L'aventure occidentale du logocentrisme ou de la métaphysique - qui aura finalement, selon Derrida, duré assez peu (moins de trois millénaires) -, on peut l'appeler aussi civilisation du livre. Dans cette culture, le savoir, la technique et les bibliothèques sont inséparables du sujet parlant, présent, avec sa voix qui garantit en son nom propre ou au nom d'un père la vérité de ce qui se dit. C'est cet ensemble qui s'essouffle. Une autre rationalité émerge qui disloque le logos, ses archives et ses archontes; une autre écriture laisse survenir une énergie aphoristique qui ne renvoie plus à aucune totalité signifiante. La fin du livre est inscrite, même si l'objet-livre perdure.

Dans cet essai dont la première version est parue début 1966, Jacques Derrida analyse l'inflation des théories du langage du signe au début des années 1960. Cette inflation témoigne paradoxalement d'une errance du langage qui n'est que la pellicule d'un mouvement plus profond : une poussée ou un débordement de ce qu'il appelle archi-écriture, ces archi-éléments comme la trace ou le gramme qui se manifestent dans le jeu ou dans les écritures non phonétiques qui prolifèrent aujourd'hui en cybernétique, biologie, mathématiques, musique, danse ou peinture. A travers ces événements, c'est la domination du "s'entendre parler", ce système qui accorde un privilège à la parole comme source d'autorité ou de vérité, qui est en cause.