Derrida
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de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, ses livres                     Derrida, ses livres
Sources (*) :              
Jacques Derrida - "Mémoires d'aveugle, L'autoportrait et autres ruines", Ed : RMN, 1990,

"Mémoires d'aveugle, L'autoportrait et autres ruines" (Jacques Derrida, 1990) [MEDA]

   
   
   
                 
                       

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Table

Ce livre de 130 pages a été rédigé à l'occasion d'une exposition qui s'est tenue au Louvre du 26 octobre 1990 au 21 janvier 1991. Pendant sa préparation, du 22 juin au 5 juillet 1989, Derrida a souffert d'une maladie faciale d'origine virale qui l'a défiguré et a provisoirement privé son oeil gauche de clin d'oeil (pp37-38). Le 11 juillet 1989, il trouve le thème de son exposition (le dessin d'aveugle), qu'il intitule provisoirement "L'ouvre où ne pas voir" [une sorte de lapsus]. Le 16 juillet 1989, il fait un rêve (raconté p23) qui met en scène un vieil aveugle avec lequel il se bat, lequel menace ses fils. La dimension autobiographique permet de rapprocher cet écrit de Circonfession, rédigé en 1989-90. Dans ces deux textes sont évoquées les Confessions de Saint Augustin. Dans ces deux textes, Derrida s'envoie à lui-même une élection secrète, indéchiffrable.

Il commente aussi Freud, Benjamin, des textes bibliques (Tobit, Isaac, Jacob) [non sans rapprocher son propre prénom, Jacques, de Jacob et d'Isaac] ou mythologiques (Le Cyclope, Tirésias, Persée, Dibutade) et différents peintres ou dessinateurs : Rembrandt, Fantin Latour, Greuze et d'autres.

Un entretien a été donné à la revue Beaux Arts Magazine n°85, publié en décembre 1990, autour de cette exposition. Il a été publié en 2013 dans Penser à ne pas voir (Ecrits de Jacques Derrida sur les arts du visible) (cf ESAV).

 

On peut situer ce texte dans la série des écrits de Jacques Derrida qui portent sur la peinture et/ou le dessin (et aussi, indirectement, l'esthétique et l'art) :

- La vérité en peinture (publié en 1978, rédigé notamment à partir d'un séminaire tenu en 1972-73).

- Lecture de Droits de Regards de Plissart, publié en 1985.

- Forcener le subjectile. Préface aux dessins et portraits d'Artaud, publié en 1986.

- Atlan grand format (publié en 2001).

- Artaud Le Moma (publié en 2002).

 

Dès le début du texte, Jacques Derrida insiste sur sa dimension hypothétique. Il s'agit, comme dans d'autres textes, de tester des suppositions, des hypothèses, une démarche, une problématique, mais il s'agit aussi d'autre chose, quelque chose de plus aventureux, une spéculation, une athèse comparable à la spéculation de Freud dans Au-delà du principe de plaisir. Cette thèse sans thèse, cette thèse non thétique, tourne autour d'un mot, le retrait. Dans retrait, il y a trait, et dans tout trait, il y a un retrait : ce pourrait une des formulations de l'hypothèse de la vue, hypothèse qu'il ne serait pas abusif de généraliser à toute oeuvre. Pour voir ou faire une oeuvre, il aura fallu un sacrifice, un retrait.

Partons donc de la ou des hypothèses de la vue. Il y aurait, au commencement de l'image, un temps d'aveuglement, une ruine. Quand le dessinateur trace le premier trait, rien ne lui appartient, il ne voit pas, il se guide avec ses mains, comme l'aveugle. Son dessin se trace en un clin d'oeil, par un frayage, aidé par un ange invisible. Telle est l'hypothèse de la vue : il faut d'abord la perdre et implorer pour qu'elle soit restituée. C'est une catastrophe, un cataclysme. Mais ce temps d'arrêt, ce suspens du regard, est aussi l'événement qui fait la croyance. Lorsque la vue est rendue, c'est avec surabondance et bénédiction.

Le dessin, dans sa pratique courante, n'est pas seulement sacrificiel. Il est aussi transcendantal. Le trait est comme un Dieu invisible, qui doit se retirer pour laisser place à la figure; ou encore il est comme un père qui, devenu aveugle, appréhendant la chute, se retire devant le fils. Il en résulte une filiation toujours menacée de défaillance (quoique non oedipienne), dans laquelle les pères sont en mal de fils. Dans l'image spectrale se réverbèrent aussi d'autres voix, et aussi une rhétorique, un ordre du discours, etc. La vérité du dessin s'ordonne à la dette. En regardant, on écoute, on entend l'injonction, comme dans la peinture chrétienne. Il y a, entre cette athèse derridienne et la théologie négative, une indéniable affinité.

Le propre de l'homme, c'est l'imploration, qu'on retrouve dans certains tableaux de vérité. L'altérité se voit dans le visage nu de l'autoportrait. Un autre regard, dérobé à la vue, conditionne l'oeuvre.

 

 

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Formulations à partir de ce texte (les têtes de chapitre sont entre crochets) :

 

[Les impouvoirs de l'oeil donnent au dessin sa ressource, quasi-transcendantale - que nomment aussi les discours de la théologie négative (retrait du dieu invisible)]

Dans le battement d'un clin d'oeil se trace le trait du dessin, entre la vision et son retrait

Les larmes révèlent que la vérité de l'oeil humain est l'imploration plutôt que la vision

Il y a dans tout dessin d'aveugle un autoportrait du dessin dans son origine, qui spécule sur sa propre possibilité

La lecture, comme le dessin, écoute en regardant

L'autoportrait, comme n'importe quel dessin, paraît toujours dans la réverbération d'une autre voix ou de plusieurs voix, qui en appellent à la mémoire

L'autre du portrait reste irréductible, il résiste à toute intériorisation, subjectivation, idéalisation

Tout dessinateur est aveugle, ou sinon c'est l'opération du dessin ou le dessin lui-même qui compose avec l'invisible

La vision de l'oeuvre est conditionnée par le regard ou la voix d'un autre, spectateur supposé qui est, lui, dérobé à la vue

Avant toute perspective, avant que tout trait soit tracé, un frayage invisible, originaire, hante le dessin, qu'on peut nommer : "aperspective de l'acte graphique"

Une oeuvre est un événement sacrificiel, apocalyptique, qui ruine ce qu'il met en ordre et implore la résurrection de qu'il ruine

Il n'y a pas d'autoportrait; s'il y en avait, il assignerait d'abord sa place au spectateur

Les aveugles sont les êtres de la chute, la manifestation de cela même qui menace l'érection ou la station debout

Pour avoir enseveli les morts, Tobit reçoit en surabondance une bénédiction dont il doit se faire le scribe

A usage privé, le titre de l'"oeuvre derridien" serait : "L'ouvre où ne pas voir"

Les figures de l'aveuglement sont dominées par la filiation père/fils où le père, ayant perdu la vue, se retire devant le fils

En se retirant, le trait du dessin laisse une parole, une rhétorique qui articule un ordre du discours

A l'origine du graphein (écriture ou dessin), il s'agit d'observer la loi, d'ordonner par une archive, par la grâce du trait, la vérité à la dette

Hypothèse de la vue : pour faire et défaire la croyance, il faut un temps d'arrêt, d'aveuglement, de suspens du regard, d'imploration

L'aveugle, comme le dessinateur, se sert des mains pour échapper à l'obscurité, tandis que les prisonniers de la caverne platonicienne font appel aux idées et à la voix

L'essence de l'oeil est le propre de l'homme : par l'imploration, les yeux sont dissociés de leur fonction organique afin de pleurer, déplorer

Au commencement de l'oeuvre, comme de tout autoportrait, il y a la ruine

Il fallait que Derrida fasse son deuil du dessin, qu'il se retire de la visibilité, pour qu'à travers l'aveuglement des pères il s'envoie à lui-même une élection secrète, indéchiffrable

Dans l'acte de tracer, le trait du dessin s'éclipse, se retire; dans ce qu'il sépare ou différencie, rien ne lui appartient, pas même sa propre trace

Un visage nu ne peut pas se regarder dans une glace - une part d'ombre (honte, pudeur ou peur) engage dans la confession, mais tient en respect

Hypothèse de la vue selon Jacques Derrida : "l'homme commence à penser les yeux en les perdant, et alors il implore"

Jacques Derrida, dont le prénom commence comme Jacob et finit comme Isaac, est à la fois le fils élu contre la loi et le père qui, en bénissant ses fils pour les protéger, se retire

Il y a, à l'origine du dessin, deux logiques de l'aveuglement : transcendantale (sa condition de possibilité) et sacrificielle (son économie)

La peinture chrétienne met en oeuvre une allégorie qui, en ordonnant la vision charnelle à la vision divine, convertit le regard

Il fallait qu'Isaac et Jacob soient devenus aveugles pour qu'ils puissent accomplir le dessein de dieu en bénissant par substitution l'autre fils

Tobit voit dans son fils qui lui rend la vue et dans l'ange invisible qui l'a guidé l'origine même de la capacité de voir

Tous les aveugles de l'Ancien Testament (Isaac, Jacob, Eli, Akhiyahou, Tobit) sont en mal de fils

"Mémoires d'aveugle, L'autoportrait et autres ruines" (Jacques Derrida, 1990) [MEDA]

 


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Sources
DerridaBiblio

1990_MEDAAA

YYA.1990.Derrida.JacquesGenre = -