Derrida
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TABLE des MATIERES :

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 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Ecrire dans la mouvance derridienne                     Ecrire dans la mouvance derridienne
Sources (*) : Essai sur l'inscription du hors - livre               Essai sur l'inscription du hors - livre
Pierre Delain - "En ce moment même j'écris, dans l'obscurité orlovienne", Ed : Guilgal, 2048, Page créée le 23 janvier 2006 Orlolivre : comment ne pas écrire?

[La mise en oeuvre d'une autre écriture, dans la mouvance de Jacques Derrida]

Orlolivre : comment ne pas écrire? Autres renvois :
   

Derrida, l'Internet

   
   
Du "hors livre" au "livre à venir" Du "hors livre" au "livre à venir"
                 
                       

Dès les années 1960, bien avant l'émergence de l'Internet et des cybercultures, Jacques Derrida annonçait une transformation radicale de l'écriture, la mutation de ses formes traditionnelles, ou encore la fin du livre. Ces annonces étaient si audacieuses, si radicales, qu'il n'est pas exagéré de les qualifier d'apocalyptiques. Qu'en est-il aujourd'hui? Doit-on les considérer comme le produit de l'air du temps, de pures spéculations, ou bien doit-on envisager la possibilité qu'à la faveur des nouvelles technologies, prenant appui sur les possibilités ouvertes par les réseaux, autre chose, quelque chose d'irréductible aux réseaux eux-mêmes, arrive à l'écriture?

Reprenons, thème après thème, ce qui est avancé par ces annonces.

 

1 - Citation, greffe, itération, livre.

Que, dès le départ, le texte soit citation, est un thème récurrent de la pensée derridienne. Un texte peut débuter par un titre ou une phrase, mais il ne commence jamais. Dès son premier mot, il est contaminé par d'autres mots. Des germes venus du dehors captent des échos, des constellations d'autres textes. Jamais ces germes ne sont stabilisés ni incorporés sans reste. Ils opèrent comme des greffons à la fois compatibles et incompatibles, des marques prélevées en un lieu étranger, qui empoisonnent le corps du texte, prolifèrent en lui, le transforment de l'intérieur. Bien que par ailleurs ils restent intacts, les textes cités sont eux aussi ébranlés, consumés. Une citationnalité générale entretient leur auto-production, leur auto-affection.

La forme traditionnelle qu'on appelle livre, ou codex, tend à maîtriser ce mouvement (qui est celui de la différance). Par sa linéarité, son organisation strictement codifiée, le livre renforce l'impression de cohérence donnée par la succession des lettres. Se présentant comme une totalité signifiante ou l'expression d'un savoir, il laisse supposer qu'un signifié indépendant dans son idéalité, fait pour être compris, lui préexiste. C'est un fermoir. Mais d'une part le texte déborde de toutes parts ces limites (par les renvois, explicites ou implicites, dont il est porteur), et d'autre part la méditation d'aujourd'hui - celle qui va au-delà de l'homme, de la raison, de la science - ne peut s'écrire selon la ligne et le livre. D'autres modèles d'écriture (mathématiques, informatiques, biologiques) concurrencent le récit linéaire, logocentrique. Au moment où, sous l'influence du cinéma, le montage tend à devenir le procédé dominant, le procès d'écriture qui démonte le livre bouleverse les liens entre art, technique, économie, littérature, philosophie, etc.. Les turbulences arrivent des deux côtés - de l'intérieur et de l'extérieur. Le concept classique, unidimensionnel, du temps - inséparable du phonologisme et de la ligne, qui fixe à l'écriture des limites, arrive à sa fin.

Jacques Derrida a fait de nombreuses tentatives typographiques ou éditoriales pour tenter de casser cette linéarité. Il pensait possible de visualiser plusieurs trajets de parole, à même le papier.

Il usait lui-même beaucoup de la citation. Mais la citation ne servait pas chez lui à conforter la répétition du même. Elle procédait par transformations, déplacements, immixtion des textes cités et/ou traduits (on trouve dans Glas la présentation la plus spectaculaire de ce processus). Tout en s'inscrivant dans des livres, elle disloquait le discours universitaire et la philosophie. Partant du livre, elle n'y revenait pas.

 

2 - Altération, déconstruction, dissémination.

L'écriture procède par fragmentation, par distanciation entre les signes, par sauts qui font surgir le sens. Elle est discontinue, aphoristique. Aucune logique, aucune conjonction, aucun récit, aucun discours philosophique, aucun ordre des raisons ou des déductions ne peut venir à bout de ces discontinuités. On ne peut que traduire, et en traduisant on dissémine, on déconstruit, on délinéarise, on ouvre des marges et des doubles bandes entre les textes.

Avec ce qui arrive aujourd'hui - la crise ou la clôture du logocentrisme -, la parole n'est plus la seule source d'autorité et d'archive. Elle se subordonne à une autre loi (celle de l'écriture, du texte), et c'est la civilisation du livre qui meurt.

 

3 - Auteur, signature, héritage.

Quelqu'un qui parle est là, en personne, mais s'il écrit, sa présence disparaît. Il n'est pas absent par accident ou du fait des circonstances, mais structurellement (le simple fait d'écrire me détruit comme auteur). S'il n'est pas mort, c'est comme s'il l'était. Il est comme mort, il faut en faire son deuil. Sa place est volée, dérobée, prise par un autre ou par plus d'un autre, car dans chaque champ textuel, plus d'une source laisse sa marque, plus d'une signature est possible, et chacune peut être considérée comme fausse ou imitable. Qu'elles soient compatibles entre elles ou non, il est impossible de travailler sur une seule.

 

4 - Machine, jeu, cyberespace, virtuel.

L'écriture manuscrite peut être associée au corps propre, à la voix, à la main. Mais déjà le geste d'écrire est un retrait de la main. Ce qui reste après ce retrait (l'écrit) est une trace inexpressive, dépourvue de sens. Sous cet angle, il n'y a pas de différence entre l'écriture au crayon, à la machine à écrire ou à l'électronique. C'est chaque fois une extériorité qui est produite, et cette extériorité met en jeu ce que Derrida appelle archi-écriture.

Les télé-techno-sciences d'aujourd'hui ne sont pas neutres. Elles démultiplient les possibilités d'extériorisation de la trace, de mise en réserve. Des mouvements sans sujet, sans objet, sans référent, se déclenchent, que rien ne peut border ni exorciser, ni un savoir (supposé s'interpréter lui-même), ni la littérature, ni la pensée. En favorisant des techniques comme le couper/coller ou l'image de synthèse, elles entretiennent dans tous les domaines (y compris grammatical, linguistique, rhétorique) une demande de déconstruction qu'il faut accompagner.

Mais quel est l'interlocuteur, invisible et sans visage, qui se retire de l'autre côté de l'écran? Est-ce un Quoi ou un Qui? Dans l'un et l'autre cas, on peut craindre qu'il tienne en réserve une sentence de mort.

Entre technique et pensée, il ne peut y avoir ni dissociation ni hiérarchie, mais il peut y avoir transaction, négociation, compromis dans l'espace public pour de nouveaux partages, de nouvelles normes.

 

5 - Mémoire, archive.

La façon dont un champ est archivé dépend des techniques accessibles à l'archiviste. Exemple : si Freud avait connu le magnétophone ou le courrier électronique, son archive aurait été méconnaissable. Or un séisme affecte aujourd'hui les techno-sciences, les télé-technologies. Il ne transforme pas seulement la forme de l'archive, la structure et le contenu de l'événement archivable, mais aussi l'archivant, la limite entre le public et le privé, le secret et le partagé. Cette mutation oblige à repenser la mémoire, dans ses rapports au psychisme, au simulacre, à l'art, à l'habitat, et aussi à la vérité.

Les effets juridico-politiques de ces bouleversements ne font que commencer. On ne peut plus anticiper l'avenir de la même façon.

 

6 - Le droit de couper.

De tous temps, on a prélevé dans des textes (parlés ou écrits) des segments, des figures, des propositions. Parfois on nommait la source (un hommage au précédent auteur), parfois on ne la nommait pas. Ce procédé est toujours en vigueur dans d'innombrables domaines, par exemple pour une composition (musicale), un montage (cinématographique) ou quelque autre assemblage. D'une part, on a toujours le droit de couper, de fragmenter, de séparer, de coller, de changer de rythme ou de ton par rapport au texte cité - sans quoi il n'y aurait pas de possibilité d'écriture. Mais d'autre part, on n'en a jamais le droit. Il faut que le texte cité reste intact. Il continue de renvoyer à un autre contexte, d'autres significations définitivement effacées, disparues. Toute production textuelle opère sous cette duplicité, elle doit faire avec ce double bind ambigu.

 

7 - Le légitime et l'illégitime, le dehors, une vérité qui n'adhère plus.

Avec le démontage du livre, l'identité à soi du texte n'a plus rien d'évident. Il n'y a pas de hors-texte, dit la formule derridienne. Tout texte affirme son dehors, tout texte transforme son propre concept. Le masque téléologique du livre étant levé, ce sont les significations du logos qui se disloquent, y compris l'autorité de la vérité. Pour plus d'un, cette rupture est vécue comme une menace, un danger pour la culture, une catastrophe qui ébranle le référent et déstabilise toute interprétation. Mais le hors-livre (cette quatrième face de la représentation classique) était déjà à l'intérieur de l'objet-livre - elle l'excédait, le supplémentait et le détruisait déjà. Il s'agit maintenant de faire place au non-légitime à l'intérieur du texte. A l'intérieur d'un site Internet, il y a du hors-site et aussi du hors-web, de l'hétérogène au réseau (c'est ce qui fait scandale). D'autres dispositifs d'écriture peuvent s'inscrire dans une nouvelle topologie du virtuel, qui contribue à déconstruire l'académique autant que le politique.

Mais quoiqu'on fasse, le sacré fait retour. A chaque mutation des techniques d'inscription et d'archivage, à chaque démocratisation ou sécularisation des formes d'écriture, il faut relégitimer certains "livres", textes ou archives (ou ce qui opère comme tel), il faut les sacraliser, les fétichiser.

 

8 - Pure perte.

Un "grand" philosophe comme Hegel (l'interprète par excellence de toute l'histoire de la philosophie) n'a jamais pu penser qu'une machine pourrait fonctionner en pure perte. Et pourtant il en est peut-être ainsi de la machine philosophique. Elle pourrait continuer à fonctionner indéfiniment, sans aucune utilité ni relève.

 

9 - Evénement, imprévisible.

La pensée est double. D'un côté, il y a toujours en elle du logos, du savoir, de la raison, de la conscience, l'attente ou l'espoir de découvrir ou de construire un appui stable ou la solidité d'un fondement. Mais d'un autre côté, elle n'est ni programmable, ni réductible à un horizon. Elle ne possède ni charte ni carte. Elle appelle au voyage, ouvre les espacements, délie les hétérogènes, marche au-dessus du vide, n'adhère à aucun sol. Alors que, sur le premier versant, la forme du livre pèse de tout son poids, elle s'évapore sur l'autre versant, s'allège, s'amoindrit, tout en gardant la force d'un reste, d'un résidu fantômatique.

Dans toute écriture, quelque chose de nouveau a lieu. Les éléments prélevés ailleurs ne sont pas reproduits tels quels, mais autrement, une autre fois. Ils ne sont pas répétés, mais réitérés. Le texte travaille, il peut dire autre chose. Dans un autre temps, après-coup, une autre lecture peut toujours le transformer. Même le texte le mieux mis en ordre, le plus clos, le plus répétitif, peut être lu différemment. Une subjectivité absolue, capable de savoir absolu, pourra toujours être mise en échec, elle laissera toujours une chance pour l'événement.

Il arrive que l'événement reste singulier, unique, et il arrive aussi qu'il donne lieu à une autre réitération. Une loi de production s'invente, une écriture que d'autres pourront contresigner. Cette loi n'est pas fabriquée à l'avance. Elle dépend de chaque destinataire, qui signera un fragment (comme la nymphe Echo, qui parle en son nom propre tout en répétant la fin des phrases d'un autre). Dans cette autre logique de la citation, le fragment lui-même fait oeuvre (performativement). Ce n'est pas une redite, c'est une traversée, un engendrement, une autre naissance, un jeu au résultat incalculable. Dans le mouvement même où , fidèlement, elle répète un modèle, la citation s'aventure hors de sa source. Mnémosyne et Léthé, la mémoire et l'oubli, sont inséparables.

 

10 - Singularité, secret, le texte intact.

Quand on déconstruit un texte, on ne le touche pas, on ne le modifie pas, on le laisse intact. L'original résiste à la traduction. Son noyau est intransmissible, incommunicable. Mais le texte est fait pour être lu. Il ne peut survivre sans être lu, c'est-à-dire traduit. D'un côté, il est impossible de le modifier, mais d'un autre côté, il est impossible de le lire sans l'affecter. Il suffit de l'écouter, de le laisser résonner en soi, pour qu'il soit envahi, parasité, infecté. Un lecteur cosigne tous les textes qu'il lit, un auditeur cosigne toutes les musiques qu'il écoute, etc.... Cette opération n'est pas une incorporation, mais une interpénétration.

Jacques Derrida affirme que ses textes ne font pas système, ou s'ils le font, c'est comme simulacre. Ils s'engagent dans la culture contemporaine en restant ouverts au jeu, à l'indécidable, au blanc. S'inscrivant au milieu des textes cités ou lus, dans leur marge ou leur trace, ils les consument sans les changer, sans tracer de délimitation ni de frontière stable. Ils ne renvoient qu'au mouvement de leur propre écriture.

 

11 - Retrait, envoi.

L'écriture est orpheline depuis le début. Qu'elle prenne l'aspect d'une lettre, d'un courriel, d'une correspondance ou d'une page, qu'elle se présente avec ou sans signature, c'est toujours un retrait, un envoi sans expéditeur (ni père ni auteur), sans destinataire, sans adresse ni chemin assuré, une dérive, un voyage sans retour. Elle n'a pas connu ses destinataires et ne peut les déduire ni les dériver d'aucune logique.

 

12 - Tout autre.

L'écriture s'inscrit doublement dans la parole vive. Elle la travaille de l'intérieur, la contamine, l'infecte, mais l'altère aussi du dehors.

 

13 - Une langue inouïe.

La philosophie n'a jamais renoncé à l'idéal d'une pensée discursive qui prenne la forme d'une suite de propositions (idées claires, maîtrisables et domestiquables), se détache du discours, se présente comme la charte d'une constitution, pose un certain rapport entre sujet, objet et texte (la relation copule/prédicat). Sur la base de cet idéal, une proposition doit être limitée à un seul sens, son sens propre, conforme à sa définition. Mais la langue courante est polysémique. Elle peut toujours être agressée, altérée. Les anomalies, improvisations et traces y prolifèrent. Elle est accessible aux greffes, transformations, expropriations, et se dissémine inéluctablement en-dehors d'elle-même (ce qui ne trouve pas sa place dans le langage est rejeté hors langage : le geste, l'intonation, la violence).

Innombrables sont les idiomes intraduisibles en propositions. Dans le champ de la littérature - poésie, on peut citer Celan ou Artaud, mais il y aurait aussi (entre autres) tout ce qui opère en pictogrammes, images numérisées ou algorithmes. Ces idiomes se déploient hors du sens, dans un autre espace où plus rien n'arrête l'écriture. Ce ne sont pas des exceptions à la langue, mais la langue elle-même, qui est inouïe.

 

14 - Oeuvre, université.

Avec l'émergence d'un cyberespace mondial, une mutation majeure affecte le travail universitaire. Ses territoires, ses frontières, ses lieux de discussion, de communication et d'archivage se transforment et se délocalisent. C'est un événement déstabilisant, absolument nouveau. Le professeur ne peut plus se limiter à l'enseignement et à la production de connaissances. Il doit engager sa responsabilité, témoigner de sa profession (son métier, et aussi sa profession de foi), s'interroger sur ce qu'il fait. Qu'arrive-t-il aujourd'hui dans l'université? "Tout se passe comme si, virtuellement, l'engendrement des oeuvres devait remplacer le travail réel". Ce qui vient à la place du travail est un acte singulier, un engendrement qui ne repose sur aucune autorité reconnue (aucune autre autorité que l'oeuvre elle-même), un acte de langage inventif, au-delà du performatif, qui renonce à toute maîtrise souveraine et résiste à toute tentative de réappropriation.

 

15. Le "hors livre, l'"autre livre", le "livre à venir"

Quand les limites entre théatre, littérature, philosophie, engendrement des oeuvres sont bouleversées, quand les frontières entre genres, objets, ouvrages, ne sont plus indivisibles, quand les processus textuels les plus divers envahissent les bibliothèques, quand plus aucune autorité politique ou culturelle n'est reconnue pour le légitimer, peut-on encore se servir du mot "livre" pour désigner une unité, un ensemble, une totalité signifiante? Peut-être, à condition que ce mot - qui peut désigner n'importe quelle forme ou support - fasse encore lire et écrire. Un "autre livre", sous une forme imprévisible - voire monstrueuse - pourrait "sauver" le concept du livre, mais il pourrait aussi ouvrir la voie à d'autres concepts, que ces concepts portent, ou non, le même nom de livre.

Il y a chez Derrida trois vocables dont l'articulation est difficile à restituer (ou à construire) : le hors livre, l'autre livre et le livre à venir. Depuis ses trois livres parus en 1967, puis par trois quasi-préfaces successives (quoique séparées de 30 ans), par les motifs ou par la configuration, il ne cesse de faire signe au hors livre, ce déchet irréductible, hétérogène, qui s'ajoute toujours au contenu manifeste d'un livre.

Pour s'ouvrir à ces questions, il faut avoir renoncé à toute téléologie, eschatologie, évaluation prématurée.

 

16 - Orloeuvre, projet idixien.

Le projet idixien, qui prend la forme (peut-être provisoire) d'un site Internet, est l'un des lieux où s'expérimente un nouveau partage de l'écrit. Devant une mutation aussi radicale, il faut à la fois laisser venir ou laisser faire, répondre aux exigences de lisibilité qui ont fait le succès du codex, et contribuer à l'invention d'autres formes inanticipables aujourd'hui, impossibles à programmer avec les moyens dont nous disposons. Cette tâche qui est aussi une mise en oeuvre, nous l'appelons l'Orloeuvre.

Mais comment faire? Lorsque Geoffrey Bennington lui a présenté sa Derridabase, Derrida a fait part de son appui et aussi de ses réserves. Son appui : en cosignant le livre intitulé Jacques Derrida, par Geoffrey Bennington et Jacques Derrida, il légitimait la tentative, il la contresignait. Ses réserves : Bennington a fait le choix de ne reprendre dans son texte aucune citation littérale, aucun élément du corps textuel derridien. Il ne préservait pas l'extériorité du texte, il l'incorporait, prenant le risque de refermer la pensée sur elle-même, de la transformer en machine d'écriture, la priver d'avenir, d'en faire un théologiciel. Devant un tel risque, inévitable, le signataire du Derridex ne peut que demander pardon. Accueillir l'autre en soi, c'est le recevoir comme corps étranger, coupure, blessure. C'est laisser faire une circoncision irrémédiable, accepter que survive en soi l'immaîtrisable et l'imprévisible.

Peut-on concevoir une écriture déconstructive, dont nul ne sait comment elle va évoluer? Une écriture dont on se ferait le scribe, mais qui démonterait à l'avance la position d'auteur? Une écriture qui resterait fidèle à l'oeuvre de l'autre, la contresignerait sans menacer sa singularité? Une écriture qui produirait pour ses acteurs un effet d'étrangeté analogue à celui qu'a pu ressentir Derrida lui-même lorsqu'il a participé au film D'ailleurs, Derrida? Une écriture dont l'ordre ne s'imposerait qu'après-coup, dans la dispersion de ses perspectives? Une telle écriture serait double :

- d'une part, elle serait organisée, rigoureusement agencée, comme un livre mais sans les limitations du livre. On pourrait y suivre un certain ordre, y accéder de n'importe quel endroit. On pourrait y repérer une architecture, sans l'obligation de commencer par les fondements. [Exemple d'exemple : Foi et savoir].

- mais d'autre part, elle ne pourrait pas être formalisée. Elle ne cesserait jamais d'inventer de nouvelles règles ou suppléments de code, et vivrait de leur chute.

 

17 - Partages, compromis, nouvelle alliance.

L'Orloeuvre s'inscrit dans la dislocation du "topolitique", cette déliaison du politique et du local, cet effacement des frontières et des territoires (y compris académiques), cet écart creusé entre démocratie et citoyenneté. Pour transformer l'espace public, elle compte avec l'intempestif. Que veut dire ici compter? Tout en sachant qu'il est impossible de calculer l'incalculable, il faut le laisser venir, sans renoncer à penser. Tout en analysant sans complaisance les technosciences et les technologies, il ne faut pas hésiter à s'appuyer sur elles pour mener le combat Ces contradictions internes, ces double binds, ne peuvent se résoudre que dans la perspective d'une nouvelle alliance.

 

 

 

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Propositions

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[Derrida, l'informatique, l'Internet]

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Tout commence dans le pli de la citation

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Ecrire veut dire greffer : incisions violentes de citations dans le texte, qui en contaminent le contenu

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Toute écriture est aphoristique

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Une certaine pratique de l'itération, à ne pas confondre avec la citation, altère aussitôt ce qu'elle paraît reproduire : "Quelque chose de nouveau a lieu"

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Dès sa naissance, l'écriture est orpheline, coupée de l'assistance de son père, abandonnée par l'auteur-scripteur à sa dérive

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L'altérité absolue de l'écriture altère du dehors, en son dedans, la parole vive

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Avec Jacques Derrida, l'écriture ne revient pas au livre

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La forme du livre est désormais soumise à une turbulence générale : en l'interrogeant pratiquement, le procès d'écriture doit aussi la démonter

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Les machines électroniques procèdent de l'extériorisation de la trace qui élargit la différance et la possibilité de la mise en réserve

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Dans le mot "déconstruction", les portées grammaticale, linguistique ou rhétorique sont associées à une portée machinique

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L'évolution technique (ordinateur, Internet, images de synthèse) entretient une demande de déconstruction inégalée

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Les télétechnologies transforment de fond en comble la structure du contenu archivable, dans ses événements et dans son rapport à l'avenir

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En dénonçant le retrait de la main qui s'opère avec la machine à écrire, Heidegger dénonce l'essence même du geste d'écrire et de l'écriture

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Ni la littérature ni la pensée ne peuvent exorciser la machine

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L'oeuvre joycienne est une machine d'écriture dans laquelle le lecteur est d'avance inscrit; il ne peut la lire qu'à s'aventurer hors d'elle, à se projeter ailleurs à partir d'elle

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Aucun programme, aucune machine logique ou textuelle ne fermera la veine qui laisse sa chance à l'événement

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Ne garder d'une pensée que sa loi de production, c'est la réduire à une grammaire, un théologiciel qui, en cautérisant les plaies et cicatrisant les circoncisions, prive d'avenir

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De l'autre côté de l'écran d'ordinateur, une sentence de mort est tenue en réserve, proférée par un interlocuteur retiré, invisible et sans visage

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Avec le livre, on a refoulé tout ce qui résistait à la linéarisation; en désédimentant son unité, on bouleverse le lien entre art, technique, économie, littérature, théorie

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Avec la mort de la civilisation du livre, ce qui s'annonce est une nouvelle situation de la parole : sa subordination dans une structure dont elle ne sera plus l'archonte

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Ce qui se donne aujourd'hui à penser - une méditation de l'écriture qui passe l'homme, la raison, la science - ne peut s'écrire selon la ligne et le livre

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En ne renvoyant qu'à sa propre écriture tout en se consumant dans la lecture d'autres textes, l'opération textuelle derridienne met en question l'unité du livre

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Jacques Derrida a tenté de détourner, à même le papier, certaines normes typographiques, en faisant cohabiter visuellement plusieurs trajets de parole

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Il n'y a pas de performatif pur, car tout acte de langage est travaillé par une "citationnalité générale"

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La citation est une traversée, un travail en vue de la naissance, un engendrement

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Dans une "autre logique" de la citation, le fragment répété invente, il fait oeuvre à son tour - comme Echo répétant Narcisse

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En les signant de son nom, Echo réussit à transformer des fragments de phrases de Narcisse en paroles nouvelles qu'elle invente

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La citation cesse d'être une citation, dès lors qu'elle se laisse travailler au corps même du texte

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[Colette Deblé fait écho aux corps féminins de l'histoire de l'art; par le travail des citations elle les fait naître à nouveau, au-delà de la voix]

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[Le récit de l'Orloeuvre, dont nul ne répond]

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La pensée n'est à personne car, depuis le commencement, le texte est citation

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L'expérience de la pensée est double : présence du logos et aussi exposition à l'événement, à la venue du radicalement autre, sans charte ni carte

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Le champ textuel marqué par la déconstruction est groupé : un seul auteur est incapable d'y pratiquer l'écart de la dissémination, il est impossible d'y "faire le point"

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Entre la pensée et la technique, il n'y a ni dissociation, ni hiérarchie

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Les sources d'une "oeuvre" ou d'une "pensée" étant hétérogènes, on ne peut y "revenir" qu'en s'en écartant, en se laissant diviser par la différence de l'autre en soi

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Dans l'écriture, la place du sujet est prise par un autre, elle est dérobée

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L'émergence d'une écriture non phonétique inaugure la déconstruction de toutes les significations du logos, dont celle de vérité

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La prodigieuse mutation d'aujourd'hui oblige à repenser la mémoire, pas seulement quantitativement, mais dans ses rapports au psychisme, à la vérité et au simulacre

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Inventer une écriture, c'est créer, dans chaque situation, la loi d'un événement singulier

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Le texte de Mallarmé est exemplaire d'une rupture, une dislocation qui soustrait à l'autorité de la vérité

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"Comme si la fin du travail était à l'origine du monde" : tout se passe aujourd'hui comme si, virtuellement, l'engendrement des oeuvres devait remplacer le travail réel

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L'"indépendance" inconditionnelle de l'université l'expose aux forces du dehors; se dissociant du fantasme de souveraineté indivisible, elle oeuvre aux limites de l'autorité performative

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A la limite de l'impossible, du "peut-être" et du "si", tel est le lieu où l'université, par ses oeuvres, s'expose à la réalité et tente de penser

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Rien ne borde de l'extérieur l'expérience de la trace : tout est trace, il n'y a ni limite au renvoi, ni hors-texte

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La tâche du commentateur-déconstructeur est de laisser intact le texte qu'il commente, tout en l'envahissant, l'infectant, le parasitant, le co-signant

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Pour qu'elles me survivent, il faut que les choses soient imprévisibles

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La dissémination (ou différance séminale) se constitue en programme non formalisable, tenant à la chute incessante d'un supplément de code

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On a toujours le droit - mais on n'a jamais le droit - de prélever une proposition dans un texte

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Par le mot "retrait", Derrida se confronte à la pensée heideggerienne du chemin et propose un voyage inouï, un "envoyage" (envoi sans dérivation, cheminement, ni retour)

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Il y a entre l'écriture déconstructive et le cinéma un lien essentiel : greffer, couper, coller, composer, monter des textes et des citations

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Le montage est l'imposition d'un ordre, en après-coup, à la dispersion des perspectives

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On doit à la fidélité de citer et à la mémoire de ne pas se contenter de citer

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La possibilité du jeu est le point où, à l'intérieur des machines, le calcul trouve sa limite

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La double bande de Glas met en jeu deux désirs inconciliables : délinéariser ("J'érige pour que vous ne puissiez pas me châtrer") / linéariser ("Je me châtre moi-même")

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Pliée entre l'universel et l'idiomatique, entre le schème normatif et l'événement, la langue est accessible aux greffes, transformations et expropriations les plus radicales

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Assumer ou dénier la castration, cela revient au même : c'est donner un sens au phallus, lequel n'a ni lieu, ni trajet, ni signification, ni aucune possibilité de relève

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Hegel, interprète de toute l'histoire de la philosophie, n'a jamais pu penser une machine qui fonctionnerait en pure perte

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On ne peut parler sérieusement du livre à venir qu'en renonçant à toute téléologie eschatologique, à toute évaluation

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Toute oeuvre écrite ne prend pas la forme d'un livre - même les bibliothèques, bientôt, seront dominées par des processus textuels qui ne répondront plus à cette forme

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Un livre est comme une bibliothèque : il rassemble en une unité, un lieu stable et institutionnel, des textes auxquels il confère un statut légitime, une position juridique et politique

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La fin de l'écriture linéaire est bien la fin du livre

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La question du "livre à venir" n'est ni celle de l'écriture, ni celle du support, ni même celle de l'oeuvre : c'est celle du droit à appeler "livre" une certaine totalité

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[Derrida, le quatre, le texte quatrième]

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Devant la catastrophe qui menace le livre, on peut attendre ou espérer qu'un "autre livre" le sauve ou le transfigure - mais un tel livre ne pourrait être que hors-la-loi, monstrueux

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Avancer qu'il n'y a pas de hors-texte, ce n'est pas se rassurer dans l'intériorité d'un dedans ou d'une identité à soi, c'est observer que le texte affirme le dehors

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Les trois livres de Jacques Derrida parus en 1967 opèrent comme une quasi-préface d'un texte à venir où s'écrirait, hors livre, le commencement de l'écriture

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Il fallait écrire les trois quasi-préfaces "Fin du livre", "Hors livre", "Livre à venir" pour que deviennent concevables d'autres limites au livre, ou les limites de l'autre livre

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Tout discours a la forme d'une structure d'interprétation, dans laquelle chaque proposition se laisse interpréter dans une autre proposition

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A chaque mutation des techniques d'inscription et d'archivage, la démocratisation / sécularisation de l'écrit doit être légitimée par une nouvelle sacralisation

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Les télétechnologies déplacent les lieux et disloquent le "topolitique", ce qui détache la démocratie de la citoyenneté

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Le développement accéléré du cyberespace, de la nouvelle topologie du virtuel, affecte l'expérience du lieu et produit une déconstruction pratique du politique

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Aujourd'hui, une nouvelle étape de la virtualisation déstabilise la communauté universitaire et désorganise ses lieux

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La chaussée sur laquelle cheminent les pensées est comme la série des chaussures de Van Gogh : jamais lacées, elles n'adhèrent pas au sol

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Faire droit à la philosophie, c'est accorder la priorité au non-légitimé, légitimer par privilège ce qui paraît illégitime

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L'idéal aristotélicien, auquel la philosophie n'a jamais renoncé, est de maîtriser le langage en limitant à un seul le sens des mots - ce qui rejette la dissémination hors du langage

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Le texte philosophique opère comme machine d'écriture, où des propositions typées et enchaînées représentent cette autre pièce de la machine : l'"intention" de l'auteur

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Sous l'angle de la critique, on peut en droit accéder de n'importe où, dans n'importe quel ordre, dans un livre de philosophie pure

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On ne peut pas traduire une phrase d'Antonin Artaud en proposition

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Transformer l'espace public oblige à travailler dans un autre temps où la perspective est renversée, où il faut compter avec l'intempestif

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Il faut se battre non pas contre les télétechnologies ou l'Internet, mais pour que ces médias laissent une plus grande place aux normes proposées par les citoyens ou intellectuels

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La possibilité de prélèvement ou de greffe citationnelle appartient à la structure de toute marque, parlée ou écrite

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L'idée du livre, qui renvoie à une totalité signifiée/signifiante, est profondément étrangère à l'énergie aphoristique et destructrice de l'écriture

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"On ne peut pas toucher à l'original"; il faut cet axiome - qui garantit la pureté de l'original - pour interpréter, déplacer, traduire et inventer

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La singularité de notre temps, c'est que la nouvelle alliance ou Internationale ne peut se développer que sur les réseaux télé-technologiques qu'elle combat

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Un texte circoncis se passe du corps et de sa part incirconcise - il évite les citations qui seraient des incorporations

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Une signature est essentiellement imitable; on peut l'imiter et "elle s'imite"

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[Le Derridex et ses ajouts : aux fins de laisser venir l'"autre livre"]

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L'Orloeuvre s'inscrit dans la déconstruction post-derridienne, dont nul ne sait comment elle va évoluer

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