Avec le christianisme, c'est la promesse d'un nouveau type de responsabilité individuelle qui est advenue, que Jacques Derrida tente de définir dans ce livre, Donner la mort, en s'appuyant sur les Essais hérétiques de Jan Patocka. Dans un tremblement (mysterium tremendum) et un risque absolu, au-delà de toute norme et de tout savoir, chaque décision d'une personne unique devrait être, selon cette promesse, irremplaçable et singulière. Mais l'accomplissement n'est pas encore arrivé. Le platonisme domine encore, par l'intermédiaire de la modernité technique, ce monde des idées où le sujet tourné vers la généralité du Bien, programmable et prévisible. n'a pas à trembler pour des décisions qui ne seraient prises qu'au nom d'une foi singulière. Mais la promesse insiste. Il faut que tu sois responsable, dit-elle, il faut que tu choisisses en fonction de ce qui t'est le plus singulier, de ce qui reste secret en toi (ta foi) et non pas en fonction des normes ou du masque social. Le paradoxe de cette insistance, c'est qu'elle risque de renouer avec des forces inconnues, mystérieuses, mystiques, voire démoniques ou orgiaques que le platonisme avait refoulées.

Le tout autre inaccessible qui m'oblige à répondre de l'autre, à faire le choix de la responsabilité, me fait don de cette possibilité, mais en même temps qu'il donne la mort à des mystères plus anciens, il me donne la mort. Au nom de la responsabilité à l'égard de l'autre, sous le regard invisible du tout autre [Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père qui voit dans le secret te le rendra (Matthieu 6:6) - cité par Derrida p122], je dois me retirer. Je dois accepter l'héritage de la mort donnée.