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Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, ses livres                     Derrida, ses livres
Sources (*) :              
Jacques Derrida - "Donner le temps. I. La fausse monnaie", Ed : Galilée, 1991,

Donner le temps I. La fausse monnaie (Jacques Derrida, 1991) [DLT]

   
   
   
                 
                       

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Table

Le "trajet" (pour employer un terme utilisé par Derrida lui-même) de cet ouvrage correspond à celui des cinq premières séances d'un séminaire donné sous le même titre en 1978-79 à l'ENS et à Yale. Derrida a repris ce contenu en quatre conférences (Carpenter lectures) à l'université de Chicago en avril 1991. Ces conférences sont reprises en quatre chapitres dans ce livre. Jacques Derrida précise (p135) que la réflexion qui a conduit à ces conférences était contemporaine d'un autre texte, Le facteur de la vérité, intégré dans La carte postale (1980), mais dont la première publication date de 1975. Le lien est étroit entre le présent texte, qui contient une analyse détaillée d'une nouvelle de Baudelaire, La fausse monnaie, et la critique que Derrida fait de l'interprétation lacanienne d'une autre nouvelle, La lettre volée d'Edgar Poe, traduite en français par le même Baudelaire. En analysant le don, Jacques Derrida répond à Jacques Lacan. Les huit dernières séances du séminaire (sur quatorze) ont été publiées en 2021 sous le titre Donner le temps II, mais la sixième séance reste inédite.

 

p9 : Avertissement

1. p11 : Le temps du roi

2. p51 : Folie de la raison économique : un don sans présent

3. p95 : "La fausse monnaie" I. Poétique du tabac (Baudelaire, peintre de la vie moderne)

4. p139 : "La fausse monnaie" II. Don et contre-don, l'excuse et le pardon (Baudelaire et l'histoire de la dédicace)

p221 : Appendice : Baudelaire, La fausse monnaie.

 

En qualifiant de "tome 1" ce livre, Derrida annonce un tome 2. Dans le Prière d'insérer de Donner la mort, paru en 1992, il précise que Donner la mort n'est pas ce tome 2.

Ce livre a une particularité. En dépliant la page 220, on trouve le texte de Baudelaire, La fausse monnaie, qu'on peut consulter en permanence. Ainsi non seulement Derrida a-t-il "emprunté" le titre de Baudelaire, La fausse monnaie, (une fois en sous-titre du livre, et deux fois comme titre des chapitres 3 et 4), non seulement il a doublement cité son texte (pp48-49 et p220), mais en outre il a emprunté la dédicace de Baudelaire à Arsène Houssaye, qu'il cite intégralement (pp116-117). "Oui (dit l'ami de Baudelaire), vous avez raison; il n'est pas de plaisir plus doux que de surprendre un homme en lui donnant plus qu'il n'espère". Sans doute Baudelaire aurait-il été surpris du don involontaire qu'il faisait, qui a conduit un philosophe à faire dire à ce texte plus qu'il ne disait.

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Il faut donner, c'est la loi, et il faut rendre compte de cette loi qui oblige à donner. Et pourquoi le faudrait-il? Avant même le commencement, avant la parole et la loi, vient un don premier par lequel le serment, la foi jurée, la confiance, peuvent s'instaurer. Sans ce don, nous ne serions pas engagés dans le cercle du temps, de l'échange, de l'être et du langage, nous n'entrerions dans aucune logique de dette et de restitution. La nouvelle de Baudelaire commence par une consumation gratuite (celle du tabac) qui évoque ce temps d'avant le premier temps. Elle se termine par un jugement abrupt du narrateur : s'il faut donner au mendiant, et toujours plus qu'il ne l'espère, s'il faut répondre à sa demande qui exige la justice, s'il est impardonnable de ne lui laisser que de la fausse monnaie, c'est parce que cela reviendrait à nier, à annuler la confiance consentie par ce don initial.

Nous voici donc confrontés à l'impossible, à cette figure même de l'impossible qu'est le don.

1. Le don pur exclut toute récompense, toute reconnaissance, tout retour, toute symétrie ou réciprocité (car alors ce ne serait plus un don). C'est un mouvement de différance, un temps d'exagération et d'excès, de démesure, une folie disséminatrice limitée par aucune ligne, aucun bord, aucun trait indivisible. Il ne peut y avoir don sans une effraction de l'équilibre courant des échanges, une perturbation de l'ordre des causalités. Même alors, le don ne se donne pas "comme tel". La chose donnée n'est ni un objet, ni un contenu, c'est un faire, une performance, un décalage, un écart donné-donnant, une auto-affection qui produit le temps et la différence. La force qui donne n'est rien; et quand "ça donne", ça oublie que ça donne, immédiatement et radicalement, ça part en fumée. Il n'en reste que des traces ou des cendres. Le secret est scellé, crypté, indéchiffrable. Comme la mort, il ne revient pas à l'instance donatrice.

2. Dans la vie courante, dans nos sociétés comme dans les sociétés mélanésiennes décrites par Marcel Mauss dans son Essai sur le don, un don engage toujours dans une circularité, une circulation des biens et des honneurs. Dès que le don pur s'arrête, on entre dans le règne du calculable, du rituel, du sacrificiel, de la dette, du symbolique (au sens de Lacan), du subjectif. Ou encore : dès que le don est transformé en échange symbolique, il est annihilé et détruit.

Le don est ambivalent, aussi ambivalent que la langue ou la nature.

 

 

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Formulations à partir de ce texte (les têtes de chapitre sont entre crochets) :

 

Le cercle est un symbole, le symbole du symbolique même - qui se produit dès qu'un sujet arrête le don

La demande de l'autre - muette, infinie, insupportable - n'est pas seulement une imploration, c'est aussi une figure de la loi qui exige la justice

Avant le commencement, avant la parole, avant la loi, il y a un premier partage, un don qui semble ne rien donner

Le don est un mouvement de différance temporelle qui diffère de l'échange par l'excès, la démesure

Le don (s'il y en a) ne peut être limité par aucune ligne, aucun bord, aucun trait indivisible

Partout où domine le "temps comme cercle", le don est impossible - il ne peut y avoir don qu'à l'instant où une effraction a lieu dans le cercle

Dans la chose donnée, qui appelle le don, le "ça donne" ne se distingue pas du "ça donné", il est donné-donnant

Le sacrifice se distinguera toujours du don pur : la destruction s'y échange contre un bénéfice, une protection ou un statut

Le don est toujours menacé par une folie disséminatrice, où la dépense n'attend aucun retour

Le don, qui ne peut raisonnablement se donner "comme tel" qu'à condition de rester impossible, est contaminé par la folie

Il faut donner, c'est la loi - et il faut rendre compte de cette loi qui oblige à donner

La mort est cette fatalité par laquelle un don est destiné à ne pas revenir à l'instance donatrice

Il faudrait penser l'oubli dans la condition du don, et le don dans la condition d'un oubli radical, absolu

Dans le don, ce qui est donné n'est pas un contenu, mais l'acte de donner comme oeuvre, performance

Le don présuppose un système d'échange circulaire; mais il n'y a don, s'il y en a, que dans ce qui interrompt ce système - et annihile le don

Il n'y a don - s'il y en a - qu'en un lieu non localisé où le secret est scellé, crypté, indéchiffrable

Il suffit d'une simple reconnaissance du sens intentionnel du don, d'une identification, d'une garde, pour qu'il soit transformé en échange symbolique, annulé et détruit

Dans la chose qu'on donne, à même cette chose, une force qui n'est rien [la différance] donne le temps

Il n'y a de problématique du don qu'à partir de la trace et du texte

Dans "Il y a de l'être" ("Es gibt Sein"), ne sont donnés que l'être et le temps, qui ne sont rien

La dimension du "Il y a" s'ouvre dans l'écart entre l'impossible et le pensable

La langue est un phénomène de don-contre-don, un donner/prendre où se dit, s'écrit, se replie l'ambivalence du don

Le don, qui se donne à penser comme la figure même de l'impossible, est à la fois ce qui circule dans une économie et ce qui l'interrompt

Le don est l'effet de rien : imprévisible et inexplicable, il doit, comme l'événement ou la création, perturber l'ordre des causalités

Donner par surprise à l'autre, tel est le plus grand plaisir qu'on puisse se donner, celui qui fait surgir le nouveau au plus proche de la cause de soi, de l'auto-affection

Avec tous ses "autres" (l'art, la loi, la liberté, la société, l'esprit, etc...), le concept de nature déploie la logique du don, qui est celle de la différance

Un texte est destiné à partir en cendre ou en fumée, il raconte une histoire de don, de dissémination absolue, qui lui fait déborder son cadre

Le sujet en tant que tel (identifiable, bordé, posé) ne donne jamais rien dont il ne calcule la réappropriation, l'échange ou le retour circulaire

Comme dans "La fausse monnaie" de Baudelaire, un titre engendre, quasiment à l'infini, des divisions et des déhiscences

Donner le temps I. La fausse monnaie (Jacques Derrida, 1991) [DLT]

 


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1991_DLTDLT

YYA.1991.Derrida.Jacques

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