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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, la vision : pleurs et aveuglements                     Derrida, la vision : pleurs et aveuglements
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 4 avril 2006 Hypothèse de la vue : la restituer

[Derrida, la vision : pleurs et aveuglements]

Hypothèse de la vue : la restituer Autres renvois :
   

Derrida, le dessin

   

Derrida, l'image

   
Orlolivre : comment ne pas se plonger dans le (méta)cinéma Orlolivre : comment ne pas se plonger dans le (méta)cinéma
                 
                       

1. La vision : un sens idéel.

Ce qu'on voit, on ne le mange ni ne le touche. La vision est un sens idéel. Mais tandis que l'objet de l'audition (la voix) s'entend au-dedans, dans une proximité immédiate, l'objet vu reste dehors, dans le monde, séparé du dedans et de la conscience. Son idéalité n'est pas pure. Alors que, pour échapper à l'obscurité, les prisonniers de la caverne platonicienne font appel aux idées, les aveugles se servent de leurs mains. Ils bougent, tâtonnent, risquent la chute ou l'erreur. Il faut, pour suppléer une expérience sensible (la vue), une autre expérience sensible (le toucher). Alors que la vue suspend le désir, le regard tient à distance. Il reste désirant, subjectif. Il ne s'intéresse pas qu'au visible, mais aussi au voyant.

Dans la tradition occidentale, la fonction des yeux est d'anticiper, de prévoir. Sur le fond d'un horizon prévisible (un phénomène), il faut voir venir une menace. Mais ce danger qu'on tient à voir venir est paradoxal. Dans le temps où on l'anticipe, il reste invisible. Les yeux n'ont pas de prise sur l'événement. On tente d'y faire face, d'y répondre par le mouvement et l'appréhension, mais tant qu'il n'a pas été vu, il reste inconnu, indescriptible. Tout ce qui se dit du visible s'organise, selon Derrida, autour d'un axiome "absolument indéplaçable" : Ce qui rend visible n'est pas visible.

CITATION : "C'est un trait formel que je voudrais souligner : ce qui rend visible les choses visibles n'est pas visible, autrement dit la visibilité, la possibilité essentielle du visible n'est pas visible. Axiome absolument indéplaçable : ce qui rend visible n'est pas visible; on retrouve cette structure chez Aristote, quand on dit que la transparence, le "diaphane" qui rend les choses visibles, n'est pas visible" (in Annali 2005/I, Fondazione Europea del Disegno, pp65-66).

Il y a, "avant" la vision, de l'invisible absolu, secret au-delà du secret. C'est la source, entre autres, de l'aveuglement, de l'imploration, de la foi ou de la responsabilité.

 

2. Mettre fin à l'invisible.

a. Rendre visible.

Si, à eux seuls, les organes de la vision ne suffisent pas pour rendre visible, que faut-il d'autre? Pas une source unique, mais plus d'une, beaucoup plus, par exemple :

- ce qui éclaire (mettons : le soleil, la lumière),

- le lieu depuis lequel nous sommes regardés, celui du voyant, qui ne peut que rester intouchable pour le voyeur,

- un témoignage - car le témoin n'atteste que de ce qui n'est plus présent à la vue,

- des mots. Les mots prononcés rendent visible, mais aussi les mots cachés, encryptés. Quand ils émergent sur la scène du désir, ils sont visualisés en tableaux vivants, fantasmatiques.

b. Rendre la vue.

- un dessin. Dans le temps où il dessine, c'est-à-dire le temps propre du dessin, un dessinateur est aveugle. A l'instant où la pointe du trait touche la surface, il se retire de la vision, il compose avec l'invisible. Il se positionne lui-même en aveugle. Cette opération est à la fois transcendantale et sacrificielle. C'est une expérience de l'espacement, de la différence, irréductible à la visibilité diurne. Quand un dessinateur dessine un aveugle, il spécule sur la possibilité même de dessiner; l'aveugle qu'il montre, c'est lui-même, son portrait, c'est un autoportrait.

- la bénédiction d'un autre, qui rend la vue. Un aveuglement est une chute, une défaillance, une menace sur l'érection de l'homme, sa station debout. Perdre la vue, c'est aussi risquer de perdre la vie, c'est se retirer devant l'autre. Les grandes figures de l'aveuglement sont des hommes qui sont en mal de fils, ou se retirent devant leurs fils. Ils le bénissent. Faute de leur rendre la vue (comme Tobit, cette exception), enfin élus, les fils peuvent se substituer à eux.

- une perspective, un montage. Quand on arrête une perspective ou quand on monte un film, on se rend aveugle à tout le reste, à tous les autres montages qui auraient été possibles, à tout ce qui est exclu. A chaque fois c'est une autre mise en oeuvre, une autre oeuvrance qui est aussi une censure, la délimitation d'un secret : ce qu'il ne faut pas voir. Oeuvrer, c'est aveugler.

Le caractère hétérogène de cette liste donne une idée de la plasticité de la vision.

 

3. Déplorer, Implorer, croire.

Tandis que le regard est lié à la fonction organique de l'oeil, les larmes en sont dissociées. Elles expriment la prière, la joie, la tristesse. Selon Derrida, la vérité de l'oeil humain ne réside pas dans la vision, mais dans les larmes. Quand l'homme perd la vue, alors il pleure, il implore. Ce retrait du voir, qui est paradoxalement l'essence de l'oeil (humain), permet de penser sans anticiper un horizon, une illumination. Il autorise un autre rapport à l'autre, une adresse où l'autre vérité des yeux, celle des pleurs, jaillit hors de l'oubli. C'est l'hypothèse de la vue : "l'homme commence à penser les yeux en les perdant, et alors il implore". En disant "Me voici", j'entends la demande muette de l'autre, infinie, insupportable, je reconnais comme ma loi l'exigence de justice. Quand l'autre qui demande ou implore est invisible, l'exigence se fait absolue, inconditionnelle. C'est le moment originaire de la foi ou de la responsabilité.

Pour faire et défaire une croyance, une foi, il faut un temps d'arrêt, un suspens du regard. Il faut avoir connu la perte d'assurance ou la désorientation liée à l'aveuglement. C'est ce qui arrive au seul aveugle de l'Ancien Testament qui finisse par recouvrer la vue : Tobit. Il reçoit la vue d'un autre, de son propre fils.

Sans la relation entre perte de la vue, déploration, imploration, croyance et pensée, il n'y aurait peut-être ni langage, ni œuvre. Quand Freud a connu la pire expérience, la mort d'un enfant (sa fille), puis de son petit-fils, il a versé des larmes. Selon un témoin, ce serait la seule fois où on l'aurait vu pleurer. Il n'avait qu'une seule ressource pour se consoler : le travail, l'oeuvrance.

 

4. Suppléance.

Il n'y ni vision naturelle ni vision primordiale; la vue se substitue toujours à autre chose. Elle supplée, elle est suppléance, sur le modèle de la main qui supplée au manque de vue chez l'aveugle. A la vue, on peut toujours substituer autre chose : l'exploration d'un bâton, le toucher, une oeuvre, une oeuvrance ou ce qui ouvre l'oeuvrance - une ouvrance, qu'on ne peut pas voir.

Qu'elle se manifeste dans la clarté ou dans l'obscurité, la visibilité est toujours spectrale. Le désir de visibilité répond à une demande, une injonction d'instances qui exigent la vérité. On ne peut y répondre que par une narration, des récits qui ne triomphent jamais de l'aveuglement. Cette scène de sur-vérité est aussi une scène de sur-vie, de sur-vision.

 

 

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Propositions

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Axiome de la vision : Ce qui rend visible n'est pas visible

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Les larmes révèlent que la vérité de l'oeil humain est l'imploration plutôt que la vision

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L'essence de l'oeil est le propre de l'homme : par l'imploration, les yeux sont dissociés de leur fonction organique afin de pleurer, déplorer

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La demande de l'autre - muette, infinie, insupportable - n'est pas seulement une imploration, c'est aussi une figure de la loi qui exige la justice

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Hypothèse de la vue : pour faire et défaire la croyance, il faut un temps d'arrêt, d'aveuglement, de suspens du regard, d'imploration

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Freud a connu la pire expérience : la mort d'un enfant, la perte irrémédiable d'une filiation, la crainte d'un avenir clos, sans alliance, et alors il a pleuré

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Hypothèse de la vue selon Jacques Derrida : "l'homme commence à penser les yeux en les perdant, et alors il implore"

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"Me voici", moment originaire de la responsabilité, répond à une demande, une imploration qui exige l'amour inconditionnel de l'unique

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La fonction des yeux est de voir venir ce qui vient en face, du fond d'un horizon; ils n'ont pas prise sur l'événement qui arrive

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La vue est un sens idéel; elle suspend le désir, laisse être les choses, en réserve ou en interdit la consommation, mais maintient leur existence sensible

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Un haptocentrisme profond, souvent inaperçu ou inavoué, domine les discours héliocentriques

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L'aveugle, comme le dessinateur, se sert des mains pour échapper à l'obscurité, tandis que les prisonniers de la caverne platonicienne font appel aux idées et à la voix

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Les yeux sont touchables/intouchables : en tant qu'ils sont visibles, ils se voient; mais en tant qu'ils sont voyants, ils sombrent dans la nuit

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Le spectre, c'est du visible, même s'il n'est pas présent en chair et en os, tandis que le revenant n'apparaît pas à la vue

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Dans la crypte, une Chose inconnaissable, muette, traduite en allosèmes, se donne à jouir comme un tableau vivant

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Il y a, à l'origine du dessin, deux logiques de l'aveuglement : transcendantale (sa condition de possibilité) et sacrificielle (son économie)

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Tout dessinateur est aveugle, ou sinon c'est l'opération du dessin ou le dessin lui-même qui compose avec l'invisible

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Dans le dessin, il y va de l'expérience du trait et de l'espacement : une expérience "autre" de la différence, irréductible à la logique binaire ou à la visibilité diurne

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Il y a dans tout dessin d'aveugle un autoportrait du dessin dans son origine, qui spécule sur sa propre possibilité

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Les aveugles sont les êtres de la chute, la manifestation de cela même qui menace l'érection ou la station debout

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Les figures de l'aveuglement sont dominées par la filiation père/fils où le père, ayant perdu la vue, se retire devant le fils

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Pour ouvrir la dimension de la foi ou de la responsabilité, il faut l'invisible absolu, secret au-delà du secret : ça me regarde, par la voix d'un autre, même là où je ne vois rien

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Il faut apporter des preuves, laisser ouvert le débat scientifique, mais au final c'est le témoignage qui compte, la parole non rivée à la vue

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Un récit répond à une demande de vérité : il faut raconter ce qui a eu lieu, une scène de sur-vision qui touche à l'aveuglement, à l'origine invisible de la visibilité

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La vision de l'oeuvre est conditionnée par le regard ou la voix d'un autre, spectateur supposé qui est, lui, dérobé à la vue

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S'entendre et se voir sont deux ordres de rapport à soi radicalement différents

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Une perspective, c'est se rendre aveugle à tout le reste, à tout ce qui en est exclu

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Monter un film, c'est s'aveugler à un nombre indéfini d'autres montages qui auraient été, eux aussi, possibles

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J'ai passé ma vie à enseigner pour enfin revenir à ce qui mêle au sang la prière et les larmes

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A usage privé, le titre de l'"oeuvre derridien" serait : "L'ouvre où ne pas voir"

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Tobit voit dans son fils qui lui rend la vue et dans l'ange invisible qui l'a guidé l'origine même de la capacité de voir

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