Derrida
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TABLE des MATIERES :

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Orlolivre : comment ne pas combattre Amaleq?                     Orlolivre : comment ne pas combattre Amaleq?
Sources (*) : X, sans X (Orlolivres)               X, sans X (Orlolivres)
Pierre Delain - "Pour une œuvrance à venir", Ed : Guilgal, 2011-2017, Page créée le 3 novembre 2015 Les tâches orloviennes (ce qui s'en éparpille)

[Orlolivre : Combattre Amaleq, sans Amaleq]

Les tâches orloviennes (ce qui s'en éparpille)
   
   
   
                 
                       

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1. L'idée du mal radical, entre Kant et Derrida.

Jacques Derrida mentionne le mal radical dans de nombreux textes, parmi lesquels : Le retrait de la métaphore (dans Psyché 1, 1987), Circonfession (1991), Politiques de l'amitié (1994), Mal d'Archive (1994), Force de loi (1994), Echographies de la télévision (1996), Adieu à Emmanuel Lévinas (1997), Foi et savoir (2000), Etats d'âme de la psychanalyse (2000), Papier Machine (2001). Pour renvoyer à ce thème, plus fréquent dans son œuvre à partir des années 1990, les mots utilisés peuvent changer. Il est parfois question du pire, parfois de la loi du pire, parfois encore du mal radical. Celui-ci est nettement distingué du mal courant, mais ses manifestations concrètes sont plus rarement mentionnées : génocides, Shoah, violence. Trois motifs dominent ces mentions : l'annulation de l'avenir, le mal d'abstraction, et la cruauté. Le plus grand risque, incalculable, qui nous menace, le mal le plus absolu, c'est la suppression complète de la possibilité même d'un avenir. Il ne s'agit pas seulement de mort ou de destruction, mais de l'élimination de l'avenir en général, de tout ce qui tend vers autre chose : une promesse, une transmission, un héritage, un voeu, etc. Le second motif, ce mal d'abstraction typiquement moderne qui tend à réduire le monde à sa calculabilité ou sa prédictibilité, rejoint le premier. Qu'il s'agisse de possession, de technique, de savoir absolu, de biopolitique ou de violence étatique, cette dimension du mal se traduit toujours en itérabilité machinique et irresponsable. Le mal d'abstraction ne laisse place à aucune surprise, aucun aveu, aucune oeuvre. Il détruit d'avance la possibilité de s'adresser à l'autre. Quant au troisième motif derridien du mal radical, où se rejoignent la cruauté et l'anarchive, c'est un autre nom de la pulsion de mort freudienne. Il reprend les deux premiers motifs en ajoutant une dimension de sadisme, de mal pour le mal.

En première analyse, cette description est peu compatible avec le mal radical kantien. Même si Derrida se réfère au texte de Kant, La religion dans les limites de la simple raison, il n'y a pas chez lui l'idée d'un acte de liberté, servant de fondement à un principe malfaisant, que le sujet se donnerait à lui-même dans une maxime. Mais l'élément commun est l'idée que le mal radical ne peut pas être extirpé. Il est originaire, inconditionné, il corrompt le fondement de toutes les maximes. Insondable, inscrutable, irréparable, impardonnable, il se traduit par un manque de respect pour l'autre. Dans l'idée du mal radical, Kant et Derrida se rejoignent, même si leur concept de mal radical est différent. Pour Kant, son irruption tient à un rapport à la loi, tandis que pour Derrida, elle tient à un rapport à l'avenir. Sur la base de cette distinction, la position de la seconde Hannah Arendt, celle de la banalité du mal, me paraît plus proche de Derrida que de Kant, car un Eichmann qui ne pense pas n'a pas d'avenir.

Malgré ces différences d'analyse, il me semble donc que le mal radical dont je parle, celui de Derrida, se situe dans le prolongement de la tradition inaugurée par Kant.

 

2. Amaleq.

Et pourtant il y a autre chose. J'ai cité comme source du mal radical le texte de Kant paru en 1792 Sur le mal radical dans la nature humaine. Mais il y a une autre source beaucoup plus ancienne, une source non philosophique, une source qu'on peut considérer comme plus littéraire ou textuelle mais qui rejoint, à mon avis, la même idée du mal radical. Il s'agit d'Amaleq, un nom qu'on trouve mentionné dans l'Ancien Testament. Amaleq n'est pas un personnage concret. Il n'apparaît que par sa généalogie. On ne sait rien de lui, sauf ce que le texte exige qu'on garde en mémoire.

cf : "Amaleq" est le nom confus, inintelligible, du mal radical à détruire absolument, inconditionnellement, pour que l'avenir reste ouvert.

S'il faut trouver une généalogie au mal radical derridien, il me semble qu'elle est plus du côté d'Amaleq que du côté de Kant. Certes Amaleq est extérieur à la philosophie. L'introduire dans un travail philosophique, c'est y faire venir une hétérogénéité. Mais n'est-ce pas ainsi que Derrida procède? Et le mal radical lui-même n'est-il pas une extériorité dans la philosophie? Cette dimension inassimilale se trouve déjà chez Kant. Comme l'écrit Jacob Rogozinski dans son article "Ça nous donne tort" : "Qu'il faille tenter de penser l'impossible, de rendre raison de l'insensé, c'est là le courage de la pensée. Et Kant n'y aura pas manqué, qui s'approche parfois au plus près de l'abîme, même s'il ne cesse de s'y dérober et de se dédire, aux prises avec l'inquiétante singularité de l'événement, qu'il s'acharne pourtant à occulter, selon un geste ambigu de découvrement et de déni qui paraît épouser le mouvement même de sa pensée. De ce fait, il s'exposait à l'aporie et se condamnait à garder impensées l'énigme du mal et l'essence du politique" (Kanten, Esquisses kantiennes, p109).

 

3. La stratégie vaccinale.

Le point commun entre la violence, la "bêtise", le "dégoût", ou encore le grec "khôra", c'est qu'on ne peut pas en donner une définition rigoureuse. Plutôt qu'un phénomène, la violence est un milieu, un lieu démiurgique. On parle de violence primitive, comme on parle de pulsions primitives ou de chaos originel. Le mal radical entre dans la même série. Il n'est ni social, ni familial, ni politique, ni classifiable, selon quelque critère que ce soit, mais "au-delà" de toutes ces déterminations. Ce n'est pas un concept mais une notion, une idée qu'on ne peut délimiter précisément.

La tradition de la Cabale fait observer que la guematria d'Amaleq (240) est exactement celle du mot safek, qui signifie le doute en hébreu. Amaleq est l'indifférencié. Il est le monde de la confusion, de l'inintelligible, du tohu-bohu, informe, errant, sans but, sans consistance ni place. Dans ce monde, toujours selon la Cabale, aucune réparation au sens de tikkoun n'est possible. La déconstruction derridienne tend elle aussi à brouiller les oppositions, à faire surgir des apories là où l'ordre semble régner. Cette hyperaporétique peut être comparée au mal radical lui-même. Pour certains, Jacques Derrida se présente comme un Amalécite. Il contamine le discours, il l'infecte, mais ce que je soutiens dans cette "thèse" c'est que cette infection opère comme un vaccin. En tant que oeuvre ou oeuvrance, elle désactive ce mal radical dont elle est porteuse. On ne peut pas lutter frontalement contre les tendances à la destruction, mais on peut lutter obliquement. On ne peut pas exterminer Amaleq, mais il ne faut pas céder à la méthode de Saül en entrant dans une économie. Au mal inconditionnel, on ne peut opposer qu'une autre force inconditionnelle, celle que j'ai appelé le principe de l'oeuvre.

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Propositions

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[Derrida, le pire, le mal radical]

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[(CinéAnalyse) : En donnant figure à ce qui excède, abolit toute figure : le mal radical]

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[(CinéAnalyse) : En répondant à ce qui, irréductiblement, ne répond pas : le pire]

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"Amaleq" est le nom confus, inintelligible, du mal radical à détruire absolument, inconditionnellement, pour que l'avenir reste ouvert

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[(CinéAnalyse) : En scrutant les émanations, émissions et déjections totalitaires, y compris dans la culture d'aujourd'hui]

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[Derrida, Heidegger]

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[Des textes de Heidegger, Jacques Derrida retient un mot dont il use partout de façon délibérée, explicite, insistante et insolite : Walten, Gewalt]

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[(CinéAnalyse) : En s'exposant au mal d'abstraction]

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[Derrida, la Shoah]

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[(CinéAnalyse) : Shoah : En témoignant d'un deuil inconcevable, inouï, inénarrable]

- Le scripteur : en relisant mon texte, j'ai pris conscience d'un problème que je n'avais pas repéré au départ. Il y a dans ma démarche une sorte de circularité. D'un côté, j'explique l'œuvrance derridienne par une réponse au mal radical; et d'un autre côté, j'ai tendance à définir le mal radical par l'œuvre derridienne. L'un semble être l'inverse ou le négatif de l'autre. S’il faut œuvrer pour ouvrir l'avenir, c'est parce que le danger suprême est sa fermeture. S’il faut s’adresser à l’autre, c’est parce que le mal radical, dans sa pointe la plus extrême, c’est l’ignorance absolue de l’autre. S’il faut s’aventurer pour plus que la vie, c’est parce qu’un cycle qui ne ferait qu’opposer vie et mort serait lui-même mortifère. S’il faut garder le secret, c’est parce qu’un monde transparent, où plus rien ne dissimulerait une singularité, serait inviable. S’il faut répondre des principes, en ce moment même, c’est parce que s’il n'y avait pas d'urgence politique, on sombrerait dans l'urgence et la destruction. En d’autres termes, les traits que j’ai découverts à l’œuvre derridienne sont un calque négatif de ce que je nomme mal radical. Ma démarche n'est-elle qu'un sophisme, ou bien cette circularité est-elle une confirmation?

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Ce que tu nommes "mal radical" ou "loi du pire", c'est ce que tu dois conjurer pour survivre. Cette formulation n'est pas sans rapport avec la théologie négative. En la proposant, je dis à la fois qu'aucune définition du mal radical n'est possible, et que cette phrase peut aussi être lue comme une définition. La contradiction est insoluble. Pour reprendre une formule souvent utilisée, De quoi le mal radical est-il le nom? Violence, cruauté, destruction, extermination, meurtre sont d'autres mots, qui ne l'épuisent pas. Il est toujours autre, tout autre, encore pire. On peut le rapporter à des événements historiques, des faits divers, des récits, mais ce n'est ni un événement, ni un concept, ni une chose concrète. On peut le rapporter à la mort, mais ce n'est ni la mort, ni la vie. Ce n'est pas non plus le néant, ni le rien. C'est quoi? Disons que c'est le Quoi, ou que ce serait le Quoi, s'il pouvait être dissocié du Qui. Si par exemple la mort n'était plus la mort de quelqu'un mais la mort pure, biologique, si on pouvait en faire commerce, l'échanger, mourir à la place d'autrui, alors on frôlerait le pire. C'est impossible, direz-vous, un impossible qui aura déjà été là, depuis toujours.

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Si j'emploie ce barbarisme, génocidisme, c'est pour dire que les génocides ne sont pas des événements isolés. Ce ne sont pas des exceptions, ou bien, dit autrement ce sont les symptômes d'un exceptionnalisme généralisé. On aurait pu croire, après chaque génocide, que la leçon aurait été retenue, mais elle ne l'est jamais. Il y aura eu, dans la période la plus récente, les Yezidis de Syrie (2014), les Rohingya de Birmanie (2016), et l'on voit venir, pour 2022, les Hazaras d'Afghanistan. Dans un cas ce sont des musulmans qui sont massacrés, dans l'autre ce sont eux qui massacrent. Dans un cas ce sont des bouddhistes qui massacrent, dans l'autre, des conquistadors aux nazis, ce sont des chrétiens. En Arménie, les massacrés étaient chrétiens, et en Europe, ils étaient juifs. Non seulement la modernité n'est jamais (vraiment jamais) à l'abri, mais elle en est même le lieu privilégié. Cela ne pose pas seulement une question, cela nous inscrit dans une interrogation terrible.

 


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