Quand on se demande : "Qu'est-ce qu'une personne responsable?", il y a toujours deux types de réponses. D'une part, c'est une personne qui agit, qui s'engage en conscience dans une praxis éthique, juridique ou politique, un faire, une décision, à partir d'une analyse, d'une pensée des causes et des finalités. Mais d'autre part, si elle s'interroge sur ce que le concept de responsabilité veut dire [pourquoi elle s'engage ainsi], alors il faut qu'elle s'interroge sur ce qu'elle ne sait pas. Sa conscience est toujours insuffisante. Quoiqu'elle fasse, a priori, l'irresponsabilité est partout. Le parti pris initial, qu'il se présente comme choix, élection, préférence, inclination, décision (αἵρεσις en grec) sera toujours hérétique. Dans l'Antiquité, le mot hérésie désignait une école de pensée. Dans le christianisme, c'est devenu un écart par rapport à la doctrine. Selon Derrida, cet écart est "la condition essentielle de la responsabilité". La responsabilité est "destinée" à la résistance, la dissidence, à la rupture inventive avec la tradition. En répondant publiquement "à l'autre, devant l'autre et devant la loi" (Derrida, p46), elle tient à un secret, un mystère (le mysterium tremendum du christianisme) auquel elle-même n'a pas accès. Il n'y a pas de responsabilité sans risque de conversion et d'apostasie.

Il n'est de responsabilité que marquant l'écart, se tenant à l'écart, courant le risque de la conversion ou de l'apostasie. Celui qui se tient à l'écart ne se borne pas aux règles publiques de la communauté. Il tient aussi au secret. Le mystère de la responsabilité, c'est que ce qui la commande reste secret, effrayant (le mysterium tremendum chrétien).

"Ne pas savoir, n'avoir ni une science ni une conscience suffisante de ce qu'être responsable veut dire, c'est en soi un manquement à la responsabilité. Pour être responsable, il faut pouvoir répondre de ce que veut dire être responsable" (Jacques Derrida, Donner la mort, p45).