Derrida parle de possibilité du mal radical, "s'il y en a". Il pourrait y en avoir, ou ne pas y en avoir, et pourtant, sans cette possibilité, sans cette virtualité, aucune responsabilité, ni décision, ni liberté, ne pourraient advenir. Cela laisse entendre que ces sauts incalculables, imprévisibles, ces ruptures qui arrivent lorsque se prennent une décision ou une responsabilité, ces événements participeraient toujours de quelque façon d'une réponse au mal radical. Sans la possibilité "comme telle" du mal radical, sans cette menace, une adresse à l'autre ou un "je t'aime" toujours fragile et incertain ne pourraient se détacher.

Mais en quoi, pourquoi, ce mal radical ne serait-il ni vivant ni mort? Alors que toute décision vient en plus de la vie, il participerait de ce qui ne se détache pas, "à même le même". A même le même, il n'y ni aurait ni différance, ni hétéro-affection, ni même auto-affection. On accomplirait ce qu'un philosophe a désigné sous le nom du savoir absolu : une voix absolument présente et vivante, dans le mouvement même où elle se clot sur elle-même (elle ne meurt pas, c'est sa mort qui est infinie). Une telle voix ne s'arrêterait pas, et pourtant elle ne serait pas immortelle, car rien en elle n'aurait rapport au mortel.