Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, la mort                     Derrida, la mort
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 13 sept 2012 Oeuvre, différance, pulsion de mort

[Derrida, la mort]

Oeuvre, différance, pulsion de mort Autres renvois :
   

Derrida, le deuil

   

Derrida, l'archive

   

Derrida, l'héritage

Et il faut faire avec les spectres Et il faut faire avec les spectres

Derrida, la vie, la survie

Orlolivre : comment ne pas se dire : "Je suis mort" ?               Orlolivre : comment ne pas se dire : "Je suis mort" ?    
                       

1. Mort et théorie de l'écriture.

Est écrit tout signe qui s'entend au-delà de la disparition de l'auteur ou de l'émetteur (après la perte de tout rapport avec son intention ou son vouloir-dire), tout signe qui se lit malgré l'absence totale du sujet, par-delà sa mort. Ce qu'on entend ici par mort n'est pas sa disparition ou sa finitude empirique; c'est que l'écriture, par essence, en droit, évoque l'absence de celui qui parle. Dire "Je dis" ou "J'écris", c'est déjà être absent, c'est déjà être mort. C'est dire : "Je suis mort", une phrase impossible, aporétique, sur laquelle Derrida revient plus d'une fois.

On retrouve la même logique dans une formulation célèbre et difficile : La différance infinie est finie. D'un côté, rien ne peut arrêter le mouvement de la différance; et d'un autre côté, cette différance, on ne pourrait la saisir que dans des termes finis, si on pouvait la saisir. La pensée ne cesse de se différer, de s'écarter de soi, et cet écart ne peut se dire que par le concept qui la met à mort.

Le paradoxe de la souveraineté de l'"homme", c'est qu'il ne peut vivre qu'en suppléant la nature, en y ajoutant des organes artificiels, des artefacts qui objectivent le vivant, qui en font une machine de mort. S'il survit, ce n'est pas en tant que simple être vivant, c'est par ces suppléments. Pas de vie sans sur-vie, mais cette sur-vie, pour Derrida, est irréductible au simple cycle de la vie et de la mort : elle vient en plus, comme l'écriture. Ce n'est pas ma propre survie, c'est la survie de l'autre, qui exercera sa souveraineté sur mes restes.

 

2. Spectralités.

Toute écriture étant morte, je ne peux entrer en rapport avec elle que par héritage, dans une relation testamentaire qui est celle que j'entretiens avec ces autres, ni vivants ni morts (voire peut-être pas encore nés), qui m'engagent au-delà du présent. Les spectres continuent à exister, même après leur mort, car il m'est impossible d'en faire un deuil absolu, ni de les exorciser. Je dois vivre avec leurs traces qui restent irréductiblement en moi. Ainsi mon expérience de la mort est-elle aussi une expérience de survie.

Soit je vois venir ces spectres, je peux les anticiper d'une façon ou d'une autre (fantômes ou fantasmes); soit je ne les vois pas venir, ils n'ont pas d'horizon, ils me hantent et arrivent sans aucune anticipation possible. Dans un cas comme dans l'autre, je suis soumis à une injonction paradoxale. D'un coté, je dois les accueillir, les faire parler et d'un autre côté, je dois les conjurer, les exorciser, les chasser. C'est la logique spectrale, toujours envahissante, qui prend aujourd'hui l'aspect de la technique ou de l'image.

Jean-Jacques Rousseau croyait que la dimension mortifère de l'écriture affectait du dehors la parole vive - qu'il voulait préserver. Pour Derrida, c'est du dedans de la parole que cette dimension travaille. Le danger ne vient pas de la société ou d'un environnement maléfique, il est déjà actif. La parole est déjà altérée, déjà infectée par ces traces orphelines, illégitimes, déracinées, affranchies de la loi, des traces qui, comme les écrits, peuvent s'effacer, s'oublier ou se perdre, n'ont ni père, ni attaches, ni origine. En se disséminant, en se dispersant, l'écriture lie la différance à la mort.

On imagine pouvoir regarder la mort en face, mais le courage et la lucidité ne suffisent pas. Il n'y a pas de pouvoir de l'esprit sur la mort, pas de maîtrise souveraine. Ce n'est qu'une dénégation, un fantasme, une conjuration.

 

3. "Ma mort", cette aporie.

Il faut s'attendre à la mort, dit-on, mais que signifie cette phrase? Nul vivant n'ayant jamais vécu l'expérience du mourir, on ne sait pas à quoi s'attendre. La mort est toujours possible, mais, pour un vivant, elle est impossible - une aporie que Heidegger avait repérée, sans véritablement la penser. Cela n'empêche pas de dire "ma mort". Le syntagme circule, mais il n'a ni sens, ni référent. "Ma mort" est unique, irremplaçable, absolument singulière. Comme "ma naissance" ou "ma vie", c'est un hapax, mais un hapax qui a ceci de particulier que je ne peux rien dire de vrai à son sujet. Je peux toujours l'attendre, mais le passage est impossible. C'est un pas sans pas, un "je passe" sans franchissement. "Il y va d'un certain pas", dit Derrida, qui efface toute délimitation et risque de m'emporter au-delà des limites de la vérité.

Si Derrida cite la célèbre formulation de Heidegger, "Avec la mort, le Dasein s'attend lui-même dans son pouvoir-être le plus propre", c'est pour faire observer que la distinction entre un périr animal (l'arrêt de la vie) et un mourir humain dont le Dasein pourrait témoigner, cette distinction ne résiste pas à l'analyse. L'humain, lui aussi, périt, il crève, et ni lui ni les animaux n'a rapport à "ma mort" comme telle. Y penser, c'est un fantasme, une fantasmagorie, une pensée de survie. Nul ne témoigne jamais du mourir. Il n'y a donc ni pouvoir de mourir ni propre de l'homme, et c'est toute l'œuvre de Heidegger qui chute dans l'aporie, c'est tout son dispositif qui sort de lui-même.

 

4. "La vie la mort", une dissymétrie absolue.

On a l'habitude d'opposer la vie et la mort, mais il n'y a pas de symétrie entre elles. Elles ne peuvent pas s'additionner, constituer une dualité, entrer dans un même système d'opposition. En tant que vivant, j'expérimente la vie, je peux en parler, mais je ne peux pas expérimenter la mort, qui est impensable, étrangère à l'être. Tous les vivants ne sont pas programmés pour la mort. Son irruption est un événement dans l'histoire de l'évolution, et elle reste chaque fois un événement, qu'on ne peut justifier ni par une logique ni par des concepts.

On ne peut pas penser la dissymétrie vie/mort de manière logique, mais par un pas au-delà, une altérité d'un autre ordre. Il faut s'appuyer sur Nietzsche, Blanchot, Freud pour penser ce pas où chaque pas s'annule en appelant le suivant. Dans ce mouvement, le concept ne se distingue pas de la métaphore.

 

5. "Nul ne peut mourir à ma place".

En mettant en scène le Socrate du Phédon, prêt à boire la ciguë, Platon en appelle à une philosophie pure qui n'entrerait dans aucun échange, aucun commerce vital. Il aura fallu pour cela que l'âme (Psychè) se donne la mort, se sépare du corps. En analysant l'héritage d'Abraham, Jacques Derrida prolonge l'acte socratique. Il faut, par la foi ou la responsabilité, faire l'expérience d'un moi irremplaçable ou insubstituable, un moi absolument unique et singulier qui réponde à l'appel de l'autre. En ce lieu unique, s'éveille une responsabilité absolue, inconditionnelle, où le sujet s'efface devant un autre lointain, inconnu. Cette expérience, je la fais au moment du mourir, le seul moment que personne ne peut affronter à ma place. "Ma mort", possible-impossible, est irréductiblement la mienne. Je ne peux ni mourir à la place de l'autre, ni prendre sa mort, ni la donner à un autre. La mort suspend toute expérience d'échange ou de substitution.

Ainsi le don inconditionnel est-il destiné à ne pas revenir à l'instance donatrice. Ich muss dich tragen, dit le poète. Il faut vivre dans la perspective de la mort finale, sans retour de la dette, sans aucun salaire ni rétribution. Cette démarche radicale se distingue de celle du christianisme, qui attribue au donner la mort une autre signification, inscrite dans la chaîne de l'économie du sacrifice : bonté, amour infini, péché, repentir, salut.

 

6. La possibilité du sans réponse.

La trace est une semence, un germe mortel. Contrairement à ce que Freud a parfois déclaré, elle n'est pas indélébile. Il est toujours possible qu'elle soit oubliée absolument, radicalement. Reconnaître cela, c'est accepter aussi la possibilité de l'effacement de soi, de sa propre présence, c'est l'accepter sans réserve, y compris par la disparition de cette disparition. Le "sans-réponse", associé à cette disparition toujours menaçante n'est pas le résultat d'une censure déterminée, c'est une structure, un horizon originaire, irréductible, sans lequel on ne peut penser ni l'archi-écriture, ni le refoulement originel freudien, ni l'oeuvre.

Accepter le sans réponse, c'est aller au-delà d'un accueil en nous de la trace de l'autre. Si l'autre ne répond pas, on ne peut ni garder la mémoire, ni porter le deuil sans détruire l'altérité de l'autre (sur ce point, voir ici), mais on peut s'engager dans une désappropriation / désidentification qui brise les généalogies, fait craquer les figures de la croyance, laisse se disperser pour toujours, sans retour ni diaspora, les graines de la grenade. Cette perspective est aussi une menace, elle fait peur.

Il faut donc faire avec ce séminal qui se dissémine à perte et à mort et porte en lui le mal radical. Ce séminal, lui non plus, n'est jamais présent à lui-même. Il confronte le sujet au rien, à l'effacement de toute présence, y compris la trace de la présence. Il n'a aucun sens, on ne peut pas dire ce qu'il est. Il travaille à détruire toute archive, y compris ses propres traces. Le penser en acceptant son effacement, sa disparition irrémédiable, sa possibilité irréductible, c'est ce qui ouvre, selon Derrida, à la responsabilité infinie. cf : [Il y a dans toute oeuvre une dictée, une injonction, un appel à la réponse, à la responsabilité].

Après la mort, rien ne revient, c'est l'annihilation totale. La trace ne répond pas, ne laisse derrière elle aucun document (anarchive) (sauf peut-être un simulacre érotique : la beauté du beau). Elle n'est même pas vivante, ni morte, mais ni l'une ni l'autre. Pourtant, entre Eros et Thanatos on peut la repérer comme chemin de détour, retardement, substitution, différance.

Dans la scène d'écriture freudienne, entre le fondateur de la psychanalyse et son petit-fils Ernst (l'enfant au Fort/Da), c'est la pulsion de mort qui est mise en œuvre. Sur ce point, on lira : [Dans le principe de plaisir qui, selon Freud, domine la vie psychique, est à l'oeuvre, en silence, le "tout autre"].

 

7. Le gardien d'une sur-vie.

Le premier texte publié par Jacques Derrida en 1947, à l'âge de 17 ans, évoque sa mort (Glu de l'étang lait de ma mort noyée), tandis que son dernier texte, lu le jour de son enterrement, évoque la survie (Préférez toujours la vie et affirmez sans cesse la survie...). Entre les deux, on peut dire que l'oeuvre est obsédée par le deuil. Pour Derrida, la mort est indissociable de la vie, la-mort-la-vie ne font qu'un. Freud espérait provoquer, par la cure, la réactivation d'une trace originelle et unique. Or c'est impossible : la trace vivante ne revient pas. On peut tout juste en implorer la résurrection, comme les chrétiens. Jacques Derrida propose une autre voie : une vie supplémentaire qui ne nie pas la mort mais l'accomplit dans l'œuvre même, comme hantise, spectralité, héritage et adresse à l'autre, en conjurant la menace du je-suis-mort. La mort à l'œuvre n'est pas mélancolique, elle fait advenir une sur-vie qui ne peut rien dire de l'opposition entre vie et mort, car elle ne s'y arrête pas, elle la déborde.

Nous nous devons à la mort, dit Derrida, c'est une sentence sans appel. Le verdict est définitif. Nous sommes pris dans cette dette ou ce devoir qui nous institue. Mais le dédoublement du "nous" dans la sentence ouvre un écart. On peut toujours ignorer le jugement (la peine de mort), laisser la mort en suspens. C'est ce qui arrive avec la photographie, figure exemplaire du retardement ou de l'espacement. Chaque photo est porteuse de mort, mais il suffit d'une série de photos renvoyant les unes aux autres, s'appelant et se nommant, pour suspendre le jugement : faire place à l'imagination, au rêve, comme Socrate attendant la mort au cap Sounion. Même si le référent de la photographie a définitivement disparu, on peut toujours, à partir de cette absence, en dire plus (sur-vie, plus que la vie).

 

8. Mourir vivant.

Il faut donc mourir dit-il, mais mourir vivant. C'est un fantasme, le plus courant des fantasmes qui nous fait croire en la transmission des patrimoines et des cultures, le fantasme même, son fantasme souverain dont il a fait énoncer l'une des figures, par son fils, le jour de son enterrement. Mourir vivant, c'est survivre à la mort, c'est croire que son cadavre ne sera pas abandonné, livré à l'autre. Il faut quelques rites mortuaires, tombes ou sépultures, pour faire croire à ce qui, après tout, n'est qu'une imposture : que le cadavre inhumé ou incinéré porte encore quelque chose du corps vivant. La modernité occidentale a diversifié ou simplifié les rites, mais le fantasme subsiste.

S'il est une conclusion littéraro-philosophico-politico-éthique à son œuvre, c'est celle-là : il est imposible, absurde de mourir vivant, mais c'est ce à quoi il s'est employé depuis le jour où, adolescent, il s'est dirigé vers le travail de la pensée.

 

9. Mettre la mort à l'œuvre.

On peut rapprocher la sur-vie derridienne des deuils vécus par le petit Jacky dans son enfance. Presque-jumeau d'un frère mort et aîné d'un second frère, mort lui aussi, il se serait senti obligé de porter, à lui seul, leur monde. Se vivant toujours au moins double (voire plus), il aurait négligé ses frères et soeurs biologiques et culturels pour assumer, lui, la survie et la garde d'une alliance. Après tout, c'est lui et lui seul l'héritier, le gardien du talith du grand père. Pour être fidèle à l'injonction, il fallait que cette alliance ne soit pas gouvernée par la parole d'un mort (fût-ce d'un père), mais par la trace d'un autre. C'est ce "il faut"-là, ce commandement venu de l'autre, qui l'a conduit à privilégier l'œuvre. Mettre la mort à l'œuvre, ce n'est ni se protéger de la disparition en produisant un ouvrage qui lui survivrait, ni sombrer dans une tâche mortifère. C'est entrer dans une autre logique : un triomphe de la vie qui brouille la distinction du vivre et du mourir.

 

 

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Propositions

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Tout signe qui fonctionne malgré l'absence totale de sujet, par (delà) sa mort, peut être dit "écriture"

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[Je ne peux pas dire : "Ma mort", "Je suis mort", sans aporie; c'est la signature même de l'aporie]

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Le "je" n'implique pas nécessairement la présence : la personne peut être absente dans "Je suis", anonyme dans "J'écris" et morte dans "Je suis vivant"

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Derrida nomme "écriture" la non-présence radicale du sujet, sa mort à l'oeuvre, et aussi la promesse de sa résurrection

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Dans la phrase "Je franchis le terme de la vie", il y va d'un certain pas, d'un "Je passe" (peraô) aporétique (aporia), d'un passage impossible (a-poros), sans pas

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La différance infinie est finie

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L'altérité absolue de l'écriture altère du dehors, en son dedans, la parole vive

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La mort travaille le dedans de la parole comme sa trace, sa réserve, sa différance intérieure et extérieure, son supplément

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Dans son ipséité, la mienneté se constitue à partir d'un deuil originaire, dans un rapport à moi qui accueille en moi la mort de l'autre, aporétique, incalculable

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La mort, seule impossibilité ou aporie qui puisse apparaître comme telle, n'"arrive qu'à effacer" toute délimitation anthropologique, problématique ou conceptuelle

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Deuil, spectralité ou sur-vie sont des catégories irréductibles, car il n'est pas d'auto-affection sans accueillir l'autre en soi - ce qui engage le politique en son essence

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Personne ne peut mourir à ma place : la mort est le lieu où mon irremplaçabilité m'est donnée, où je fais l'expérience d'une singularité absolue

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Ma mort est irréductiblement la mienne : le mourir jamais ne s'échange, ne se porte, ne s'emprunte, ne se transfère, ne se promet ou ne se transmet

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Ce qui reste irremplaçable dans le mourir, l'insubstituabilité du soi-même, originaire et indérivable, c'est le lieu où s'entend l'appel de la responsabilité

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Si la distinction entre périr - où la vie s'arrête - et mourir - dont seul le Dasein peut témoigner - est compromise dans son principe, alors l'oeuvre de Heidegger chute dans l'aporie

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Si ni l'homme, ni les animaux, n'ont rapport à "ma mort" comme telle, alors la mort devient la possibilité la plus impropre, ce qui ruine tout le dispositif heideggerien

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Penser la mort comme telle est un fantasme, une fantasmagorie; nos pensées de notre mort, de la nostalgie à la mélancolie, sont toujours des pensées de survie

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Comme toute oeuvre qui mérite ce nom, "Sein und Zeit" (Heidegger) excède ses propres frontières; en un lieu où elle fait l'épreuve de l'aporie, elle sort d'elle-même

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Ceux qui pensent la vie comme ils pensent l'être en restent à la représentation; ils ne peuvent pas penser l'être-mort

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S'il faut s'attendre à la mort, il faut aussi s'attendre à se laisser emporter au-delà des limites de la vérité

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N'importe qui peut s'approprier le syntagme "ma mort", qui pourtant nomme l'irremplaçable même de la singularité absolue

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La différance supplémentaire est dangereuse, car liée à la mort

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On ne connait ni le sens, ni le référent du nom "mort"; pour ce nom comme pour le nom "Dieu", un sens, non questionné, est présupposé par le discours

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La mort est l'unique occurrence de la possibilité de l'impossibilité; une aporie que Heidegger a énoncée, sans la penser

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"La vie la mort" ne forment pas deux, mais une altérité d'un autre ordre

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Contrairement à ce que dit Heidegger, nous restons toujours comme des bêtes qui n'ont pas le pouvoir de mourir, à qui la mort n'apparaît jamais comme telle

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L'autre, c'est celui qui, en tant que tel, après ma mort, pourra faire de moi et de mes restes sa chose, exerçant ainsi sa souveraineté

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Le séminal se dissémine sans avoir jamais été lui-même, à perte et à mort; n'ayant aucun sens, il diffère de la polysémie

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"Une dispersion sans diaspora", telle est la double signification de la grenade : force de dissémination, et aussi mort et destruction

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Tout graphème est d'essence testamentaire

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L'écriture est parricide, hors-la-loi, elle est un fils orphelin qui s'expose à la perte

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Il appartient à la structure d'une trace de pouvoir s'effacer, s'oublier, se perdre; archiver, c'est sélectionner ce qu'on garde

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La mort est cette fatalité par laquelle un don est destiné à ne pas revenir à l'instance donatrice

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Le spectral, ce sont ces autres, jamais présents comme tels, ni vivants ni morts, avec lesquels je m'entretiens

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Le spectre, fantôme ou fantasme, est visible sur un horizon, on peut le voir venir, tandis que le revenant n'a pas d'horizon : il arrive comme la mort

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La logique spectrale envahit tout, partout où se croisent le travail du deuil et la tekhnè de l'image

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[Et il faut faire avec les spectres, les accueillir, les laisser parler, les conjurer, les exorciser, les chasser]

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Regarder la mort en face, faire durer ce regard, le porter avec courage, confiance, loyauté, c'est le fantasme du pouvoir de l'esprit, de sa maîtrise souveraine

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La définition la plus profonde de l'absolue souveraineté - celle du souverain et aussi celle de Dieu et de la mort -, c'est qu'elle ne répond pas, elle a droit à l'irresponsabilité

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Penser la trace, c'est accepter son effacement, sa disparition irrémédiable, non par accident mais comme l'horizon qui rend l'inconscient possible

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A partir de la possibilité irréductible du "sans réponse" (le mal, la mort) surgit l'exigence d'une responsabilité infinie

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En me prenant sous son regard et dans sa main, dans une relation terriblement dissymétrique, Dieu me donne la mort et m'éveille à la responsabilité

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La thématique chrétienne du don - amour infini, bonté, oubli de soi, péché, salut, repentir, sacrifice et don de la mort - se retrouve, en Europe, dans le concept de responsabilité

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La pulsion de mort est "anarchivique" : elle travaille à détruire l'archive, y compris ses propres traces

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L'archive engage la menace infinie de la pulsion de mort : un mal radical qui emporte et ruine jusqu'à son principe

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Entre Eros et Thanatos, toute la pensée n'est que différance, chemin de détour, retardement, surséance et substitution

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La pulsion de mort n'est jamais présente : elle ne laisse en héritage que son simulacre érotique, son pseudonyme en peinture : la beauté du beau

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Pour que l'autre reste l'autre en moi, il faut que le deuil soit impossible : ni incorporation, ni introjection

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Il ne saurait y avoir de vrai deuil, car la trace de l'autre est déjà irréductiblement en nous

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Au-delà du deuil, une désidentification intempestive fait craquer les signes, les modèles et les figures de la croyance

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On ne peut rien dire de l'opposition entre vie et mort, si "vivre" déborde cette opposition

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L'expérience de la mort, c'est que je suis obligé de penser à ça (mon anéantissement), et qu'aussi je suis hanté par un désir testamentaire : que quelque chose survive et soit transmis

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Un acte photographique signe - comme Socrate au cap Sounion - une reconnaissance de dette auprès de la mort

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["Nous nous devons à la mort", mais nous pouvons ignorer cette sentence, la laisser en suspens, par des retards dont la figure exemplaire est la photographie]

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Pour protester contre la sentence "Nous nous devons à la mort", il faut laisser en suspens un regard, une inscription ou une oeuvre qui ignore à jamais cette comparution

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Chaque photo porte la mort; mises en série, chacune est le nom propre d'une autre, elle appelle les autres

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Dus à la mort, nous nous rapportons à nous-mêmes en étant pris dans une dette ou un devoir qui, en nous instituant, réfléchit et suspend ce rapport

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Œuvrer, c'est conjurer la hantise d'un "je-suis-mort"

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La possibilité du mal radical, comme telle, s'il y en a, ne doit être ni vivante ni morte

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Il faut, pour résister au mal radical, être en deuil de tout autre, "penser" le sens du monde dans une relation à la mort d'autrui

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Le souverain, cette "prothétatique" monstrueuse qui supplée la nature en y ajoutant un organe artificiel, objective le vivant dans une machine de mort

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Quand l'âme se sépare du corps, elle se donne la mort - un don qui, selon Platon, n'entre dans aucun échange, aucun commerce de la vie

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Pour Platon, le moment de la mort est celui de la philosophie même : quand l'âme, ne se rapportant plus qu'à elle-même, se sépare du corps

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La différence des sexes, la sexualité et la mort surviennent, imprévisiblement, dans une graphique du supplément

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Pour parler "scientifiquement" du sexe ou de la mort, les concepts habituels ne suffisent plus

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["Il faut mourir vivant", une prescription qui peut s'entendre comme fantasme, commandement, compensation, réparation - ou encore : mise en oeuvre]

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Le vivant/mourant est travaillé par le fantasme "mourir vivant" : "mourir effectivement, comme si je devais survivre à ma mort" (double bind auto-immunitaire)

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Qu'il meure dévoré par des hommes (cannibalisme) ou par des bêtes, ou qu'il soit inhumé rituellement, le mourant se livre à l'autre, qui est aussi son semblable

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Un des critères de la modernité occidentale est la possibilité du choix entre inhumation et incinération, où se joue chaque fois autrement le fantasme du "mourir vivant"

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Aporie de l'inhumation : elle donne un lieu au cadavre, ce qui permet le travail du deuil, mais le laisse pourrir et ouvre le risque de retour spectral

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Aporie de l'incinération : en escamotant le cadavre, elle favorise l'intériorisation du mort, elle infinitise le deuil

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12 octobre 2004 : la scène primitive du "mourir vivant"

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La victoire triomphale de la vie, cette chose terrible, c'est dire "oui, oui, oui" à vie-et-mort, ce "neutre" qui brouille la distinction du vivre et du mourir

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Le premier texte publié par Jacques Derrida (1947) évoque sa mort, et son dernier texte (2004) sa survie

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Jacques Derrida, qui se sent double, est presque le jumeau d'un frère mort

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Jacques Derrida, né un an après la mort de son frère Paul Moïse, a hérité du talith de son grand-père maternel, Moïse

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A sa mort, Jacques Derrida s'est rendu à lui-même un hommage de silence

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