Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
"Nous nous devons à la mort"                     "Nous nous devons à la mort"
Sources (*) : "Je suis mort", "ma mort", signature de l'aporie               "Je suis mort", "ma mort", signature de l'aporie
Jacques Derrida - "Demeure, Athènes - Photographies de Jean-François Bonhomme", Ed : Galilée, 2009, p9 Au - delà du cycle de vie, une vie indéconstructible

["Nous nous devons à la mort", mais nous pouvons ignorer cette sentence, la laisser en suspens, par des retards dont la figure exemplaire est la photographie]

Au - delà du cycle de vie, une vie indéconstructible
   
   
   
Derrida, la photographie Derrida, la photographie
Derrida, la mort               Derrida, la mort    
                       

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1. Des séries.

Le livre de Jacques Derrida Demeure, Athènes, publié en 1996 et réédité en 2009, est un commentaire d'une série de 34 photographies de Jean-François Bonhomme, 34 clichés qui renvoient les uns aux autres, se répondent, s'appellent. Répétée au début du cliché numéroté I par Derrida (p13), la phrase "Nous nous devons à la mort" opère dans le livre comme une sorte de deuxième titre, un redoublement qui, bien que postérieur, viendrait avant le titre même, à moins que ce ne soit le titre qui en soit une reprise, une réitération. En tous cas quand cette phrase lui est venue, le 3 juillet 1996 (l'année est mentionnée à la fin du texte, p51), Jacques Derrida se trouvait à Athènes - c'est-à-dire sur le lieu où les photos de Jean-François Bonhomme ont été prises. Il a donc reçu ces photographies avant de se rendre sur place - un voyage qui répétait d'autres voyages antérieurs - autre façon de réitérer, au présent, un geste déjà fait. La forme qu'il a choisie pour ce livre aligne 20 chapitres qu'il nomme "clichés" (en chiffres romains), alors que 34 "clichés" photographiques de J-F Bonhomme sont montrés (en chiffres arabes). Tout le livre joue sur le déséquilibre de ces mises en abyme.

Remarquons ce point important pour nous : cette phrase, "Nous nous devons à la mort", Jacques Derrida l'énonce à propos d'une oeuvre. Laquelle? Peut-être la série plus vaste, probablement presque infinie, de toutes les photos prises par Jean-François Bonhomme à Athènes en 15 ans, dont 34 seulement nous sont montrées dans le livre. Cette série peut faire penser à d'autres séries analysées dans l'oeuvre derridienne : le roman-photo muet de Droits de regards, de Marie-Françoise Plissart (1985); les 127 boîtes-cercueils de Gérard Titus-Carmel (dans La Vérité en peinture, 1978); les Souliers de Van Gogh (toujours dans La Vérité en peinture), sans parler de la sériature lévinassienne (dans En ce moment même dans cet ouvrage me voici, 1980). Ce qui est singulier dans cette série derridienne des oeuvres composées elles-mêmes de séries, c'est que dans chaque cas il insiste sur ce qui est devenu indicible ou indescriptible, perdu, mais qui cependant, par la survivance d'un reste énigmatique, peut être vu ou dit. Ce qui s'est retiré, par exemple l'ambiance de ces rues d'Athènes avant la modernisation de la ville, est à la fois déjà mort et pas tout à fait mort. Non seulement cette chose tarde à mourir, mais sa sur-vie vient en plus de ce qu'elle aura été, qui ne se réduit pas à ce qu'elle a été.

 

2. Nous sommes déjà en deuil de nous-mêmes.

Revenons donc à cette phrase, "Nous nous devons à la mort" dont on peut dire qu'elle est la phrase d'origine du livre. Elle vient juste après le titre, Demeure, Athènes, et pourtant elle le précède. Jacques Derrida réécrira à de nombreuses reprises dans le livre cette phrase qui lui est venue à midi, dit-il, un jour où le soleil tombait (et cela n'est pas sans importance, il aura fallu que le soleil tombe). La phrase, choisie pour sa polysémie. porte un sens général - notre rapport à la mort - et d'autres significations qui renvoient à la photographie. Nous devons mourir, il le faut, nous sommes mortels. Chaque photographie ou chaque série de photographies dit cette obligation, ce devoir, cette dette. Dans cette phrase, le "nous" est chacun d'entre nous et aussi la photo elle-même qui déjà porte le deuil d'un référent supposé (ce qu'elle "représente" et qui a définitivement disparu) et aussi des autres photos, car puisqu'il s'agit d'une série de photos, chacune renvoie à une autre.

Si nous nous devons à la mort, c'est que nous avons déjà fait le deuil de nous-mêmes, nous sommes déjà morts. Une photographie est une archive. Dès le moment où elle est "prise", elle témoigne de ce qui est d'avance condamné à disparaître, et dont elle porte le deuil. C'est le côté pessimiste, irréparable et mélancolique, de notre rapport à la mort.

 

3. Retarder, suspendre.

Tous les appareils photographiques disposent aujourd'hui d'un dispositif-retard, qui permet à l'opérateur de déclencher le cliché plus tard, par exemple pour y figurer lui-même. Jacques Derrida insiste sur ce retard, qui ouvre la possibilité d'archiver un présent à venir. Il peut être tramé d'avance, mais sa durée pourrait aussi en principe être indécidable, voire infinie. C'est ce retard, qui surgit avant le temps même (la différance), qui intéresse Derrida. C'est lui qu'il retrouve, par exemple, dans la condamnation à mort de Socrate.

Dans la phrase "Nous nous devons à la mort", il ne s'agit pas, ou pas seulement, de se dévouer à la mort, comme le laisse entendre la "grande tradition post-socratique et sacrificielle de l'être-pour-la-mort", il ne s'agit pas, ou pas seulement, de respecter les morts, il ne s'agit pas non plus d'une culture de la perte ou du manque, il s'agit, par le redoublement du "nous", de suspendre le sujet et la phrase elle-même. "Nous nous devons", c'est dire que nous nous rapportons à nous-mêmes, par un contrat d'avant tout contrat, par une hétéronomie primitive, en opposant un premier "nous" (celui de la dette) à un autre "nous", celui du "vivant innocent qui à jamais ignore la mort". Cet écart, jamais effacé, qui libère de la mélancolie, est aussi celui qui ouvre au plaisir. D'avance, j'ai la nostalgie d'une trace que j'ai déjà connue, je voudrais la retrouver, la revivre comme hier. Cette autobiophotographie nostalgique, ce mal d'archive, est réitérée dans chaque recherche ou espoir de jouissance.

 

4. Retarder, œuvrer.

D'où vient l'insistance de Derrida sur le soleil, dans ce texte sur la photographie ? D'un côté, sa lumière ne nous arrive que comme trace. Elle ne peut advenir qu'en s'effaçant. Mais d'un autre côté, elle a lieu, elle a eu lieu et elle a encore lieu. Dans les intervalles, les entre-nous, sa trace persiste. C'est cette trace quasiment disparue qui surprend, qui résiste à la religion du deuil, la dette, le devoir, la culpabilité. Elle porte une protestation innocente, celle d'un vivant qui précède la mort, qui peut déclarer qu'il ignore la mort. Il y aura, pour l'éternité, du soleil, dans chaque photographie qui restera.

D'un côté, malgré le compte à rebours, le verdict est tombé : rien ne sera sauvé. Mais d'un autre côté, un événement peut toujours arriver. Jacques Derrida compare cette situation à celle de Socrate au cap Sounion : il sait qu'il est condamné à mort, il le reconnaît, mais il profite d'un événement fortuit (une procession rituelle qui ne revient pas, un retard dans l'apparition des voiles), qui retarde l'exécution, pour rêver. L'important n'est pas que le réveil annonce la date de sa mort, l'important, c'est qu'il rêve. Et voilà donc où Derrida voulait en venir : la photographie est toujours là, elle proteste, elle suspend l'injonction. Entre l'instant où elle est prise et celui où elle est regardée, elle reporte la mort, et ce retardement, cet espacement, n'a pas de limite intrinsèque.

* Chris Marker, dans La Jetée, a mis en scène un retard comparable. Son personnage qui, dès le début du photo-roman, se voit mourir dans le regard d'une autre, profite d'un événement terrible, une guerre nucléaire, pour se remémorer un moment de bonheur qui peut-être n'avait jamais existé. A la fin de cette boucle temporelle, il ne meurt pas une seconde fois : c'est la première fois qui revient. Mais entre-temps, le photo-roman (cette œuvre unique de Chris Marker) occupe la place du rêve de Socrate : une survie indécidable, au-delà du deuil qui l'avait plongé dans la détresse. Il aura eu le privilège extraordinaire de vivre un supplément de vie. Le fait qu'il ait refusé la proposition d'une autre existence, dans un monde futur, montre que ce supplément, pour lui, valait plus encore que la vie même.

 

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Propositions

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Chaque photo porte la mort; mises en série, chacune est le nom propre d'une autre, elle appelle les autres

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Un acte photographique signe - comme Socrate au cap Sounion - une reconnaissance de dette auprès de la mort

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Une photographie se prend comme on prend le deuil, dans la séparation

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Les séries de photographies généralisent la mise en abyme; c'est elle qui fait la loi, qui engendre le livre

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Le retard, c'est ce qui donne le plus à penser - avant le temps même

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Tout commence par l'archive : une trace qui s'affecte d'avance de nostalgie, une mort qui me précède et reste à venir, une autobiophotographie non réappropriable

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Dus à la mort, nous nous rapportons à nous-mêmes en étant pris dans une dette ou un devoir qui, en nous instituant, réfléchit et suspend ce rapport

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Pour protester contre la sentence "Nous nous devons à la mort", il faut laisser en suspens un regard, une inscription ou une oeuvre qui ignore à jamais cette comparution

- Ouzza : C'est exactement en ce point que, dans l'histoire de Danel, quelque chose a basculé. Il ne pouvait pas ignorer que la dette valait aussi pour lui-même, lui aussi se devait à la mort. Mais avec cette photo, ce visage connu, c'est comme si l'acte même de la suspension venait à se montrer. Rien n'était changé en pratique, le mystère n'était pas éclairci, mais il avait enfin la possibilité virtuelle, éventuelle, d'entrer dans une problématique.

 


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