Derrida
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Derrida, ses livres                     Derrida, ses livres
Sources (*) :              
Jacques Derrida - "Béliers. Le dialogue ininterrompu : entre deux infinis, le poème", Ed : Galilée, 2003,

Béliers. Le dialogue ininterrompu : entre deux infinis, le poème (Jacques Derrida, 2003) [Beliers]

   
   
   
                 
                       

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Texte de la conférence que Derrida a prononcée à Heidelberg, le 15 février 2003, à la mémoire de Hans-Georg Gadamer, après sa mort en 2002 à l'âge de 102 ans. Il lui rend hommage en commentant un poème de Paul Celan auquel Gadamer avait consacré un de ses livres. Mais le texte évoque à peine Gadamer, et propose une autre interprétation, toute nouvelle, du poème en question.

Ce livre, y compris l'analyse du poème de Paul Celan et de sa dernière phrase, Die Welt is fort, ich muss dich tragen, peut être considéré comme :

- une introduction à Chaque fois unique, la fin du monde (un livre publié la même année, qui contient 16 hommages à des personnes disparues; Gadamer serait le 17è, si l'"interruption" de ses rapports avec Derrida n'était pas intervenue bien avant sa mort, dès 1981) - comme l'indique Derrida lui-même dans l'avant-propos à ce dernier texte.

- la suite d'un autre texte consacré à Paul Celan près de 20 ans plus tôt, Schibboleth, où il analyse notamment deux poèmes intitulés Tout en un et Schibboleth, et un discours prononcé par Celan en 1960, le Méridien.

- la suite du dialogue avec Gadamer qui avait commencé de manière assez conflictuelle en 1981 par une discussion à l'Institut Goethe de Paris avant de se renouer lors d'une conférence conjointe tenue à Heidelberg, le 5 février 1988. A la mort de Gadamer, Derrida lui a rendu hommage en mars 2002 dans un article intitulé Comme il avait raison ! Mon Cicérone Hans-Georg Gadamer et presque un an plus tard, le 15 février 2003, à Heidelberg de nouveau, il a prononcé cette nouvelle conférence Béliers. On peut noter, pour l'anecdote, que Derrida confondait les deux dates de ses conférences à Heidelberg, car dans sa correspondance privée comme dans l'édition de Béliers, il date par erreur cette dernière du 5 février 2003 (au lieu du 15).

On trouve encore trois autres textes consacrés à la poésie de Paul Celan dans le corpus publié de Jacques Derrida :

- Politique et poétique du témoignage (publié dans le Cahier de l'Herne 2004), où le poème Aschenglorie est analysé,

- les séances VIII et X du séminaire sur La bête et le souverain (Volume 1), où Derrida propose une autre interprétation de la conférence de Celan, Le Méridien.

- la séance X du séminaire sur La bête et le souverain (Volume 2), et aussi d'autres passages du même séminaire.

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On peut lire ce texte en partant de l'interprétation de la dernière strophe, Die Welt ist fort, ich muss dich tragen (Le monde est parti, je dois te porter) du poème de Paul Celan Grosse, Glühende Wölbung (Grande voûte incandescente), publié dans le recueil intitulé Renverse du Souffle (Atemwende) (voir ici une traduction), dont Paul Celan avait offert un exemplaire à Derrida peu avant sa mort, le 20 avril 1970. Dans le cinquième et dernier chapitre de Béliers, Jacques Derrida convoque quatre noms propres : Freud, Husserl, Gadamer, Heidegger, à partir desquels il interroge la question du "sans monde". Si un monde se retire, s'il disparaît, ou encore s'il n'a jamais été là, il faut que je te porte (dit le poème). Et pourquoi le faut-il? Et qui est ce "tu"? Tout en les prenant partiellement à son compte, Derrida récuse l'une après l'autre les problématiques de Freud, Husserl, Gadamer, Heidegger. S'il en choisit une, elle n'est pas citée. Il semble bien que ce soit celle de Lévinas : avant même l'apparition d'un monde, je suis en dette vis-à-vis de l'autre, je dois le porter. Le rapport à l'autre précède l'ontologie - ce qui permet d'expliquer le grand usage qui est fait, dans le poème, des pronoms personnels (je, tu, il).

Les mots "responsabilité", "solitude", ne figurent pas dans le poème, et pourtant ce sont eux qui viennent au premier plan de l'analyse. Un poème n'a plus de monde, il est sans monde - comme un mort. Il reste au lecteur ou à l'endeuillé la responsabilité de porter seul ce monde - ou cette absence ou fin d'un monde, non pas transitoire, mais définitive.

On peut aussi lire ce texte en partant de la définition de l'oeuvre qui est donnée dans le premier chapitre. Dans l'expérience de l'art, ce serait le "subjectum" de l'oeuvre [ce vocable qui est la source étymologique du mot "sujet", mais aussi du mot "subjectile"], qui serait l'autorité souveraine qui exige, ordonne, appelle responsabilité, transformation (p18). En disant "je", le poème affecte le sujet, tout en laissant indéterminée la transformation. La souveraineté du poème ne se traduit pas par une décision, mais par un salut, une bénédiction. Comme toute oeuvre digne de ce nom, le poème porte l'autre comme on porte un enfant, en lui faisant confiance, en lui accordant l'hospitalité. La bénédiction ne peut laisser à l'autre un espace que si elle est elle aussi porteuse d'incertitude. Il faut qu'elle soit donnée, mais il faut aussi qu'elle puisse être retirée, se dérober, se transformer en son contraire. On ne peut pas compter sur elle comme sur quelque chose d'acquis d'avance, et pourtant elle agit. `

Mais Derrida va encore plus loin que cette première analyse. C'est le monde, dans sa totalité, qui est repensé. cf : [En portant le monde de l'autre, sans condition - comme on porte le deuil ou comme on porte un enfant - l'oeuvre conduit à repenser la pensée même du monde].

Une autre dimension du poème Grande voûte incandescente est son rapport à l'animalité. Un bélier surgit en plein milieu. C'est un bélier en colère, révolté, qui refuse qu'Abraham le sacrifie à la place d'Isaac, un bélier qui rejette la logique même du sacrifice. Ce bélier (au pluriel) est choisi par Derrida comme titre de son texte. Animal-symbole hérité de différentes traditions (le zodiaque, l'Ancien Testament), il réinvente ces traditions, se dissémine, s'impose comme la restance d'un événement impossible à restituer, une irruption qui se soustrait à toute interprétation globale. Peut-être le bélier représente-t-il les innombrables traces scellées dans le poème. Il les protège, il les garde. Il faut cette menace, cette violence, ce mouvement de sortie hors du récit canonique et du mythe, pour que la re-pensée du monde ne s'épuise pas.

 

 

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Formulations à partir de ce texte (les têtes de chapitre sont entre crochets) :

 

Une mort n'est pas que la fin d'un monde, c'est la fin "du" monde; il reste à l'endeuillé la responsabilité de porter seul et son monde, et le "sans monde" de l'autre

Pour être fidèle à l'autre disparu, je dois porter en moi son monde sans l'intérioriser ni l'idéaliser, en respectant son altérité singulière : c'est l'éthique même

Dans l'expérience de l'art, c'est l'oeuvre qui, par son "subjectum", est l'autorité souveraine qui exige, ordonne, appelle réponse, responsabilité, transformation

L'oeuvre du poète est une chambre d'échos : le poème réinvente ce dont il hérite, il bénit et dissémine ses semences

Autour d'une bouche parlante, le poème salue l'autre, il le bénit, il le porte

Le poème se produit en disant sa signature, son secret, son sceau, de façon auto-déictique ou performative

Le poème, qui survit dans la solitude, se confie à la garde d'un autre qu'aucun monde ne peut plus soutenir, un autre responsable mais lui aussi absolument solitaire

La "trace à l'oeuvre", ou la "trace comme oeuvre" : telle est la loi du poème qui entraîne toujours vers une toute autre lecture, une contre-lecture

Dès lors que "je dois" te porter, aucun monde ne peut plus nous soutenir, servir de sol, de terre, de fondement ou d'alibi

Quand un monde disparaît, ou quand il se retire, ou avant même qu'il ne soit apparu - je dois m'engager envers toi, cet autre, te porter

Avant l'être, avant d'être moi, une injonction m'oblige à te porter; je suis seul à devoir traduire cet engagement envers l'autre, cette loi universelle

"Il n'y a plus de monde, je dois te porter" : c'est l'expérience la plus folle de la phénoménologie transcendantale la plus pure

Dans une oeuvre poétique, un reste ou un excédent irréductible se soustrait à tout rassemblement herméneutique

Jamais une bénédiction n'est acquise d'avance; on ne peut pas compter sur elle, elle reste toujours improbable, retenue

Béliers. Le dialogue ininterrompu : entre deux infinis, le poème (Jacques Derrida, 2003) [Beliers]

 


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Sources
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2004_BELIER

YYA.2003.Derrida.Jacques

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