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de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, violence, cruauté                     Derrida, violence, cruauté
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 20 février 2020 Orlolivre : comment ne pas meurtrir?

[Derrida, cruauté, violence]

Orlolivre : comment ne pas meurtrir? Autres renvois :
   

Derrida, le pire, le mal radical

   
   
                 
                       

1. Archi-écriture, nomination.

Si l'on considère les débuts de l'œuvre derridienne (chronologiquement), c'est à propos de l'écriture que la question de la violence est posée. Avant même l'origine, il aura fallu que l'unique, le singulier s'inscrive dans le système du langage, il aura fallu qu'une nomination, une archi-écriture fasse disparaître le "propre", il aura fallu que d'un seul coup, d'un seul trait, le graphein efface le singulier, il aura fallu cette archi-violence pré-originaire pour que le graphein se retire au profit du graphème (écriture), unité de base de tout système, qui peut se léguer ou se transmettre. Au-delà de cette double violence, le jeu de la différence classificatoire aura pu commencer. Nommer est un don généreux, inaugural, mais c'est aussi arraisonner, identifier, s'approprier violemment ce qu'on nomme. Qu'elle soit effacée, oubliée, perdue ou gardée, qu'elle s'impose ou qu'elle contamine par greffe ou hybridation, la trace ne va jamais sans violence. Quant à l'archi-trace, elle a déjà disparu dans l'oubli, elle n'existe plus.

Avec cette première violence se mettent en place les oppositions binaires, les systèmes, les mises en ordre qui excluent les termes paradoxaux ou ambigus - du type pharmakon. C'est ce qu'on appelle la métaphysique. Avec elle, par la voix, s'énonce et s'intériorise la vérité.

 

2. La violence pré-originaire, ses figures et ses masques.

L'écriture a été le premier lieu, le premier champ conceptuel où Derrida a traqué l'effacement du singulier, mais ce schème est revenu dans beaucoup d'autres champs. Peut-être peut-on lire l'œuvre derridienne comme la succession de ces champs où quelque chose d'immaîtrisable, d'incontrôlé voire d'intouchable, s'impose violemment : la folie, la pulsion de mort (Freud), l'arrêt de mort (Blanchot), la lutte à mort (Hegel), le nationalisme, la cruauté, le Walten ou Gewalt de Heidegger (une force brute, qui ne porte ni la vie ni la mort), la violence divine de Benjamin (Walter), le souverain, la peine de mort et toutes les inconditionnalités, de la justice à l'hospitalité. Il a multiplié les thématiques et les motifs qui renvoient chaque fois à une violence pré-originaire (pas toujours la même, une autre, chaque fois unique) qu'il faut oublier pour se rassembler, pour vivre ensemble, par exemple dans une nation.

 

3. Expropriations.

Avant même la naissance, le propre était déjà exproprié. Antonin Artaud est la figure la plus connue et la plus radicale de la protestation contre ce scandale. Il le dénonce avec autant de force qu'il le proclame : à peine né on l'avait déjà trahi, on lui avait déjà dérobé son moi. C'est une imposture, un forfait. Dans chacun de ses textes ou de ses dessins, il réitère à la fois la révolte et le coup, il transmue la violence subie en vengeance qu'il accomplit au théâtre par le cri ou sur le papier par le geste.

 

4. Violence ou cruauté?

Dans la dernière partie de sa vie, Jacques Derrida a préféré le mot cruauté (en allemand Grausamkeit) à d'autres mots comme violence, haine ou sadisme. C'est celui qu'il utilise en 2000, dans Etats d'âme de la psychanalyse, le dernier grand texte qu'il consacre à la pulsion de mort freudienne. La cruauté mobilise un "Qui" et pas seulement un "Quoi". Freud parle de cruauté psychique quand il évoque le "plaisir pris à l'agression et à la destruction". Ce mot difficile à délimiter, déterminer ou définir est énigmatique. Chaque fois qu'on veut dire le plaisir dans la souffrance, il revient. Son obscurité tient notamment au fait qu'aucun terme ne lui est clairement opposable. Si l'on tente de limiter la cruauté, d'autres cruautés seront inventées, toujours et encore, elle reviendra sous d'autres formes. C'est une particularité de l'humain, qui dépasse tout ce que peuvent faire les animaux. Freud (et seulement lui) a reconnu cette irréductibilité, il l'a repérée comme principe qui vient au commencement, et que rien dans la culture ne suffit à contrebalancer. Mais Freud n'a pas analysé les nouvelles formes de la cruauté qui se déchaînent aujourd'hui. Elles aussi irréductibles à la logique du conscient, elles s'en prennent à tout ce qui fait monde : territoires, limites, fondements. C'est un principe de ruine qui allie la calculabilité technoscientifique la plus avancée à la sauvagerie la plus archaïque.

 

5. Mal radical, archive.

Jacques Derrida a nommé anarchive une force de destruction ou d'annihilation qui ne laisse derrière elle ni reste, ni document, ni monument, ni trace - ni archive. A cette anarchive est associée la figure de la cendre - pas la cendre réelle dont on peut analyser la composition, mais la figure d'une chose qui reste après qu'on ait détruit jusqu'à la possibilité même de l'anéantissement. Avec cet effacement, il n'y a plus ni réitération, ni sur-vie vivante, ni même l'éventualité d'un avenir.

Pour ce mal pire encore que le mal, on peut retenir l'expression mal radical inaugurée par Kant. Détachée du "Qui", elle se transforme en mécanisme aveugle, en calculabilité universelle et irresponsable, en mal d'abstraction. C'est le lieu d'un silence primitif immémorial, un "Quoi" sans mesure et sans fond, où même l'ennemi n'est plus identifiable. Peut-être ce lieu est-il porté aujourd'hui par la machine ou les technosciences.

Il faut distinguer l'archive de ce avec quoi on la confond trop souvent : l'expérience de la mémoire, le retour à l'origine, l'archaïque, l'archéologique, le souvenir. Pour qu'il y ait archive, il faut un lieu extérieur, des institutions, des techniques de consignation, une topographie, une autorité. En interprétant, l'archonte s'approprie violemment les textes et les œuvres. Tout en soutenant la mémoire, il recèle une menace infinie, démesurée, de sélection, d'exclusion, de suppression, une cruauté aannihilatrice qui l'excède.

Ce mal a un nom biblique, sous-jacent mais rarement utilisé par Derrida : Amaleq.

 

6. Dette.

La violence produit le souci de réparation, la dette. Celui qui la subit se sent redevable. Qu'il l'accepte ou qu'il la transgresse, il est toujours dans un rapport d'échange, d'exigence, de demande ou de pardon. Au nom de la dette, on peut, à soi-même, se faire violence.

Dieu lui-même est en dette à l'égard du monde : il peut se mettre en colère, solliciter, demander ou même, lui aussi, demander pardon.

 

7. De la pulsion de pouvoir au pouvoir de l'esprit.

Derrida a renommé pulsion de pouvoir la pulsion d'emprise freudienne. Il ne faut pas confondre cette pulsion avec le coup de force du souverain. Alors que ce dernier est inconditionnel, imprévisible, la pulsion de pouvoir est de l'ordre de la possibilité, d'un Je peux. En fonction des conditions sociales du pouvoir (classes, genres, économie, culture, etc.), elle vient à la fois borner et exprimer la puissance souveraine. Elle contrôle, gouverne et rassure par tous les moyens disponibles : le calcul, la raison, le logos, ou encore le désir d'harmonie, de beauté, le souci de la bonne forme, etc.

Pour fonder le droit, l'inaugurer, le justifier, il faut un coup de force, une violence légale performative, interprétative. Cette structure qui décrète elle-même ce qui est légal ou illégal est tautologique. Qu'elle prenne la forme de décisions, ordres, prescriptions, surveillance ou autorité, elle est spirituelle et implique en même temps pouvoir de police et contrôle. Oubliant le coup de force, elle se transforme en raison, entendement ou logique. La violence souveraine se rassemble dans le logos et son corollaire, la phusis, qui la légitime dans l'ordre du visible.

Il y a dans toute production théorique, philosophique, artistique, une violence analogue. Que celle-ci s'exerce par le concept, le symbole, la métaphore, la catachrèse ou autre, il faut la contrôler, la maîtriser, et aussi la garder, comme dans un musée.

 

8. Au-delà.

On ne peut, selon Derrida, réfléchir à un moyen de contrer la pulsion de mort ou de cruauté qu'en pensant un au-delà du souverain - un acte qui, lui-même, est un coup de force. Ce geste qui n'entre pas dans l'économie du possible est un saut dans l'éthique, une ouverture vers la dimension d'une sur-vie ou d'un plus que la vie, c'est-à-dire d'une vie qui pourrait s'affirmer indépendamment de toute dette, de toute économie, ce qu'il nomme aussi de façon plus énigmatique l'au-delà de l'au-delà.

 

9. Non-violence, réparation.

En 1963, dans Violence et métaphysique, Derrida conteste la possibilité d'une "non-violence pure" telle qu'elle est affirmée par Levinas. Il ne changera jamais d'avis sur cette non-possibilité, mais néanmoins plus tard, cette non-violence fera retour, dans le don ou l'hospitalité inconditionnels, en tant qu'impossible. Il faut commencer par une bonté an-archique, une paix, ce que Levinas nomme accueil du visage de l'autre. Ce n'est pas un constat, une naïveté, c'est une exigence, un principe à affirmer au-delà de toute possibilité. Pour laisser venir la justice, c'est contre la violence de l'éthique (au sens courant) qu'il faut se protéger. Cette archi-éthique ne met aucune limite à l'hospitalité, y compris au pire, au nom d'une justice plus juste encore que la justice, tout contre le pire et procédant comme lui par coup de force.

Il n'y a pas de loi sans violence, mais on peut, peut-être, faire en sorte que cette violence ne blesse plus.

 

10. Une alliance avec le tout autre.

Exiger la justice, c'est s'incliner devant ce qui arrive dans l'urgence et la précipitation, avec la violence irruptive d'un performatif, de la manière la plus indécidable, inconnaissable. La justice n'attend pas. Il ne lui faut aucune justification, aucun savoir théorique ou historique, aucune réflexion, aucune délibération. Elle est requise immédiatement, sur le champ, comme une folie qui déchire le temps et défie les dialectiques, à la manière de la violence divine nommée par Benjamin, cette violence du Tout-autre qui a donné à l'homme le pouvoir de nommer. C'est une contrainte, une obligation, un devoir. Choisir cette alliance n'est pas un acte de maîtrise, c'est un risque.

Dans la bible, la loi de Moïse ne s'impose pas par consensus, mais par une vengeance divine consécutive à la faute du veau d'or. L'alliance ne résulte ni d'un contrat, ni d'un calcul rationnel, mais d'un acquiescement. Le peuple entérine la loi qui lui arrive écrite, par l'intermédiaire d'un prophète, et s'il la rationalise, c'est seulement dans un second temps, pour se protéger d'une nouvelle vengeance.

 

 

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Propositions

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Penser l'unique dans le système, l'y inscrire, tel est le geste de l'archi-écriture

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Nommer est un don généreux, inaugural, mais c'est aussi arraisonner, identifier, s'approprier violemment ce qu'on nomme

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Le "Walten" est une force dont on ne peut dire ni qu'elle porte la vie, ni qu'elle porte la mort

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L'archive est appropriation violente, prise de pouvoir, et c'est aussi une interprétation, une oeuvre

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La voix pénètre violemment en moi, elle est la voie privilégiée pour l'effraction et l'intériorisation

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Vivre ensemble, rassemblés dans une nation, exige, à même la mémoire, l'oubli des violences originaires qui fondent la nation

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Il appartient à la structure d'une trace de pouvoir s'effacer, s'oublier, se perdre; archiver, c'est sélectionner ce qu'on garde

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La trace elle-même n'existe pas

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Toutes les langues héritières de la métaphysique occidentale ont sur le "pharmakon" un effet d'analyse qui le détruit violemment

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La bonne forme est une conquête de l'espace, elle l'investit, elle le maîtrise, elle s'en empare avec violence

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La production philosophique repose sur la catachrèse, cette métaphore forcée, abusive, qui par un coup de force et contre l'usage, impose à un signe un autre sens

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La violence appartient, par essence, à l'expérience du langage, dans ses usages les plus familiers

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Artaud dit la vérité contre laquelle il proteste avec violence : tout moi, en son nom propre, est appelé à l'expropriation familiale du nouveau-né

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Chaque dessin d'Artaud porte un coup, s'attaque à son destinataire en installant violemment la chose même dans son oeil

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Chaque parole nouvelle peut faire revivre le geste de crise, de violence originaire qui a renfermé la folie, et dont elle garde la trace

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[La violence advient chaque fois qu'une parole adressée à l'"autre comme tel" est compromise]

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Etant exposée à une violence ou un abus toujours possibles (faux témoignage, mensonge, parjure, trahison, etc...), toute adresse à l'autre commence par une demande de pardon

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L'Un ne peut s'affirmer et s'instituer que dans la répétition où, pour se garder de l'autre, il se fait violence

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L'opération qui revient à faire la loi - fonder, inaugurer, justifier le droit - consiste en un coup de force, une violence performative et interprétative

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Tout ce qui touche à la violence du droit est spirituel : un esprit qui se manifeste comme pouvoir, autorité, dictature; qui s'énonce sous forme de décisions, ordres, prescriptions

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La structure fondamentale du droit est tautologique : il se pose en mettant performativement en oeuvre les conventions qui décrètent quelle violence est légale ou illégale

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Dès les débuts de la philosophie grecque, le logos a violemment imposé sa souveraineté, sous le déguisement de la raison, de l'entendement ou de la logique

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Selon Heidegger vers 1930, le Walten - cette violence souveraine qui se commande et se forme elle-même -, se manifeste "comme tel" dans le logos et la phusis

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[Des textes de Heidegger, Jacques Derrida retient un mot dont il use partout de façon délibérée, explicite, insistante et insolite : Walten, Gewalt]

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Par habilitation d'un "Je peux", une pulsion de pouvoir annonce et organise, en-deça et au-delà de tout principe ou pouvoir institué, l'ordre symbolique

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La pulsion d'emprise ou de pouvoir est irréductible à aucune autre : c'est elle qui règle le principe et l'économie du plaisir

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La cruauté psychique, ce désir de faire souffrir pour y prendre plaisir - voire pour jouir du mal radical - est difficile à délimiter, déterminer ou définir

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En cet abîme du sans support, du fond sans fond où nous vivons aujourd'hui, il faut compter avec une nouvelle violence, une cruauté irréductible à la logique du conscient

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Une nouvelle cruauté allie la calculabilité technoscientifique la plus avancée à la sauvagerie la plus archaïque

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Une figure radicale du mal marque notre temps et nul autre : le mal d'abstraction, porté par la machine et les technosciences

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"Psychanalyse" serait le nom de ce qui se tourne, sans alibi religieux, métaphysique ou autre, vers ce que la cruauté psychique aurait de plus propre

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La tâche de tout citoyen, c'est de prendre en compte la discontinuité radicale entre un savoir sur les pulsions de mort et de cruauté, et un saut dans l'éthique, le droit ou la politique

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On ne peut réprimer la pire violence - celle du silence primitif et pré-logique -, respecter l'autre, que dans la finitude d'une expérience, un compromis pacifiant entre le moi et l'autre

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La condition de l'archive est la constitution d'une instance et d'un lieu d'autorité

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L'archive engage la menace infinie de la pulsion de mort : un mal radical qui emporte et ruine jusqu'à son principe

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Quand on ne peut plus identifier la figure de l'ennemi comme telle, alors vient la violence inouïe, le mal radical sans mesure et sans fond

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Dans la lutte à mort hegelienne pour la reconnaissance, il faut détruire violemment, exterminer, mettre à mort, anéantir sans reste, la singularité de l'autre comme telle

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La cendre est la figure de l'anéantissement sans reste, ni mémoire, ni archive - qui menace de détruire jusqu'à la possibilité même de témoigner de l'anéantissement

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La non-violence absolue dont Derrida dénonce, en 1963, l'impossibilité, fera retour plus tard dans son oeuvre comme don ou hospitalité inconditionnels

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Tout commence par la paix, par l'accueil du visage de l'autre dans l'hospitalité; l'hostilité, la guerre, l'allergie, dérivent de l'oubli ou du rejet de cette bonté an-archique

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Il faut l'hospitalité au pire, qui à la fois appelle et exclut le tiers, pour laisser venir la justice, accueillir l'autre et se protéger contre la violence de l'éthique

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L'art du cinéaste, c'est de soumettre, sans violence, la parole à l'image, tout en donnant à entendre cette parole

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La fondation de toute société humaine répond à une violence pré-originaire, une vengeance de Dieu qui peut toujours faire retour

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Le rationalisme ressemble à un système de protection contre le nom singulier de Dieu - cette violence originaire qui impose l'alliance là où il n'y a pas encore de lois

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La justice est toujours requise dans l'urgence et la précipitation, avec la violence irruptive d'un performatif

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[Une nouvelle ère historique se fondera sur la destitution du droit, y compris des pouvoirs dont il dépend, par la violente souveraineté du vivant]

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La violence divine, la plus juste, est indécidable, inconnaissable - et pourtant la seule qui pourrait faire l'objet d'une décision politique, révolutionnaire, ouvrant une ère nouvelle

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C'est toujours l'autre qui signe, le tout autre - cette violence divine qui a donné à l'homme seul le pouvoir de nommer

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