Derrida
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TABLE des MATIERES :

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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, l'archive                     Derrida, l'archive
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 30 avril 2007

[Derrida, l'archive]

Autres renvois :
   

Derrida, la mémoire

   

Derrida, l'oubli

   

Derrida, la mort

                 
                       

1. Commencement.

Archive fait résonner la mémoire du mot arkhè, qui nomme à la fois le commencement et le commandement. Pour qu'il y ait archive, il faut un lieu soumis à une autorité, avec ses techniques, ses réserves, ses principes et ses frontières bien définies. La mettre en oeuvre, c'est la mettre en ordre, l'institutionnaliser, la consigner et l'idéaliser en un corpus ou un système. Il y faut des pratiques, des technologies, des critères de classification (l'organisation hiérarchique, le titre), des méthodes d'appropriation - souvent violentes. Il y faut aussi un fonctionnement soumis au logos (logoarchie) et un archonte (au moins un), gardien des archives et premier dont on puisse dire qu'il leur ait obéi.

L'archive répond au désir d'origine et entretient l'idée que nous dépendons d'un commencement absolu. Si nous n'étions pas assignés à ce signe (une écriture qui ne commence jamais, mais qui entretient l'idée du commencement), si la différance ne s'inscrivait pas en ce lieu, l'archive ne pourrait prétendre à aucune légitimité.

Fonder une institution, c'est instituer, au minimum, l'archive de cette fondation. Il faut pour cela la présenter comme un constat, la sacraliser, et ordonner la vérité à la dette.

 

2. Archiviologie.

Pour analyser le principe de l'archive (ou principe archontique), pour développer une "archiviologie" (science de l'archive), c'est de Freud qu'il faut partir. C'est lui qui a éclairé ce principe, c'est lui qui l'a déconstruit le plus radicalement, avec ses mots à lui : Niederschrift (inscription ou consignation), Verdrängung (refoulement ou répression), Unterdrückung (répression ou suppression). Mais c'est lui aussi qui l'a restauré en produisant une théorie de l'objectivité et en répétant la logique patriarcale. Toute archive implique un retour du refoulé et un spectre qui, parlant à travers un archonte, fait la loi. Freud était en mal d'archive. D'une part, il croyait au primat de la mémoire vive; et d'autre part, il a découvert la pensée hypomnésique de l'archive, sa destruction irrémédiable, sous l'égide de la pulsion de mort.

Avec Freud, c'est la question du concept en formation, et aussi du concept en général qui est présentée sous un nouveau jour. En effet, le concept est une archive qui, comme toute archive, laisse une part d'impensé. La psychanalyse, nouvelle science de l'archive, n'est pas fondée sur la vérité du concept, mais sur un mouvement de traduction et de déchiffrement. Elle marque tous les domaines du savoir par une impression inoubliable : l'impression que Freud laisse en nous, sans doute vague et indéterminée, étrange et très secrète, mais impossible à effacer.

 

3. L'archive, comme oeuvre anarchivique.

Une oeuvre étant indissociable de sa préhistoire, de ses extériorités (avant-oeuvre, hors-l'oeuvre, hors-la-loi de l'oeuvre), on peut toujours la considérer comme une archive.

a. Pulsion d'archive.

En tant qu'accumulation de traces mémorielles, l'archive est faite pour soutenir la mémoire. Mais l'archivage est indissociable de la sélection, de l'oubli, de la destruction.

"La pulsion d'archive, c'est un mouvement irrésistible pour non seulement garder les traces, mais pour maîtriser les traces, pour les interpréter. Dès que j'ai une expérience, j'ai une expérience de trace. Je ne peux pas réprimer le mouvement pour interpréter les traces, les garder ou non, donc pour constituer les traces en archives et pour choisir ce que je veux choisir" (Derrida, Trace archive, image et art, p129).

Dans l'interprétation derridienne de la pulsion de mort, l'archive porte le poids de la destruction. La pulsion de mort freudienne est interprétée comme pulsion d'archive. Quand Freud se donne pour tâche d'interpréter les traces, de leur donner un sens qu'elles auraient perdu, il croit les retrouver ou les conserver, mais l'opération qu'il effectue au présent (transfert) contribue à les détruire (anarchive). L'injonction freudienne à l'hypermnésie ne se traduit pas en ressouvenir, mais en productions de nouvelles associations accompagnées d'hypomnésie ou d'amnésie. La psychanalyse ne peut pas faire revivre le passé. Elle restera toujours en "mal d'archive".

Toute trace étant finie, elle peut être détruite, s'effacer, se perdre. A ce processus, Derrida associe l'image de la cendre, cette figure de l'anéantissement sans reste, ni mémoire, ce paradigme de la non-réponse. Il appartient à la structure d'une trace de pouvoir s'effacer, s'oublier, se perdre. Archiver, c'est sélectionner ce qu'on garde.

b. La mise à mort de l'archonte.

"La pulsion d'archive, c'est une pulsion irrésistible pour interpréter les traces, pour leur donner du sens et pour préférer telle trace à telle autre. Donc préférer oublier, ce n'est pas seulement préférer garder. L'archive (...) ce n'est pas une question de passé, c'est une question d'avenir" (Derrida, Trace archive, image et art, p129).

Comme toute reproduction ou consignation externe d'une expérience vécue comme spontanée, vivante, l'archive défaille structurellement. La mémoire concrète est remplacée par un dispositif supplémentaire, qui la brûle avant même qu'elle ne soit constituée. Mais ce supplément n'est pas inerte. Chaque nouvel archonte qui prétend garder l'archive la transforme. En lui donnant un avenir, il met à mort son prédecesseur. Mais il y a plus, car si l'archive est une oeuvre, elle résiste par elle-même à l'archivage. En tant que lieu daté, différantiel, irréductible à tout corpus figé, elle est porteuse d'une toute-puissance virtuelle encore plus effrayante : déposséder l'archonte du pouvoir d'interpréter, de décrypter et d'analyser le texte, transférer ce pouvoir à un autre, encore inconnu. Il y a une téléiopoiétique de l'archive, indissociable de la pulsion de mort.

 

4. L'archive aujourd'hui.

Aujourd'hui, de nouveaux supports transforment l'archive, en bouleversent les contenus et leur rapport à l'avenir. Avec les télé-technologies, la question de ses limites devient un enjeu politique majeur : jusqu'où faut-il collecter, enregistrer, mettre en ordre et à disposition? Où placer la limite entre public et privé? Comment préserver le secret? Le mal d'archive inauguré par Freud est pris dans un trouble, une surenchère qui brouille les savoirs. Quand le présent-vivant trouve une nouvelle forme de survie, l'image spectralisée, c'est un autre concept de l'archive qu'il faut repenser, où le virtuel ne s'oppose plus à l'actuel, où l'archivation se fait acte performatif, interprétation active, productive. Le livre traditionnel ne meurt pas, mais il se déconstruit, il perd son unité.

 

5. De l'héritage à la promesse.

Un autre effet d'archive transforme l'objet archivé en sujet d'étude spectral, en interlocuteur virtuel de l'historien. Pour croire en l'héritage auquel l'archive enregistrée et consignée renvoie, il faut s'engager personnellement. C'est ce que fait, par exemple, Josef Hayim Yerushalmi dans son Moïse de Freud. Il ne peut lire le corpus freudien qu'en y impliquant son autobiographie, en s'y ajoutant, en s'inscrivant et en l'inscrivant dans l'avenir, en se faisant le gardien de son indétermination, du poids d'impensé qui l'ouvre à la promesse. Il y a toujours dans ce geste une part de nostalgie. Il faut que quelque chose de la mort qui me précède reste aussi à venir.

Ainsi l'archive ouvre-t-elle à l'avenir une porte multiple : promesse, indétermination, secret. Une messianicité spectrale la travaille.

 

6. Rituels.

Avec la circoncision, qui est elle aussi une archive, l'inscription vient de l'extérieur, mais le support est le corps propre - ce qui en fait, en même temps, une marque intime. De même que, chez Freud, la trace (externe) est enregistrée à l'intérieur, l'acte de coupure est intériorisé. Comme le montre la théologie négative, on peut archiver la trace d'une absence, un rien, on peut l'institutionnaliser, on peut en faire la source d'un commandement.

 

 

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Propositions

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Le mot "arkhè" nomme à la fois le commencement (l'originaire) et le commandement (l'autorité)

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La condition de l'archive est la constitution d'une instance et d'un lieu d'autorité

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L'archonte se veut le fils aîné, le premier à avoir obéi, après-coup, au patriarche

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Pour fonder une institution, l'acte requis est à la fois constatif et performatif, archive et production - la distinction entre l'un et l'autre étant indécidable

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L'archive est appropriation violente, prise de pouvoir, et c'est aussi une interprétation, une oeuvre

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L'écriture ne commence pas : au contraire, à partir d'elle on met en question la requête d'un commencement absolu

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A l'origine du graphein (écriture ou dessin), il s'agit d'observer la loi, d'ordonner par une archive, par la grâce du trait, la vérité à la dette

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L'archive garde en elle un poids d'impensé qui engage l'histoire du concept, son ouverture à l'avenir, sa promesse messianique

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Il n'y a pas de méta-archive; on ne peut éclairer, lire, interpréter un héritage qu'en l'inscrivant irréductiblement dans l'avenir

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Tout commence par l'archive : une trace qui s'affecte d'avance de nostalgie, une mort qui me précède et reste à venir, une autobiophotographie non réappropriable

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Garder l'archive, c'est la mettre en ordre : institutionnaliser, consigner et idéaliser un corpus ou un système

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Il ne saurait y avoir d'archivage sans titre

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L'archive est hypomnésique : c'est une répétition, un supplément accumulé en ce lieu extérieur où la mémoire, reproduite et consignée, défaille structurellement

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[Freud inaugure la possibilité inouïe d'une science fondée non pas sur la vérité du concept, mais sur l'archive]

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L'impression laissée par Freud est un événement inoubliable, irrécusable et indéniable; pour tous ceux qui parlent de mémoire et d'archive, il est impossible et illégitime de l'effacer

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Nul n'a plus radicalement que Freud éclairé, déconstruit - mais aussi restauré - le principe archontique de l'archive

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Seule la psychanalyse peut produire une théorie de l'objectivité idéale qui ait un sens "archontique", au regard de toute science régionale

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Freud, qui restait attaché au primat de la mémoire vive (anamnèse), a rendu possible une pensée de l'archive comme expérience du support ou de la prothèse (hypomnèse)

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En tentant de formaliser le mal d'archive qui l'affectait, Freud a développé des concepts qui sont tous fendus, divisés, contradictoires

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La signature freudienne a laissé sa marque - son impression - sur sa propre archive, et aussi sur le concept d'archive en général

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Le concept d'"archive" se laisse difficilement archiver, car il touche à la formation du concept en général

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Un concept reste toujours inadéquat à ce qu'il devrait être, et cette disjonction est en rapport nécessaire avec la structure spectrale de l'archivation

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On peut, aujourd'hui, penser un concept de l'archive autre que celui dont nous avons hérité : une archive où le virtuel ne s'oppose pas à l'actuel

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Il appartient à la structure d'une trace de pouvoir s'effacer, s'oublier, se perdre; archiver, c'est sélectionner ce qu'on garde

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L'archive engage la menace infinie de la pulsion de mort : un mal radical qui emporte et ruine jusqu'à son principe

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La pulsion de mort est "anarchivique" : elle travaille à détruire l'archive, y compris ses propres traces

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La garde de l'archive, qui ordonne la mémoire et anticipe l'à-venir, enjoint aussi de mettre à mort l'archonte et tout ce qui, dans la tradition, porte la loi

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La cendre est la figure de l'anéantissement sans reste, ni mémoire, ni archive - qui menace de détruire jusqu'à la possibilité même de témoigner de l'anéantissement

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L'archonte fait parler un spectre qui ne répondra plus, mais fait la loi

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Effet d'archive : l'objet d'étude devient le sujet spectral, le destinataire ou l'interlocuteur virtuel de l'historien

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Les télétechnologies transforment de fond en comble la structure du contenu archivable, dans ses événements et dans son rapport à l'avenir

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Les télétechnologies divisent le présent-vivant, qui ne survit qu'en tant qu'image ou archive spectralisée

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Nous vivons aujourd'hui un "mal d'archive", un trouble qui brouille le voir et le savoir

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La question du secret, des limites de l'archive, est aujourd'hui un enjeu politique majeur

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Un mouvement irrésistible pousse à garder, maîtriser, interpréter les traces : la pulsion d'archive

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La mise en oeuvre de l'image fait de l'archivation une interprétation active, productive, reproductive, en tant que récit faisant savoir

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Dans la société logoarchique, l'analogie est la règle qui soumet le jugement à une loi de supplémentarité

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A chaque mutation des techniques d'inscription et d'archivage, la démocratisation / sécularisation de l'écrit doit être légitimée par une nouvelle sacralisation

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Bien que la parole et l'écriture phonétique soient massivement restreintes par les nouvelles pratiques formelles, le livre ne meurt pas, il est enfermé dans sa clôture

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A la distinction entre "oeuvre", "avant-oeuvre", "hors-l'oeuvre" et "hors-la-loi de l'oeuvre", l'archive résiste

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Une oeuvre requiert des "axiomes d'incomplétude" : sa loi, son mal d'archive, c'est qu'elle n'est réductible à aucun corpus archivable, en aucun lieu déterminé

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Une messianicité spectrale travaille le concept d'archive, et le lie à une expérience singulière de la promesse

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Il y a trois portes à l'avenir - qui sont aussi celles de l'archive : promesse, indétermination, secret

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Une inscription privée, secrète, marque intime d'une inscription extérieure, peut être analysée comme une circoncision - qui survient à même le corps propre

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La théologie négative, cet idiome qui est aussi un langage, met à l'épreuve les limites constatives du langage; elle garde leur raréfaction, elle l'archive et l'institutionnalise

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