Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, la traduction                     Derrida, la traduction
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 28 avril 2010 Orlolivre : comment ne pas babéliser?

[Derrida, la traduction]

Orlolivre : comment ne pas babéliser? Autres renvois :
   

Derrida, la langue

   

Derrida, la tour de Babel

   
                 
                       

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1. Première loi : "Il faut traduire".

Il faut traduire, Derrida prononce cette phrase deux fois en juin 1984, la première pour la conférence qui a servi de base à la rédaction de Schibboleth (octobre 1984), et la seconde pour la communication qui sera publiée en 1987 sous le titre Théologie de la traduction. Il la développe ensuite dans un texte de 1985, Des tours de Babel.

Il faut traduire, cela vaut pour le traducteur, et aussi pour le philosophe. Entre ces deux tâches, il y a une affinité essentielle. Pour faire survivre les œuvres de la tradition, le philosophe doit les traduire dans une autre langue, un autre idiome qui lui est contemporain. Il n'a pas pour tâche la simple transposition d'un système, d'un sens ou d'un signifié, mais l'invention d'un autre idiome, un idiome singulier où de nouveaux concepts font irruption. Dans le sillage de la théologie (y compris la théologie dite négative), il doit construire des énoncés répétables, formalisables et transmissibles, sans jamais se soustraire à l'exigence d'une traductibilité illimitée, générale. Il faudrait que les énoncés philosophiques soient tous inter-traduisibles. Mais dans le mouvement même où elle accomplit cela, la philosophie vient en plus. En se posant comme supplément de ce qu'elle est sensée traduire, elle supplée à ce qui est devenu un manque intraduisible.

Pour comprendre, il faut traduire de la manière la plus juste, la meilleure, la plus appropriée, opportune, justifiée, pertinente, bien accordée, aussi univoque que possible. Cette contrainte ou cette tâche, c'est l'essence de la traduction, pour laquelle, dans son article Qu'est-ce qu'une traduction "relevante"? (novembre 1998), Derrida a choisi le mot relève. Relever, c'est élever, offrir une "auréole de gloire". Il s'agit dans le même temps de remplacer, d'équilibrer, d'altérer l'original et de l'attirer vers le haut. On traduit comme on pardonne, par un geste transcendant qui conserve ce qu'il supprime (la faute, le parjure), à la façon de l'Aufhebung hegelienne.

Cette phrase, on peut l'associer à un autre impératif qui reste implicite, Il faut œuvrer. Traduire, c'est aussi faire œuvre.

 

2. Deuxième loi : Rien n'est jamais intraduisible, et rien n'est jamais traduisible.

A toute œuvre s'attache un double endettement. D'une part, elle proclame, sans qu'aucun destinataire particulier ne soit désigné : Je ne survis que si l'on me traduit. D'autre part, le traducteur est déjà engagé. Je reconnais avoir pour tâche, pour mission de traduire ce texte, cette langue, cette œuvre. La loi de la traduction, c'est que ces deux dettes doivent rester insolvables. Jamais le traducteur ne réussira à restituer intégralement ce qui est à traduire; et jamais l'œuvre originale, non traduite, ne sera lue ou interprétée dans son intégralité (ou dans son intégrité). Il y aura toujours du manque, du défaut. L'œuvre exige la survie, elle pleure pour qu'on la traduise, mais cette traduction sera toujours insatisfaisante, partielle.

On ne peut parler, enseigner, écrire, que dans l'épreuve de la traduction. Il faut bien comprendre, expliquer, donner un sens, et pour cela choisir les mots les plus adéquats, les mieux appropriés. Principe économique : pour des raisons esthétiques, sensibles, prosodiques, il faut que l'œuvre traduite ait à peu près la même quantité de mots que l'œuvre à traduire. La meilleure traduction est la plus propre, la plus calculable. Mais le sens déborde le mot. Sur la base de cette unité de mesure qu'est le mot, la traduction est toujours infidèle - il faut reconnaître l'impossibilité de traduire le texte, son anéconomie essentielle.

 

3. Troisième loi : laisser l'original intact.

Selon Walter Benjamin, un traducteur doit toujours partir de l'original, et non pas re-traduire une traduction. Seul l'original contient le noyau, non traductible, intouchable et intouché, sur lequel s'oriente le travail du traducteur. C'est l'idée d'un langage pur, authentique, une sorte de texte sacré qu'il faudrait à la fois préserver et révéler par le biais de la traduction. Le statut de ce "texte sacré" est différent selon les auteurs et les pratiques :

- pour interpréter l'original, le traduire, le réinventer, le déplacer, il faut bien le garder, le conserver. On ne peut pas toucher à l'original, tel est l'axiome de tout traducteur. Ce texte initial est un original mais pas une origine. Dans la pratique de la traduction, il est intouchable. Chaque fois qu'on le traduit, on le désacralise, mais pour autant qu'il est intraduisible (en tant que nom propre, texte littéraire ou poétique, œuvre, etc.), on le sacralise. Entre la langue sacrée et la langue séculière, il y a toujours un aller-retour, une confusion, un brouillage. Le texte traduit n'est qu'une interprétation, il ne faut pas le confondre avec l'original, et cependant on peut le lire comme une version parmi d'autres (pas la seule) de l'à-traduire invisible, indicible, irréductible à un seul sens.

- cet intouchable ne doit pas être confondu avec le fantasme d'une langue originaire, une langue d'avant les langues courantes, qu'on pourrait espérer retrouver ou sauver de l'oubli à la façon de la langue grecque chez Heidegger. Cet "original" pur et vierge, cette langue présupposée authentique, identique à soi, n'existe pas. Toute langue, y compris maternelle, est marquée d'altérité.

- un texte constitué uniquement de noms propres, de noms singuliers, serait intraduisible. Ni conceptuel, ni formalisable, ni instrumentalisable, ce serait le nom de Dieu, une langue sacrée dans le sens le plus théologique, morte-vivante, impossible.

En reconnaissant que la traduction est une création de l'esprit, le droit d'auteur, qui exige le respect de l'original, exige aussi le respect du texte traduit.

 

4. Quatrième loi : préserver l'idiome intraduisible.

Si l'original doit rester intact, intouchable, ce n'est pas seulement pour faciliter de nouvelles traductions, c'est à cause de ce qui résiste en lui, de ce reste qu'il faut respecter car il est impossible à restituer dans une écriture organisée, calculée. Ce constat conduit à une quatrième loi, qui nous invite à une responsabilité redoutable et inéluctable : préserver la singularité de l'idiome intraduisible. Cela passe par le mot, sa forme sonore ou graphique, les homonymies, les homophonies, tout ce qui est irréductible au sens. Prendre ces éléments en considération, ce n'est pas qu'une question linguistique, c'est une question éthique.

Avec Ulysse et Finnegans Wake, Joyce a fabriqué une extraordinaire machine d'écriture qui parle plusieurs langues à la fois. Son texte appelle la traduction dans la langue du lecteur, mais traduire effectivement serait l'effacer. La traduction ne garde pas l'oeuvre intacte. En contribuant à sa survie, elle la transforme. Ainsi le texte de Joyce s'écarte-t-il du savoir académique, classique, qui repose sur la notion d'une traduction sans reste. Il rappelle que deux mots dans une autre langue ne peuvent être traduits que par plus de deux mots. On trouve la même exigence chez Shakespeare : une simple phrase, comme The time is out of joint, peut produire une multiplicité de traductions tout en restant insaisissable.

L'épaisseur du corps, absolument rétive à la traduction, se retrouve dans tout ce que, dans une oeuvre, Artaud nommait subjectile. D'ailleurs le mot subjectile lui-même est intraduisible, comme est intraduisible ce qu'il nomme.

L'intraduisible est indissociable de l'inconditionnel. Là où il est irréductible, que ce soit par non-savoir, par bêtise ou pour n'importe quelle autre raison, des valeurs sont produites, qui sonnent comme des "a priori". Ainsi naissent, performativement, les axiomes.

Le poème exige que soit traduit l'intraduisible. Traduis-moi! dit-il, comme pour mettre à l'épreuve le lecteur en sachant par avance que les résistances à cette traduction imposée seront inépuisables. On ne peut pas plus traduire un poème qu'on ne peut transformer en monnaie la livre de chair exigée par Shylock dans Le marchand de Venise. Chaque fois, c'est l'expérience de l'impossible, de l'intraduisible, de l'insolvable portée par l'étranger. Le chrétien explique au Juif qu'il ne doit pas s'accrocher à la livre de chair, qu'il doit accorder le pardon à son ennemi. Mais le Juif résiste. La livre de chair est, pour lui, irrelevable. Il ne veut pas de compromis, d'équivalence. Il se soustrait dans le même temps à la spiritualisation qu'on exige de lui et à la logique de l'échange. La livre de chair, impossible à découper sans faire couler le sang, occupe la même place que le Schibboleth : un lieu énigmatique encrypté, intraduisible, ancré dans un corps unique, sans équivalent.

Cela reconduit à la position personnelle de Jacques Derrida. Pour ne pas effacer l'étranger en lui, il doit laisser place à plusieurs langues (son idiome et les autres). S'il n'en parlait qu'une seule, ce serait l'échec de la déconstruction. En plaçant son oeuvre entière sous l'égide de l'injonction : "Il faut traduire", sans jamais aller jusqu'au bout de cet impératif, il préserve le principe de la multiplicité des langues.

 

5. Le contrat de traduction.

Le traducteur s'engage à rendre quelque chose de l'original, à restituer le don du texte qui exige d'être traduit. Ce n'est pas un engagement à l'égard d'une personne, mais à l'égard d'un nom, des mots d'un texte. Ce qui se joue n'est pas seulement un lien entre deux écrits, c'est un lien avec une chose innommable, inaccessible : l'à-traduire, qu'un écrit ne peut jamais ni épuiser ni saturer. Il faut à la fois innover, inventer un texte qui diffère de l'original, et se réconcilier avec lui.

Le contrat de traduction est singulier, exceptionnel, car il engage au-delà de son contenu. En enrichissant la langue de départ autant que la langue d'arrivée, il contribue à l'invention d'un nouvel idiome, unique. En faisant grandir, croître l'original, en le transformant, il promet une alliance entre les langues qui déborde les usages métaphoriques (ammétaphore, métamphore).

Prendre un engagement dans une langue étrangère qu'on connaît mal, c'est irresponsable. On ne peut s'engager valablement que dans une langue que l'on maîtrise. Mais c'est toujours avec un autre qu'on prend un engagement. Comme je ne suis jamais sûr que son idiome est le même que le mien, il y a un problème de traduction. La situation de tout contrat est babélienne : sans transparence linguistique, il ne peut pas y avoir de contrat; mais on ne peut s'engager dans un contrat qu'avec l'autre. Un contrat reste une alliance dissymétrique, qui ne réussit jamais à faire correspondre les morceaux du symbolon.

 

6. Le principe de la traduction contaminante.

Nicolas Abraham propose un nouveau concept, dit anasémique, de traduction. Selon lui, la psychanalyse est une traduction dans une autre langue, jamais présente, définitivement étrangère, qui n'a pas de sens. Des mots comme inconscient, libido, pulsion, introjection, incorporation, crypte, fantôme, restent indéchiffrables. Il s'agit d'un noyau imprésentable, dépourvu de l'écorce qui le rendrait comparable à la langue courante. Selon Derrida, traduire cet imprésentable dans le discours de la présence est impossible. La traduction en langue usuelle (y compris philosophique) ne peut être qu'une transformation, une mutation, une conversion. Avec la déconstruction qui introduit, dans les champs du savoir, un principe de transfert ou de déplacement, il arrive quelque chose de nouveau, une contamination. D'un côté, elle aborde des textes, des thèmes, des problématiques héritées de l'histoire de la philosophie (elle reste dans le champ de la présence); mais d'un autre côté, elle rapporte ces thèmes à des non-concepts comme différance, dissémination, trace.

Cela vaut pour les langues humaines, et aussi pour d'autres idiomes, par exemple ceux que nous appelons animaux. Ces idiomes sont intraduisibles dans la langue courante (y compris philosophique). Nous ne pouvons les traiter que comme des problèmes de traduction, sur la base des limites que nous établissons, mais ces limites ne sont que des interprétations.

Quand Derrida proclame qu'il se rêve en avocat des puissants, devant le Tribunal de Nuremberg, parlant leur langue (grec, allemand, logos), il répond à l'obligation de traduire l'intraduisible. Il en a honte, il se sent coupable - mais c'est un devoir, une obligation.

 

7. Un babélisme généralisé.

Le récit de la Tour de Babel occupe dans l'œuvre derridienne une place singulière, unique. Babel n'est pas une figure comme les autres. C'est le nom propre de l'unicité (une langue) et aussi un nom commun (plus d'une langue) qui sème la confusion. C'est un texte, un récit, une métaphore, un mythe et aussi la marque d'un interdit, d'une limite. En choisissant ce nom, Babel, en dispersant les langues, Yhvh ordonne de traduire, il fait don d'une tâche impossible, aporétique. D'un côté, il oblige à des écarts entre langues, il ouvre la différance; et d'un autre côté, il inaugure un nouveau type de contrat, chaque fois unique, une alliance dissymétrique, hétéronomique, qui promet autre chose : une invention, une semence, une émergence aussi singulière que la naissance d'un enfant.

Ce qui est à traduire n'est pas une idée au sens de Platon. Il ne s'agit ni de spiritualisation, ni d'élévation, ni de relève au sens hégélien, mais d'une écriture promise, interdite, secrète, aussi intouchable et imprononçable que le nom de Dieu. En ce lieu où le langage est transformé, augmenté, un acte performatif est mis en œuvre, un mouvement incomparable ouvre la tâche qui nous incombe encore aujourd'hui, celle d'un retrait inouï qui exige d'être traduit. Plus qu'une déclaration, c'est un appel, un cri : j'ai promis d'accéder au lieu d'une traduction réussie, et je ne peux que me parjurer. En me laisant entraîner vers ce lieu, "Je me déconstruis!".

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Propositions

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La traduction n'est ni une réception, ni une communication, ni une reproduction d'un texte dans une autre langue : c'est une opération destinée à assurer sa survie comme oeuvre

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Pour survivre comme texte sacré, messianique, un original promet à la fois l'accroissement des langues, leur parenté et leur réconciliation

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"On ne peut pas toucher à l'original"; il faut cet axiome - qui garantit la pureté de l'original - pour interpréter, déplacer, traduire et inventer

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[La déconstruction s'apparente à une traduction nécessaire et impossible, interdite et imposée, dont la tâche serait de faire survivre et croître les oeuvres de la tradition]

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Nécessaire et impossible, la performance de Babel instaure, d'un coup de nom propre, la loi de la traduction, et aussi une dette dont on ne peut plus s'acquitter

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La traduction (deux fois une langue) ne peut qu'échouer, car elle efface l'étranger en soi (au moins deux langues)

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Rien n'est jamais intraduisible et rien n'est jamais traduisible

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Est relevante une traduction dont l'économie est la meilleure possible : la plus propre et la plus calculable

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En son essence, le pardon est relève, Aufhebung

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Traduire, c'est garder la mémoire endeuillée d'un original (une livre de chair), c'est accorder par une transaction le salut à ce corps unique, singulier, perdu

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La traduction répond à une double dette insolvable : celle du traducteur à l'égard de ce qui est "à-traduire"; et celle de l'"oeuvre originale", à laquelle il manque quelque chose

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[Traduire un poème, c'est témoigner d'une rencontre, d'une éthique du rapport à l'autre, où chaque fois s'invente un nouvel idiome, unique]

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Le contrat de traduction est exceptionnel, unique, absolument singulier; en engageant des noms, il exhibe, avant le langage, l'affinité a priori entre les langues

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Le contrat de traduction - hymen ou contrat de mariage - promet une semence, l'invention d'un enfant qui donnera lieu à histoire et croissance

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Le traducteur est lié par un contrat où la responsabilité dans sa langue maternelle s'allie à l'irresponsabilité dans la langue de l'autre

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La traduction opère comme "symbolon" : elle restitue ce qui est "à traduire" sans copier ni représenter, elle fait croître le langage en le transformant et en l'ajointant

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Une oeuvre survit par accroissement métaphorique au-delà de son contenu (métamphore), jusqu'à ce que la métaphore elle-même soit débordée (ammétaphore)

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Il y a du Babel partout : chaque fois qu'il y a du nom propre, de l'intraduisible, chaque fois qu'on crée une oeuvre, ça sacralise, ça produit du texte sacré

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L'énigme du Schibboleth se confond avec celle de la traduction, dans sa dimension essentielle

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La philosophie de la traduction, aujourd'hui, ce serait une linguistique, une éthique du mot

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"Tout faire pour sauver, dans la langue et dans l'image, la singularité de l'idiome intraduisible" - tel est le souci principal, la responsabilité à prendre

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L'enjeu de la question de la bêtise, c'est le point d'intraduisibilité, de non-savoir, où la production performative de valeurs se fait axiome

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"Subjectile", ce mot intraduisible, est lui-même un subjectile

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"Déconstruction", "différance", "dissémination" ou "trace" sont des "non-concepts" : des mots intraduisibles qui n'ont pas de contenu sémantique au-delà du langage

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Ce qui est dû à Shylock, le Juif, c'est l'intraduisible, l'impossible, l'incalculable, l'insolvable même

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Freud cherche à déchiffrer une "écriture originelle", mais ne trouve qu'un résidu idiomatique, irréductible, intraduisible, qui porte le poids de l'interprétation

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Nicolas Abraham traduit la langue de la psychanalyse dans "une autre langue", une nouvelle langue anasémique, incomparable à aucune autre

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On peut lire chaque texte de Jacques Derrida comme le projet d'un "autre" concept de traduction : inventer un idiome singulier, par l'irruption imprévisible d'une "autre" langue

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En proposant un nouveau concept anasémique de traduction, hors de lui-même, Nicolas Abraham opère une conversion, une transmutation

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La déconstruction, qui va toujours "avec" quelque chose d'autre, introduit dans tous les champs un principe de contamination, de transfert ou de traduction

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Le droit d'auteur suppose un "original" pur, vierge, intouchable et identique à soi

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Un chef d'oeuvre est en mouvement, à la manière d'un fantôme : il est hanté par une Chose qui résiste, insaisissable, à la mémoire et à la traduction qu'il appelle

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Les analystes de l'"Homme aux loups", connus ou inconnus, ont produit à plusieurs voix une traduction inventive, une oeuvre de langue, une oeuvre de vie, un poème

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Comme le Dieu de Babel, l'oeuvre pleure après la traduction; elle exige que le nom qu'elle donne, intraduisible, soit lu et déchiffré

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L'événement du texte sacré, c'est qu'en commandant une traduction sans laquelle il ne serait rien, il se fait acte de langage, modèle et limite de toute écriture

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Traduire, c'est viser l'essence, la racine commune du littéraire et du sacré, c'est promettre un hymen, une réconciliation, un contrat qui préserverait l'intouchable et la brisure

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[Le nom de Babel renvoie à une langue inconnue, inintelligible, sainte, où l'absolument singulier, impossible à traduire dans aucune langue courante, se produit]

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Dans le texte sacré, le nom de Dieu (Babel) est le nom de tous les noms propres; ils sont intraduisibles, et pourtant exigent la lecture, l'interprétation, la traduction

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En parlant dans sa langue maternelle, séculière (l'allemand), pour dire le mal qui va arriver à la langue sacrée (l'hébreu), Scholem brouille la distinction sacré / séculier

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Babel n'est pas une figure parmi d'autres : c'est le mythe de l'origine du mythe, la métaphore de la métaphore, le récit du récit, la traduction de la traduction

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Babel, c'est à la fois le nom propre de l'unicité (une langue), et un nom commun semant la confusion (plus d'une langue)

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En choisissant de se donner à lui-même le nom Babel, Yhvh donne à traduire [il faut traduire] et à ne pas traduire [il ne faut pas traduire]

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"Il faut traduire" : cette traductibilité illimitée, générale, c'est la tâche de la philosophie comme supplément du monde

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L'université repose sur un concept de compétence capable de traduire sans reste un corpus objectif - un modèle que tout nouvel événement, s'il est intraduisible, vient ruiner

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Les énoncés de la théologie négative, vides de toute plénitude intuitive, sont répétables, formalisables, transmissibles et, en principe, traductibles sans limite

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Une loi au-dessus des lois (Ananké), produite par aucun désir, rend possible le fantasme d'une autre langue intouchable, irréductible, introuvable : l'intact de l'intact

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Tout ce qu'on interprète comme différences entre l'animal et l'humain, tous les mots qu'on emploie, reviennent à des problèmes de traduction

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Entre l'écriture cinématographique, qui est nécessairement calculée, et la parole venue à l'improviste, il y a intraduisibilité

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[La tâche qui nous incombe aujourd'hui, c'est de mettre en oeuvre le retrait inouï qui exige, inconditionnellement, d'être traduit]

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Jacques Derrida se rêve en avocat des puissants devant le Tribunal de Nuremberg : il doit parler pour les défendre des langues qui ne sont pas les siennes : grec, allemand, logos

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Pour le mettre en oeuvre, Jacques Derrida traduit le "Babel" de Dieu en "Je me déconstruis"

 


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