Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Un pas au - delà du Walten heideggerien                     Un pas au - delà du Walten heideggerien
Sources (*) : Derrida, violence, cruauté               Derrida, violence, cruauté
Jacques Derrida - "Séminaire "La bête et le souverain" Volume II (2002-2003)", Ed : Galilée, 2010, p63 Derrida, Heidegger

[Des textes de Heidegger, Jacques Derrida retient un mot dont il use partout de façon délibérée, explicite, insistante et insolite : Walten, Gewalt]

Derrida, Heidegger
   
   
   
Derrida, le pouvoir, le souverain Derrida, le pouvoir, le souverain
La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue    
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1. Le Walten, une découverte tardive.

Derrida indique dans son séminaire 2002-2003 qu'il n'avait pas repéré jusqu'alors le lexique du Walten qui, dit-il, "inonde les textes de Heidegger à partir de 1935" (Sem2002 p15). 1935 est l'année où Heidegger prononce le séminaire Les Concepts fondamentaux de la métaphysique, Monde, Finitude, Solitude, où se trouvent notamment ses thèses sur l'animal, que Derrida commente lors de cette dernière année d'enseignement. Heidegger, dit-il, "fait partout usage, vraiment partout, de façon plus appuyée qu'on ne l'a jamais remarqué, à ma connaissance, (...) de façon insistante et insolite, mais évidemment explicite et délibérée", il fait partout usage de ce lexique du Walten / Gewalt.

Quel lexique? On peut le traduire en français par "régner, gouverner, dominer, prévaloir" mais il y a dans le mot une dimension "de force et de violence imposée (de Gewalt, justement), d'autorité, de pouvoir, de puissance régnante et souveraine" (p63) qui est ce qui intéresse Derrida. Il aura fallu les années 2000 pour que sa prolifération chez Heidegger fasse sens pour lui, et qu'il l'associe à l'excès de puissance de la phusis, dans une "période politique qui n'est pas n'importe laquelle" précise-t-il (p147). En filigrane se trouve la question du nazisme qui est évoquée dans La bête et le souverain (2001-02) et dans Voyous à propos de Carl Schmitt. C'est alors que le vers de Celan Die Welt ist fort, ich muss dich tragen, est mis en relation avec ce vocabulaire heideggerien. Deux écritures, l'une marquée par le nazisme et l'autre par la Shoah.

 

2. Autour de la différance.

Cette découverte, de la part de Derrida, est-elle si nouvelle ? On peut s'interroger quand on relit :

- en 1975, dans un autre séminaire sur La vie la mort, il fait état de ce mot à propos du Bewältigung de Freud, la tendance sadique qui tend à dominer par la force ou la violence. Il est vrai qu'il n'en parle qu'une fois, mais il y a, dans ce même séminaire, un développement sur l'instrumentation de Nietzsche par les nazis, qui n'est peut-être pas sans rapport avec ce Bewältigung.

- en 1989, il repère l'importance du prénom de Benjamin, Walter, dans son texte sur Le Fondement mystique de l'autorité. Ce prénom, rapproché de Gewalt, est associé à un important développement sur la violence divine.

Il y a aussi d'autres mots heideggeriens qui se rapprochent du champ sémantique du Walten : Trieb (1975), ou encore polemos et Kampf dans Politiques de l'amitié (1994). Comme la puissance souveraine du Walten qui ne porte ni la vie, ni la mort, ces mots pourraient s'inscrire dans la graphique de la différance, ce lieu où une force toute autre met en mouvement l'impensable, l'intraduisible, l'innommable. Chaque fois avec des mots différents, Derrida repère, chez Heidegger, des catégories marquées par la violence et l'incertitude, et, comme il le dit dans Béliers, une instance du monde qui "excède ces thèses et ces catégories depuis un tout autre lieu" (p79).

Pour analyser le statut du Walten, on peut partir de la dernière phrase de la dernière séance du dernier séminaire : "La question reste entière de savoir, ce fut la question du séminaire, qui peut mourir ? A qui ce pouvoir est donné ou dénié ? Qui peut la mort, et par la mort mettre en échec la super- ou l'hyper-souveraineté du Walten ?"

Le Walten, c'est donc une super- ou hyper-souveraineté [laquelle ? celle qui déclenche la différance ? celle du nazisme ?], et la question qui se pose pour lui, sur l'ensemble de son dernier séminaire, c'est de la "mettre en échec".

 

3. Unheimlich et Walten, deux valeurs.

A la fin du séminaire, Derrida rapproche cet ensemble lexical, Walten, d'un autre mot qui semble pourtant éloigné, sur lequel il avait déjà insisté dans le premier volume de La bête et le souverain : Unheimlich. Heidegger affirme que, selon les Grecs, l'humain est "le plus souverainement unheimlich" parmi les étants. Le mot traduit par unheimlich est deinon, qu'on peut aussi traduire par inquiétant, effrayant, terrible.

*{Dans son film The Lighthouse, Robert Eggers accumule les figures de la relation à l'autre : rivalité, face-à-face, détestation, haine, mépris, jalousie, persécution, subordination, domination, dialectique maître-esclave, indifférence, mais aussi amitié, camaraderie, intimité, complicité, ambivalence, désir homosexuel, fantasme hétérosexuel, etc. Ces relations liées entre elles se combinent en un mouvement hétérogène unique. Sans doute les personnages sont-ils tous deux vivants, mais ils ne sont pas des vivants comme les autres. En renonçant aux contrastes qui font le cycle ordinaire de la vie (jour / nuit, travail / repos, soi-même / l'autre, dominant / dominé, boire / manger, profane / sacré, récit / mythe, etc.), ce qu'ils appellent n'est pas la mort banale, au sens courant du mot mort, c'est un en-deçà de la mort indissociable d'un en-deçà de la vie. L'extraordinaire, excessive et quasiment monstrueuse sophistication du film contribue à ce décentrement, qui rejoint le deinon}.

L'essence de l'homme, qui est de s'expulser hors de l'habituel, du familier, de la quiétude, peut se traduire par Unheimlich, et aussi par Walten. Ce geste menaçant, violent, angoissant, vient en-deça de la différence ontico-ontologique, il est plus vieux qu'elle. C'est la source du logos comme du pouvoir. Il précise que Walten et Unheimlich ne sont pas que des mots ou des significations, ce sont des valeurs. Pourquoi des valeurs ? Ces mots nous engagent, ils rendent possible l'accès à cette différence. Par eux l'humain devient capable d'exercer la force - la souveraineté.

 

4. Le monde s'en va, il faut que je te porte.

Ce qui arrive dans la formule de Paul Celan, c'est un pas au-delà de ce qui se dit chez Heidegger. Il y a dans cette formule :

- un Qui, un "Je" singulier [Ich muss dich tragen] qui semble absent du dasein;

- et un certain pouvoir de mort, c'est-à-dire de retrait, de ce Qui [die Welt ist fort].

Quand le Walten nous submerge, quand cette force, qui excède les déterminations onto-théologiques de la souveraineté, cette puissance impose sa loi d'exception (die Welt ist fort), il faut répondre par une autre loi d'exception, qui intervient cette fois dans le rapport singulier entre un Je et un Tu (Ich muss dich tragen). Cette réponse est elle aussi exceptionnelle, elle aussi suspend le monde. Mourir, ce n'est pas une question de pouvoir, ce n'est pas une faculté propre à l'homme. C'est une obligation d'ordre éthique. Nous nous devons à la mort, pas pour la mort elle-même puisqu'elle reste pour chacun d'entre nous inaccessible, mais pour sa puissance de retrait, pour porter l'autre. Cette puissance-là, elle aussi souveraine, ce serait celle qui met en échec l'hyper-souveraineté du Walten.

Qu'est-ce qui conduit Derrida à choisir d'hériter de ces valeurs, et pas d'autre chose? C'est la question qu'on peut se poser avec le recul, en analysant sa relation très particulière et très ambiguë à Heidegger. Il a fait de la différence ontico-ontologique tout autre chose que ce qui opère dans Sein und Zeit en l'associant à un autre verbe, tragen, qui transforme le constatif heideggerien en performatif. Il ne s'agit plus de s'inscrire dans le mouvement de l'être et de l'étant, mais de l'excéder par une affirmation, une exigence inconditionnelle. Entre les deux composantes de la phrase célanienne, Le monde s'en va et Il faut que je te porte, ce n'est plus le geste intemporel du Dasein qui prévaut, c'est le rapport singulier entre un défaut de fondement et une nécessité, un devoir, un geste d'affirmation radicale. Le monde ne repose plus sur l'écart impersonnel du Dasein, mais sur un "je" qui s'adresse à un "tu". Pour Derrida, cette adresse est un contrat, une alliance. En changeant de problématique, en prenant le contre-pied de la pensée heideggerienne, c'est à la mise en œuvre d'une autre alliance qu'il invite.

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Propositions

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Il faut passer par la question de l'être, telle qu'elle est posée par Heidegger et par lui seul, pour accéder à la pensée de la différance

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La différance, concept économique désignant la production du "différer", est plus originaire que la différence ontico-ontologique

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Selon Heidegger vers 1930, le Walten - cette violence souveraine qui se commande et se forme elle-même -, se manifeste "comme tel" dans le logos et la phusis

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En-deça et au-delà de la différence ontico-ontologique, une force - le Walten de Heidegger - fait venir ce qui n'est ni ceci ni cela, ni être ni étant - le neutre de Blanchot

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Le "Walten" est une force dont on ne peut dire ni qu'elle porte la vie, ni qu'elle porte la mort

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Le Walten heideggerien semble faire appel à un surpouvoir, une souveraineté si souveraine qu'elle excède, comme le rien ou le néant, les déterminations de la souveraineté

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Ce qui est nommé par "Trieb" (pulsion) est, comme le Walten, innommable au sens strict : avant tout étant, tout qui et tout quoi, ça ne peut pas donner lieu à un nom

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Selon Heidegger, la définition grecque la plus authentique de l'homme, c'est : "L'homme est le plus souverainement "unheimlich" parmi les étants"

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Pour les Grecs, l'homme est celui qui rejette hors de la quiétude : il est le plus inquiétant (unheimlich) parmi l'inquiétant, le plus angoissant, le plus porté à faire violence

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Jacques Derrida retient des textes de Heidegger deux valeurs qui rendent possible l'accès à la différence ontico-ontologique : "Unheimlichkeit", "Walten"

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Quand aujourd'hui le monde s'en va (constat), il faut faire venir une alliance qui, à nouveau, pourra faire monde : la nécessité, le devoir (performatif), de "te" porter

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La question "Qui peut mettre en échec l'hyper-souveraineté du Walten ?" peut s'écrire "Qui peut mourir ?" Telle est la question derridienne ultime

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[Il faut entendre, dans les oeuvres, la discordance originaire, inouïe]

 


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