Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, l'éthique                     Derrida, l'éthique
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 26 août 2005 Derrida, inconditionnalités, principes inconditionnels

[Derrida, l'éthique]

Derrida, inconditionnalités, principes inconditionnels Autres renvois :
   

L'hospitalité

   

Derrida, nos tâches

   

Derrida, responsabilité(s)

Orlolivres : Comment ne pas en dire / faire plus sur l'éthique Orlolivres : Comment ne pas en dire / faire plus sur l'éthique
                 
                       

1. Le versant moral de l'éthique.

Si l'on entend par éthique un système de règles reconnues, instituées ou à instituer, Jacques Derrida ne propose ni morale, ni éthique. Une éthique dite universelle, qui n'engagerait pas ma responsabilité à l'égard de tout autre mais seulement à l'égard du semblable ou du frère, préserverait la place privilégiée du moi souverain, supposé capable de décider de ce qui est bon ou mauvais, pour qui et pour quoi. Et même si la souveraineté était transférée sur la victime, même si des "droits" analogues à ceux des humains étaient reconnus aux autres vivants, cette éthique resterait dogmatique, narcissique, dépendante d'une philosophie du sujet. Si l' "éthique" invite à considérer la victime comme un roi, la sacraliser, alors ce n'est pas une ouverture à l'autre, ce n'est qu'une soumission au remords, à la culpabilité.

Avant même la parole, nous sommes déjà engagés par un événement impossible à raconter, un événement qui instaure le langage et la loi. Nous sommes endettés à l'égard de cet événement donateur qui ne répond pas. La bonne conscience exige du sujet qu'il honore sa dette. C'est la morale dite naturelle ou universelle qui, avec ses beaux noms (éthique, responsabilité, maîtrise, rituels, esthétique ou art) prend en charge la culpabilité, invite à l'échange ou au sacrifice, actualise et formalise cet événement. Cette morale repose en vérité sur une métaphysique de l'assujettissement à la parole ou à la loi de l'autre. Le peuple assemblé ou la communauté des voisins, à portée de voix d'autrui, croit en une parole vive qu'il entend directement (le souverain). Ce dispositif, le plus répandu aujourd'hui, est un leurre, mais un leurre nécessaire. Le déconstruire ne détruit pas le sens du devoir, mais le déplace. L'autre éthique ou éthique pure au sens derridien est une responsabilité absolue, une invitation à répondre de ce qui ne répond pas, en rupture avec toute logique de dette ou de culpabilité.

 

2. Une "instance" éthique, avant l'éthique.

Même si aucune morale, en tant que telle, ne nous semble légitime, nous sommes travaillés au corps par l'instance éthique. Dès qu'il entre dans le langage, chacun de nous doit s'expliquer avec la loi. Qu'il la respecte ou la transgresse, il en répond. Il a affaire à une loi de la loi, une loi au-dessus de la loi, qui ne lui offre aucun appui, aucune garantie. Cette loi sans histoire, sans genèse, sans origine, que nul législateur n'institue, elle est toujours déjà là. Elle ne naît ni du remords, ni de la culpabilité, ni d'un quelconque meurtre du père. Pour qu'un compromis, quel qu'il soit, ait été passé, il aura fallu cette loi, sur laquelle j'ai toujours le droit de m'interroger. Quelles sont ses sources, ses limites, ses justifications ? On ne peut pas m'empêcher de poser des questions. Les poser est même un devoir, le devoir même.

La loi éthique d'avant l'éthique ne peut pas être énoncée comme telle. Ce n'est ni un projet, ni un programme, ni un concept, mais l'héritage d'une promesse. Dans le désert où elle prend naissance, elle pose la question d'un "Il faut" qui, depuis un lieu inaccessible, l'aura toujours précédée. Sur ce lieu, on peut toujours mettre (entre guillemets) des mots comme "politique", "droit", ou "morale", mais ce sont d'autres mots qu'il faudrait.

Cette démarche pose la question du rapport complexe de l'élaboration derridienne avec :

- Heidegger, qui l'a conduit à s'éloigner d'un concept de responsabilité de type kantien (intentionnaliste, volontariste) pour privilégier une pensée de la réponse, de l'appel (Ruf) ou de l'endettement (Schuldigsein). C'était un passage obligé, mais la loi d'une responsabilité indéfinissable, ouverte sur l'avenir, ne pouvait pas en rester à une problématique de l'être. Pour lire Heidegger, une autre loi de responsabilité, une autre injonction obligeait Derrida à prendre en compte son rapport terrifiant au nazisme. Heidegger a gardé le silence sur la Shoah. Incapable d'analyser ce crime contre la Loi, il s'est rendu complice, avec d'autres, d'une mise à mort de l'éthique. Heidegger ne s'intéresse pas à l'altérité du monde de l'autre, il définit le monde comme la totalité de ce qui est. L'éthique, selon Derrida, commence là où le monde n'a pas de fondation. Il ne s'agit pas d'accompagner l'autre vers chez soi ou vers un chez soi, mais de porter l'autre (humain ou animal) là où plus rien ne peut me soutenir, dans ce qui (pour moi) est le sans monde de l'autre. L'analyse critique de Heidegger conduit à déconstruire et réélaborer toute une culture, un rapport à l'éthique qui convoque toute la tradition occidentale, la raison européenne avec sa métaphysique, son spiritualisme.

- Lévinas, qui inaugure un autre rapport à une éthique pensée comme telle. Son oeuvre est une proclamation, une déclaration qui instaure une autre métaphysique, inouïe, qui n'est pas séparée du logos mais ne lui est pas non plus subordonnée. Derrida le reconnaît, la pensée de Lévinas l'aura obligé. "Devant une pensée comme celle de Lévinas, je n'ai jamais d'objection. Je suis prêt à souscrire à tout ce qu'il dit" - dira-t-il lors d'un colloque organisé en 1984 chez les jésuites. Mais cet acquiescement de principe s'écrit avec d'autres mots : inconditionnalité, hospitalité. Lévinas invente un langage, une déclaration de paix, et Derrida en invente encore un autre à son tour. Pour tous deux, il est question de salut ou d'accueil de l'autre, du tout autre, mais dans un cas il est séparé, saint, tandis que dans l'autre il vient en excès. Dans un cas, l'accord entre le fini et l'infini a pour nom visage, c'est la figure de l'otage qui est privilégiée, et dans l'autre c'est la figure, elle-même paradoxale, de l'hôte. Doit-on les opposer? Probablement pas. Il faut les penser ensemble, comme il faut penser ensemble les différentes temporalités du Sinaï.

Bien que soluble dans aucun système, pas même celui d'une éthique, la déconstruction engage. Elle peut choisir d'hériter ou pas, d'affirmer ou de rejeter. Elle n'hésite pas à se donner des tâches et ne se prive pas de dire : il faut.

 

3. La responsabilité : tentation / trahison de l'éthique.

Donner la mort, ce texte qui commente l'événement biblique du sacrifice d'Isaac, est un essai sur la responsabilité, et aussi un traité sur l'inéluctable trahison de l'éthique. Abraham se trouve confronté à un choix impossible dans son rapport à l'éthique. Un Autre secret, caché, unique (le Dieu d'Abraham) le confronte au devoir absolu. Il faut qu'il donne la mort à son fils. Il n'y a ni explication, ni justification. Il faut le faire, c'est sa responsabilité. Lui seul entend la parole de cet Autre. Pour sa famille, sa communauté et la loi humaine en général, c'est un scandale absolument contraire à l'éthique. Il sait que s'il en parlait, on le jugerait comme un criminel, un meurtrier, un infanticide. C'est pourquoi il n'en dit rien. Ce qui pour lui est le degré le plus élevé de l'éthique, l'appel à un devoir infini, inouï, serait pour ses proches le pire parjure. Ce paradoxe est pour Derrida constitutif du concept de responsabilité issu du christianisme (l'amour infini, la bonté), dont l'éthique d'aujourd'hui est l'héritière.

Abraham est pris dans une double contrainte. S'il privilégie son fils, il renonce à toute responsabilité à l'égard de tous les autres, mais s'il privilégie le devoir absolu, inconditionnel, alors il doit renoncer à la fidélité envers son fils, il doit lui donner la mort. Ce paradoxe, nous le vivons tous les jours, chaque fois que nous devons choisir entre l'attention aux proches et la prise en considération des étrangers, de tous ceux qui appellent. La responsabilité, comme l'éthique, est toujours unique, singulière, exceptionnelle. Elle repose sur un noyau d'irresponsabilité ou d'inconscience absolue, gardé secret. Ce noyau est indescriptible, impensable. Il est impossible d'en former un concept universel.

 

4. Une autre éthique.

Jacques Derrida propose de déconstruire la loi morale comme telle, en s'adressant aux vivants dont la dignité n'est pas reconnue : les non humains, ceux qui sont déjà morts ou pas encore nés, les dissemblables, les méconnaissables, ceux qu'on appelle les animaux et même les monstres et les chimères. Ces autres ne se présentent pas nécessairement comme autruis mais, par exemple, sous l'angle de l'erreur, du défaut, de l'insuffisance, de la dissimulation, du détour, de la différance, ou encore, dans d'autres champs, comme geste d'espacement, d'écriture, d'archi-écriture ou d'archi-oeuvre. Etant étrangers à la loi, ils sont aussi étrangers aux crimes, à la faute, à l'égalité, mais ils ne sont pas étrangers à l'autre éthique, l'éthique pure, qui déconstruit l'idée de souveraineté en général, respectueuse des vivants sans respecter les bornes de l'humanisme classique.

La nouvelle éthique se méfie des distinctions, oppositions et frontières dont nous héritons. Invitant à une réélaboration de l'espace public, elle expose toute responsabilité à l'incalculable ou l'indécidable. C'est une éthique folle, hérétique, au-delà de l'éthique, une éthique qui exige une dépossession du sujet. Elle invite à apprendre à vivre avec les spectres autant qu'avec les vivants, en considérant l'itérabilité de la vie, ce lieu de croisement entre répétition et transgression, entre reproduction et altérité.

Les questions bioéthiques si complexes et angoissantes, comme le clonage, ne peuvent être, aujourd'hui, analysées qu'à partir de ce lieu qui n'a pas encore de nom. [Sous la plume derridienne, on peut trouver hyper-éthique, ultra-éthique, trans-éthique. On peut aussi proposer archi-éthique - mais il y a toujours dans cette paléonymie quelque chose qui cloche].

 

5. L'éthique d'avant l'éthique.

Dans plusieurs textes, Jacques Derrida emploie l'expression : "C'est l'éthique même". Cette formulation ambiguë ne mesure l'éthique à aucune loi, aucune norme pré-établie, mais à un seul impératif ou axiome : Il faut que nous ne disposions d'aucune règle générale. C'est l'éthicité de l'éthique, une affirmation donatrice illimitée, incalculable, d'un devoir de forme négative qui ne doit rien devoir ni rendre, n'acquitter aucune dette. Sans cet axiome, il n'y aurait ni responsabilité, ni justice, ni raison, ni liberté, mais seulement un calcul, une programmation pré-construite. La forme négative se soustrait à l'ordre du présent. Elle laisse venir l'erreur, l'inconscient, l'impensé. C'est l'exigence signée [J. D.] de la déconstruction, toujours risquée, soustraite à la bonne conscience. Si, pour le lecteur, cette exigence est digne de confiance, elle l'oblige. On ne peut pas la traduire en règles, mais seulement en principes dont les modalités restent indéterminées. Exemples : il faut laisser venir les traces inconnues, s'engager envers l'autre, il faut mettre en mouvement la différance, il faut laisser ouverte la possibilité de l'avenir, etc... Préserver l'à-venir n'est pas une morale, si cet à-venir est absolument imprévisible et incalculable. C'est l'éthique même.

L'éthique d'avant l'éthique est à la fois l'hospitalité infinie, inconditionnelle, et l'unicité, la singularité absolue. Elle ne peut ni être décrite, ni être organisée en système. C'est toujours un engagement singulier à l'égard d'un autre, un engagement unique envers celui auquel je dis : "tu". Que tu sois vivant ou mort, que tu sois humain ou non, je dois m'engager envers toi, je dois te porter, te faire justice. Cet événement unique ne peut pas se dire dans la langue courante. Il ne peut pas s'aborder de manière directe, frontale, thétique. Il passe par un idiome lui-même toujours singulier qui ne répond pas de soi, mais de l'autre. Tu restes hétérogène, différent de moi, extérieur à moi. Je ne peux ni t'intérioriser, ni t'incorporer.

 

6. Ethique et politique.

De même que l'écriture ne peut se penser qu'au-delà du bien et du mal, une éthique qui ne serait déterminée ni par le politique, ni par le juridique, ne pourrait se penser qu'en tant que principe à maintenir, en-deça de toute décision, au point d'oscillation ou de tremblement entre cette loi de la loi (inconditionnelle) et la vie courante (conditionnelle). Ce point, pour Derrida, est un abîme, un lieu de silence.

Il faut laisser venir la justice, mais laquelle ? La difficulté est double. D'abord tout autre est tout autre, le lieu de l'autre est incertain. Ensuite l'autre ne répond pas. Entre l'éthique, toujours en excès, et la politique courante, qui ne peut que trahir ma responsabilité infinie, il y a césure, contradiction. Les crimes d'aujourd'hui exigent une réponse qui doit être à la fois dans le droit, avec le risque que le tiers sollicité (l'Etat, la société) fasse pire encore, et au-delà du droit. A la politique, il faut ajouter une éthique, sans nier la possibilité qu'une éthique institutionnalisée, violente, puisse à son tour trahir la justice. Dans ce contexte vacillant, où la distinction entre éthique, politique, droit et religion est privée de fondement, il est urgent de transformer le concept du politique, de le convertir.

Entre le calculable et l'incalculable, le conditionnel et l'inconditionnel, au-delà de l'éthique dans l'éthique, au-delà-dans, cette conversion devrait tendre au compromis, à une transaction raisonnable qui devrait elle aussi préserver une différence, aussi fragile soit-elle, avec la raison calculante. Dans cet entre-deux de la responsabilité, il faut inventer des maximes de transaction - un salut à la justesse.

 

7. La question du "tournant".

Peut-on parler, comme certains l'affirment, d'un tournant éthique qui interviendrait dans l'oeuvre de Jacques Derrida vers 1990 ? Il a lui-même fermement réfuté cette thèse, mais cela n'interdit pas de s'interroger. S'il n'avait fait, dans toute son œuvre, que développer les thèses du début, cela aurait signifié que dès le départ tout était inscrit, qu'il n'avait qu'à dérouler son programme. Mais toute sa pensée dément cette hypothèse. Imprévisible, elle est faite de décisions, de surprises, d'événements, de mutations qui inséminent du nouveau. On peut faire une liste de ses basculements : vers l'amitié, l'hospitalité, la générosité (particulièrement dans son rapport aux autres auteurs), le tout autre, etc., et il y en aura toujours d'autres, toujours plus. Son premier texte sur Lévinas, en 1963, semble prendre parti pour la phénoménologie, mais il appelle déjà à un dialogue avec Heidegger qu'il poursuivra toute sa vie en multipliant les désaccords. Dès 1980, il mentionne, en l'approuvant, l'éthique même. La thématique des inconditionnalités, qui se déploie dans les années 1990, n'est pas moins aporétique que les thématiques antérieures.

L'hospitalité en général est une culture, un éthos; mais l'hospitalité derridienne se mesure avec l'impossible. Les principes de tolérance, d'hospitalité infinie ou de pardon inconditionnel, comme la réponse qu'il propose aux télépouvoirs d'aujourd'hui (il faut enseigner à vivre et à respecter la loi de l'autre) restent fidèles à cette mesure incommensurable, qui fait l'unité de sa pensée.

 

 

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Propositions

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Quoiqu'en dise Freud, la morale ne naît pas du remords, car pour qu'il y ait remords, il faut que la loi morale ait déjà été là

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L'hospitalité n'est pas une culture parmi d'autres, elle est la culture même, un "éthos"; quant à l'éthique, en tant qu'elle touche à la demeure, au séjour, elle est hospitalité

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La littérature est travaillée au corps - de l'écrivain, de la langue, de l'oeuvre - par l'instance éthique, mais elle ne produit ni morale, ni éthique

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L'événement chrétien du "devenir-responsable" est lié au don sacrificiel où l'homme, dans sa singularité même, devient personne - vue par le regard d'un autre, d'un Dieu

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La thématique chrétienne du don - amour infini, bonté, oubli de soi, péché, salut, repentir, sacrifice et don de la mort - se retrouve, en Europe, dans le concept de responsabilité

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Il n'y a pas d'éthique sans présence de l'autre comme absence, dissimulation, détour, différance

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La responsabilité (éthique) qui répond (à) / de l'autre comme un passé qui n'aura jamais été présent, c'est l'essence du langage

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"Apprendre à vivre", c'est respecter la loi de l'autre (promesse et fidélité) selon la triple anagramme : respect, spectre, sceptre

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Quand un monde disparaît, ou quand il se retire, ou avant même qu'il ne soit apparu - je dois m'engager envers toi, cet autre, te porter

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Dans l'éthique du semblable où la victime prend la place du souverain, l'idée de souveraineté n'est pas contestée, mais seulement déplacée

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Une éthique de justice n'engage pas seulement ma responsabilité à l'égard du semblable, mais aussi du dissemblable, du tout autre ou du monstrueusement autre

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L'altérité pure et nue du visage lévinassien, dépouillée de toute visibilité, qualité, prédicat ou propriété effective, c'est une définition spectrale du tout autre

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Là où commence l'éthique, je dois te porter, sans monde, sans la fondation ou l'assise de rien au monde

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Dès lors que "je dois" te porter, aucun monde ne peut plus nous soutenir, servir de sol, de terre, de fondement ou d'alibi

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Le sens du devoir, de la responsabilité, commande de rompre avec les restaurations de la morale, comme avec toute prétention de maîtrise ou du devenir-oeuvre d'art

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L'éthique de la parole vive entretient un leurre : celui d'une présence maîtrisée à portée de voix, dans la proximité immédiate d'un voisinage

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Une éthique qui reconnaîtrait aux animaux des "droits" analogues à ceux des humains resterait dogmatique et narcissique, dans la dépendance d'une philosophie du sujet

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Avec le christianisme émerge une nouvelle responsabilité : la bonté même, un don venu de l'autre comme la loi, qui commande au donataire sa propre mort

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[Jacques Derrida : "L'éthique même"]

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Au-delà du concept courant de l'éthique, il faut s'interroger, depuis une "ultra-éthique" qui pense la singularité irréductible de l'autre, sur son origine, sur l'éthicité de l'éthique

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On ne peut exercer une responsabilité - ou une décision, une morale, une politique - qu'en forme négative (sans X, il n'y aurait pas Y), sans règle générale

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Pour être fidèle à l'autre disparu, je dois porter en moi son monde sans l'intérioriser ni l'idéaliser, en respectant son altérité singulière : c'est l'éthique même

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L'oeuvre d'Emmanuel Lévinas, par sa gratuité, au-delà même de la pensée et du pensable, c'est l'éthique même

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"L'éthique même" de Derrida renvoie à une politique du deuil qui ne peut se dire que dans un idiome singulier, l'idiome du deuil

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Une injonction archi-éthique, qui résiste au deuil, ordonne de faire justice au mort, de respecter son altérité, de l'accueillir comme autre en soi

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L'éthicité de l'éthique se mesure à l'affirmation donatrice illimitée, incalculable, d'un devoir qui ne doit rien devoir ni rendre, n'acquitter aucune dette

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A la hauteur de l'éthicité, d'une exigence déconstructrice qu'on peut interpréter comme "le devoir même", le discours éthique n'est pas tenable comme tel

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L'hospitalité inconditionnelle n'est ni juridique, ni politique, ni éthique : elle est transcendante et ne dépend même pas d'une décision

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L'"indéniable même de l'éthique" - dont on ne répond pas au nom de soi, mais de l'autre -, il ne faut surtout pas l'aborder de façon directe, frontale, thétique

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Le pardon inconditionnel est fou : c'est une surprise, une révolution, un événement hétérogène à la politique et au droit, une éthique au-delà de l'éthique

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On peut désormais penser une "autre tolérance" comme scrupule, retenue, respect devant la distance de l'altérité infinie

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Il y a dans le sacrifice d'Isaac un appel à un devoir absolu, infini, inouï : la moralité même, inconditionnelle, là où elle met en jeu le don de la mort donnée

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Il faut obéir à une injonction, un endettement originaire, la loi d'une responsabilité indéfinissable, ouverte sur l'avenir, sans s'arrêter aux héritages acquis (Kant, Heidegger)

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Pour réélaborer l'éthique, la responsabilité, et redéfinir ce à quoi ces catégories s'opposent, il faut lire Heidegger

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En ne disant rien de la Shoah, en laissant impensée sa relation avec le nazisme, Heidegger nous a laissé le devoir, la tâche terrible de faire ce travail

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[Derrida, l'hospitalité]

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L'hospitalité infinie, inconditionnelle, c'est l'éthicité même, le tout et le principe de l'éthique

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La loi de l'hospitalité exige que, avant le chez-soi, il y ait un lieu ouvert : le chez-soi sans chez-soi

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La responsabilité étant toujours unique, exceptionnelle, extraordinaire, on ne peut pas en former un concept universel

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L'éthique derridienne de la responsabilité exposée à l'indécidable repose sur une méfiance à l'égard des distinctions, oppositions et frontières

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Il faut, pour mettre en oeuvre "responsabilité", "liberté", "décision", savoir ce que ces mots veulent dire, et aussi penser ce qui, en eux, est hétérogène, impensable

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L'écriture et le supplément ne peuvent se penser qu'au-delà du bien et du mal, en annulant la qualification éthique

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Tous les jours, pour chaque décision de chaque homme ou femme engageant l'éthique et la responsabilité, le sacrifice d'Isaac continue, mettant en jeu le paradoxe d'Abraham

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Au fond, la seule et ultime proposition de Jacques Derrida, c'est de "laisser venir la trace"

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Le seul avenir désirable et digne d'intérêt, c'est de laisser se mettre en mouvement la différance de l'autre

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Avec la responsabilité, le moi accède à la possibilité d'un "garder-secret" qui abrite en soi un noyau d'irresponsabilité ou d'inconscience absolue

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La justice commence avec un parjure : en engageant, avant tout contrat, l'éthique infinie de ma responsabilité pour l'autre, je fais surgir le tiers qui la trahit par le droit

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Il faut l'hospitalité au pire, qui à la fois appelle et exclut le tiers, pour laisser venir la justice, accueillir l'autre et se protéger contre la violence de l'éthique

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[Derrida, Lévinas]

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"Devant une pensée comme celle de Lévinas, je n'ai jamais d'objection. Je suis prêt à souscrire à tout ce qu'il dit" (Jacques Derrida, 1984)

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Par un coup de force qui n'est autre qu'une déclaration de paix, la déclaration de la paix même, Lévinas invente un nouveau langage qui ouvre à l'hospitalité

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Dans la tradition philosophique grecque, l'éthique, dissociée de la métaphysique, est subordonnée à une autre instance; en les associant, Lévinas ouvre une pensée autre

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[L'"à-Dieu de Lévinas" : saluer, sans théologie, le tout-autre, l'infini, le séparé, l'absolument extérieur]

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La pensée de Lévinas nous fait rêver d'une dépossession inouïe : disloquer le logos grec et libérer la métaphysique en faisant appel à l'éthique

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L'éthique, c'est l'interruption de soi par soi : une séparation radicale qui conditionne l'hospitalité et la subjectivité du sujet hôte, otage, responsable d'autrui

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Avec le sujet-otage, ce quasi-moment pré-originaire d'accueil du tout autre, du Il, du séparé, Lévinas subordonne le concept de sujet à une éthique du retrait, de l'hospitalité

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La non-violence absolue dont Derrida dénonce, en 1963, l'impossibilité, fera retour plus tard dans son oeuvre comme don ou hospitalité inconditionnels

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Si "tout autre est tout autre", la responsabilité est privée de fondement, on ne peut plus distinguer entre éthique, politique, droit et religion

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Entre éthique et politique, nous parlons depuis un silence qui nous expose à la non-réponse de l'autre : césure intime, contradiction interne au Dire, ContraDiction

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Aujourd'hui, les crimes contre l'hospitalité requièrent une éthique en excès, par-delà le politique, une conversion éthique du concept du politique

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Un concept est indestructible dans son identité et l'unité de son noyau sémantique; mais tout concept, par exemple "politique" ou "paix", ouvre au-delà des murs, "au-delà-dans"

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Il faut, pour sauver l'honneur de la raison, inventer des "maximes de transaction" : préférer la justesse du raisonnable, saluer sa différence fragile avec la raison calculante

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Le politique commence par choisir et préférer le semblable, tandis que l'éthique pure commence par respecter l'autre comme absolu dissemblable

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Une "voix de fin silence" vient au prophète Elie. Puis (une autre voix) : "Qu'as-tu à faire, toi, ici? - Va"; ce silence vient à nous depuis l'abîme entre éthique et politique

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Dans la question du droit de regard et de notre place par rapport aux télépouvoirs, il y va d'une nouvelle éthique et d'un nouveau droit

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L'impératif inconditionnel de toute négociation serait de laisser ouverte la possibilité de l'avenir

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L'autre éthique à-venir est "ce qui vient", "ce qui arrive", une hétéronomie où l'autre est ma loi

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Il n'y aura un avenir pour l'Europe, et un avenir en général, que si la promesse du "mysterium tremendum" chrétien, cette responsabilité hérétique, est déployée radicalement

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"Apprendre à vivre enfin", n'est-ce pas, pour un vivant, l'impossible? C'est pourtant l'éthique même

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Comme le montre la question angoissante du clonage, le vrai lieu d'un problème de la raison aujourd'hui, c'est l'itérabilité, la question du propre en général, du corps propre vivant

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On peut analyser la Shoah, qui vise la destruction du peuple de l'alliance, comme crime contre la Loi (la Torah du Sinaï), mise à mort de l'éthique

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Une éthique qui se veut universelle repose sur une métaphysique de l'assujettissement à la loi de l'autre

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Il n'y a pas de tournant éthico-politique chez Derrida mais une nouvelle scène, une nouvelle mise en scène, une nouvelle insistance sur des choses identifiables comme politiques

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Ce qui se passe chez Derrida vers 1990 - un tournant de la générosité - est un déplacement du primat de la non-vérité vers celui de la vérité

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S'il y a un tournant dans la déconstruction, il s'énonce en deux thèses indissociables : 1/ Il y a de l'indéconstructible; 2/ Il y a du tout-Autre

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De la possibilité de la théologie négative, on peut aujourd'hui déduire une "politique", un "droit", une "morale" - un laisser-être qui oblige à mettre ces mots entre guillemets

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Le nom "Sinaï" appartient à plusieurs temps disjoints, plusieurs instances qu'il nous appartient de penser ensemble

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Ce que Lévinas nomme "visage" ou "otage", il faut le lire comme un nom propre qui compose un nouvel accord, inouï, entre le fini et l'infini : à-Dieu, l'appel du nom par le nom

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L'enjeu des textes talmudiques ou midrachiques, aujourd'hui, c'est leur traduction en questions métapolitiques, transpolitiques et transéthiques

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Chez Lévinas, le mot "éthique", ce point de rupture, n'est qu'un pis-aller grec pour traduire le discours hébraïque sur la sainteté du séparé (kadosh)

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