déconstructif, mais l'écriture déconstructive aura toujours quelque rapport avec le cinéma, par sa fidélité aux puissances spectrales, sa dramaturgie, son rapport paradoxal à la vérité. Tout film est porteur de la loi filmique qui soutient l'autorité du discours, mais certains films, par les silences, les interruptions, les ellipses, les mots invisibles, résistent à cette loi et entretiennent une demande de déconstruction. Le cinéma fait croire, mais c'est une croyance que rien n'assure. L'image est travaillée au corps par l'invisibilité. Des figures de style comme l'anacoluthe prennent des libertés avec la syntaxe pour sortir des constructions habituelles. Un film n'est pas seulement voix et image, c'est aussi un texte soumis à interprétation et susceptible d'interpréter d'autres textes, et c'est aussi une œuvre qui jette, sacrifie, exclut pour garder le secret. Cet art de masse est aussi celui de la déliaison, de la dissociation, de la solitude absolue du voyeur.

Le cinéma suscite donc chez Derrida une passion ambiguë où un plaisir addictif, avoué, coexiste avec la reconnaissance, largement inavouée, d'une position privilégiée analogue à celle de la littérature. Pour comprendre le cinéma, il faudrait penser ensemble le fantôme et le capital, la trace et la mémoire, le corps vivant et la machinerie. Il pourrait y avoir, malgré tout, une pensée du cinéma qui déborderait l'opposition du mort et du vivant. Le croire sans croire pourrait déboucher sur un deuil sans deuil qui ouvrirait de nouvelles pistes. Comme le montre le film de Claude Lanzmann, Shoah, qui témoigne de l'essence du cinéma en général, de cette trace sans trace (qui est aussi l'essence de la trace), le cinéma peut aussi raconter ce dont on ne revient pas, ce qui ne répond pas.

 

 

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Formulations à partir de ce texte (les têtes de chapitre sont entre crochets) :

 

L'écriture de Derrida est comparable à un film : bande-son jouissive par la composition, le rythme, la narration ou la mise en scène, plus que par l'effet de vérité

Le cinéma est une libération inégalable, un défi aux interdits qui autorise toutes les identifications, sans sanction ni travail

Avec la télévision ou le cinéma, une image survit en disant "Je suis un spectre"; elle produit des effets de reproduction, de virtualisation, qui sont des enjeux politiques

L'archive est appropriation violente, prise de pouvoir, et c'est aussi une interprétation, une oeuvre

La dimension passionnelle du cinéma, indissociable du corps, des émotions, de la sensualité, de l'érotisme - fait oublier le travail du texte

Il y a entre l'écriture déconstructive et le cinéma un lien essentiel : greffer, couper, coller, composer, monter des textes et des citations

On a inventé avec le cinéma, il y a un siècle, une expérience sans précédent de la croyance : la spectralité, qu'aucun art ne peut plus ignorer

A partir du spectre, ni vivant ni mort, sur lequel repose de part en part l'expérience cinématographique, une pensée du cinéma est peut-être possible

La voix n'ajoute pas quelque chose au cinéma, elle "est" le cinéma, non pas reproduite mais chaque fois produite de nouveau

L'enregistrement de la voix est l'un des phénomènes majeurs du 20ème siècle

L'expérience proprement cinématographique résiste à la loi filmique : ne réduisant pas l'image à l'autorité du discours, elle y laisse entendre les mots invisibles qui l'habitent

Il ne faut pas opposer le film-image au livre-texte : un film est aussi texte, et un livre est aussi image - dans les deux cas, l'oeuvre est une interprétation soumise à interprétation

En se faisant, une oeuvre s'endeuille elle-même : il faut jeter, sacrifier, exclure

L'expérience mondiale du cinéma est largement commandée par la culture américaine : utilitaire, manipulatrice, marquée par le rêve, le divertissement, la musique et la danse

Le cinéma, qui est le seul grand art populaire, imprime sur l'écran, dans l'esprit, le corps et le désir des spectateurs, l'immédiateté d'émotions et d'apparitions spectrales

"Shoah", le film de Lanzmann (1985) raconte ce dont on ne revient pas, la mort; en écartant tout document, toute archive, il témoigne de l'essence du cinéma en général

Pour comprendre le cinéma, il faut penser ensemble le fantôme et le capital, ce dernier étant lui-même une chose spectrale

Le cinéma est un travail du deuil où les mémoires endeuillées magnifient les moments tragiques ou épiques de l'histoire

Au cinéma, l'essence de l'image rejoint celle de la parole : une quasi-présentation d'un "lui-même là" du monde dont le passé est irreprésentable

Le paradoxe du cinéma, c'est que cette expérience qui appelle le collectif est absolument solitaire, individuelle : cet art de masse est aussi celui de la déliaison, de la dissociation

En tant que survivance de l'oubli, le cinéma témoigne de la "trace sans trace" : l'essence de la trace

Au cinéma, l'image porte une croyance qui doit être incontestable, mais que rien n'assure; sans l'image, dans la musique, la croyance disparaît

L'évolution technique (ordinateur, Internet, images de synthèse) entretient une demande de déconstruction inégalée

Le cinéma et ses fantômes (Jacques Derrida, 2001) [CahiersCin]

 


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