Derrida
Scripteur
Mode d'emploi
 
         
           
Lire Derrida, L'Œuvre à venir, suivre sur Facebook Le cinéma en déconstruction, suivre sur Facebook

TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, christianisme, latinisation                     Derrida, christianisme, latinisation
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 9 fév 2017 Orlolivre : comment ne pas prier?

[Derrida, latinisation, christianisme]

Orlolivre : comment ne pas prier? Autres renvois :
   

Derrida, croyance, foi, fiduciarité

   

Derrida, religion, théologie

   
Orlolivre : comment ne pas (se) sacrifier? Orlolivre : comment ne pas (se) sacrifier?
                 
                       

1. Latinité.

Il semble évident de dire que le christianisme est une religion. Mais le mot religion, qui vient de Rome et se dit en latin, est intraduisible dans les autres langues. Le christianisme est un phénomène unique, singulier, déterminé par un idiome, une situation historique, un régime de croyance. Il est daté, localisé géographiquement. Sa particularité, unique elle aussi, c'est qu'il a été et qu'il est encore le support de la mondialisation, cet événement historique que Derrida préfère nommer : mondialatinisation. Si le mot religion a été repris tel quel dans de nombreuses autres langues, c'est parce que cette culture s'est imposée par l'économie, le droit international et la rhétorique politique mondiale.

L'Europe gréco-chrétienne a rassemblé sous son autorité les traditions biblique et philosophique. On peut donner à ce rasssemblement autour du verbe, du discours, de la raison, du calcul, le nom de logocentrisme. Aujourd'hui, par l'alliance étrange entre la mort de Dieu et le capitalisme télé-technoscientifique, cette tradition impose l'autorité du logos comme parole, langage, discours productiviste. Elle présuppose d'une part un lieu d'origine rassurant, apaisé (la science, l'idée, la vérité), et d'autre part la déchéance, la corruption ou la chute de ce lieu. Il faut se conduire comme si Dieu n'existait pas, comme s'il nous avait abandonnés, il faut endurer sa mort pour assumer une responsabilité rationnelle et philosophique. L'une des particularités de cette tradition est sa mobilité, sa plasticité. Elle laisse la déconstruction travailler en elle. Avec les techno-sciences, elle a connu une profonde mutation qui est loin d'être achevée. Encore aujourd'hui [avec la crise climatique et écologique], elle se transforme de manière imprévisible.

 

2. Père/Fils, le logos.

Dans la doctrine chrétienne de l'Incarnation, le Père et le Fils sont identiques (homousia). Ils se touchent et ils nous touchent par la main divine, qui unifie la chair et l'esprit. Cette unité du Pére/Fils, qui se dit par la bouche, est la condition même de l'être. Jésus parle, et le Père, plus grand et plus haut que lui, atteste que la filiation est légitime. Par cette énonciation, qui est le logos, le fini et l'infini sont liés. Le logos ou verbe proclamé à haute voix (kérygme ou profession de foi) crée le vivant, il est la vie du vivant, l'infini positif qui, à l'époque des Lumières, deviendra pensée universelle, raison (celle de Spinoza).

Ceci est mon corps dit le Christ, Ceci est mon sang, le sang de l'alliance. Sur la présence de son corps déjà mort et déjà spirituel, sur sa voix déjà disparaissante, réduite à rien, il fonde l'alliance. Sans cette force d'amour, sans ce plérôme surabondant, rien n'existerait.

Dieu restant sur la croix, il y a toujours dans le message chrétien une dimension de deuil. Pour sauver la religion, Dieu est mort, il s'est humilié, anéanti, retiré (la kénose). Le christianisme doit toujours retraverser cette épreuve d'auto-destruction auto-immunitaire, qu'il ne peut surmonter que par le verbe, par une prédication sans cesse renouvelée.

Avec la peinture, une conversion du même ordre est tentée. Ne pouvant attester de la présence du Père que par un aveuglement, il faut l'ordonner à une vision charnelle (le tableau). Dieu ne se montre pas, seule l'œuvre est vue. Le dessin doit 1/ séduire, inviter à la louange, à la prière, 2/ hiérarchiser ou verticaliser le regard [ce qui est autorisé par certaines images, et non par d'autres : on n'a jamais peint le pénis circoncis du Christ, affirme Derrida - ce qui d'ailleurs se discute]. Dans cette opération, les corps incarnés (le Fils) font figure de Verbe. On retrouve l'auto-destruction immunitaire : en faisant appel au regard, 1/ on le ruine, 2/ on implore une résurrection.

 

3. Présence réelle.

Alors que, dans le judaïsme ou l'Islam, il faut déchiffrer, gloser pour surmonter l'absence, le silence et l'invisibilité, le christianisme repose sur l'intériorisation du deuil. Virtuellement, Dieu est présent, et l'on peut voir et même manger sa présence réelle : Ceci est mon corps qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi (Eucharistie). Avec la "mondialatinisation", ce privilège accordé à la présence tend à se généraliser. La pure intériorité du logos tend à structurer la psyché des peuples. Grâce à la télé-techno-discursivité contemporaine et aux médias qui en sont le prolongement, des simulacres de présence vivante, voire de résurrection (la fiction des reportages en temps réel) prolifèrent dans l'espace public. Avec l'information sacralisée, idolatrée, telle qu'elle s'incarne dans l'image, le médiatique tend à se confondre avec le religieux. Le mode de fonctionnement de la télévision est fondamentalement chrétien.

 

4. Du don de la mort à la responsabilité.

Le christianisme fait émerger, avec la foi personnelle, une responsabilité d'un type nouveau. Il ne s'agit plus de recevoir l'idée de ce qui, en général, est juste, beau ou bon (comme le soutenait Platon), mais de la responsabilité, à l'égard d'autrui, d'un sujet qui s'oublie soi-même pour décider de ce qui est bon. Une singularité irremplaçable s'impose comme obligation, comme loi, la bonté même. Pour donner la bonté, il faut que l'individu s'efface, se donne la mort devant l'autre. Le paradoxe de cette éthique, c'est que, par cette décision, il se fait le porteur inconditionnel d'un autre, un Dieu qui le regarde. En devenant personne, il accomplit le rite sacrificiel exigé par l'autre. Il ne peut plus limiter la responsabilité à ses proches, ses amis, sa famille. Elle doit s'exercer à l'égard de tout autre, y compris si cette exigence implique de donner la mort à son propre fils, comme dans le récit du sacrifice d'Isaac. Les disciples du Christ, dans l'Evangile de Luc, doivent pouvoir haïr "son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs et même sa propre vie" pour obéir à leur foi. Selon Derrida, cet engagement excessif ne peut pas être effacé du christianisme. Un Dieu absent, silencieux, séparé, secret, exige un amour infini, auquel le chrétien, être fini, ne peut répondre que dans la crainte et le tremblement. Dans sa solitude absolue, il ne peut que dire Adieu à cet Autre auquel il doit obéir. C'est le mysterium tremendum, cet affect incontrôlable, si proche du corps, qui déclenche l'imploration, les larmes, la culpabilité, le péché et le repentir.

 

5. Une économie du salut.

Le chapitre 6 de l'Evangile de Matthieu, où la prière chrétienne "Notre Père" est énoncée, est organisé autour de la question du secret : "Ton père, qui te voit dans le secret, te le rendra" est-il dit trois fois. Le Dieu invisible peut voir le lieu secret de la faute, de la culpabilité et du repentir. Cette économie sacrificielle repose sur une dissymétrie des regards. Dès lors qu'il n'y a plus de secret pour Dieu, le lieu du secret devient étranger au sujet, il ne lui appartient plus. Cette logique, chrétienne au départ, ouvre la possibilité de la littérature et se prolonge dans les problématiques de Freud (l'inconscient) ou de Heidegger (l'Unheimlich).

Mais quand le sacrifice demandé est compensé ou récompensé dans l'autre monde, celui des cieux, on ne fait qu'ajouter à une économie circulaire, finie, une autre économie hétérogène, dissymétrique et infinie. Ce que Nietzsche appelait castratisme est une spiritualisation généralisée de la perte. Le calcul infini du jugement dernier ne fait que prendre la relève du calcul fini de l'échange.

 

6. l'Europe au-delà du christianisme.

L'homme d'aujourd'hui a du mal à avouer que la responsabilité, qu'il croit liée à une décision libre de son moi, se rapporte à la transcendance de l'autre. Cette logique est pourtant impliquée dans le concept de responsabilité. Même pour ceux qui ne se situent pas dans la religion, l'expérience de la bonté exige la renonciation à soi, un don inconditionnel, sans bordure. Dans la culture européenne, on n'est jamais assez coupable, assez responsable de l'autre. Des notions comme l'amour (Hegel), l'égalité, la fraternité ou la tolérance (Voltaire ou Kant) témoignent d'une condescendance le plus souvent associée à un discours tenu du côté du pouvoir

Si le dernier mot de la responsabilité est le don de celui qui se retire inconditionnellement, on peut penser une autre responsabilité, une autre tolérance, qui dépasse la leçon chrétienne. Il s'agirait de respecter l'espacement là où il prend sa source (khôra) : distance, dissociation, disjonction, dissymétrie. Il n'y aurait, selon Derrida, d'avenir pour l'Europe que si cette promesse était déployée radicalement, au-delà de l'échange sacrificiel (chrétien).

 

 

--------------

Propositions

--------------

-

Le message chrétien, c'est l'épreuve de la mort de Dieu : il faut en passer par l'auto-destruction auto-immunitaire, la kénose

-

Dans le judaïsme ou l'Islam, où le secret ne se montre pas, il faut déchiffrer, gloser, tandis que dans le christianisme où il se présentifie, il faut l'intérioriser par le deuil, le virtualiser

-

Le mot "religion" circule dans le monde en latin, en anglais, comme l'événement unique, intraduisible, d'une "mondialatinisation"

-

La mondialatinisation est une alliance étrange du christianisme, comme expérience de la mort de dieu, et du capitalisme télé-technoscientifique

-

Avec le logocentrisme, une opération "européenne" impose une hégémonie, une autorité en rassemblant les traditions bibliques et philosophiques

-

Ce qui arrive aujourd'hui au christianisme, la mondialatinisation qui est aussi sa déconstruction, le transforme de manière imprévisible

-

Le coeur de la christologie est l'identité d'être et de substance (homousia) entre le Père et le Fils

-

Penser l'être comme vie dans la bouche, dans l'unité du père et du fils, c'est le logos

-

La pensée gréco-judéo-chrétienne unit en un même concept, une "logo-zoïe", le logos et la vie du vivant

-

Dans le "Ceci est mon corps" de la Cène christique, ce qui se mange et se consume, ce supplément incalculable qui "est" "comme" rien, c'est l'esprit

-

Il y a dans toute prière un appel à la résurrection : "Ceci est mon corps qui est donné pour vous. faites ceci en mémoire de moi" (Luc 22:19)

-

Hegel en appelle au plérôme de l'amour, cette "belle oeuvre" de Marie-Madeleine la pécheresse, dont la surabondance peut seule briser le cercle de la loi

-

Pour Hegel, l'infini positif peut se penser, dans le schème d'une pleine présence à soi

-

Pour Hegel, aucune ontologie n'est possible avant l'Evangile ou hors de lui; l'être ne peut pas être ce qu'il est sans l'unité du père-au-fils, la famille spéculative

-

Avec le christianisme émerge une nouvelle responsabilité : la bonté même, un don venu de l'autre comme la loi, qui commande au donataire sa propre mort

-

La thématique chrétienne du don - amour infini, bonté, oubli de soi, péché, salut, repentir, sacrifice et don de la mort - se retrouve, en Europe, dans le concept de responsabilité

-

On peut dire "religieuse" une logique qui, sans dogme institué ni l'événement d'une révélation, pense la possibilité d'un tel événement

-

Pour qui assume la responsabilité personnelle, ni le sacrifice d'Isaac, ni la parole de Luc exigeant des disciples la haine de leurs proches, ne peuvent être effacés

-

L'événement chrétien du "devenir-responsable" est lié au don sacrificiel où l'homme, dans sa singularité même, devient personne - vue par le regard d'un autre, d'un Dieu

-

Par la crainte et le tremblement, on dit adieu ou à-Dieu à l'Autre, au tout autre absent, silencieux, séparé, secret, qui, dans la solitude absolue, ordonne d'obéir

-

La foi protestante, qui repose sur la responsabilité purement intérieure du logos, structure la conscience culturelle et scientifique des peuples modernes

-

Il n'y aura un avenir pour l'Europe, et un avenir en général, que si la promesse du "mysterium tremendum" chrétien, cette responsabilité hérétique, est déployée radicalement

-

Le motif de l'amitié fraternelle, souveraine, inconditionnelle, exceptionnelle et indivisible, se retrouve avec ses paradoxes dans toute la tradition gréco-chrétienne

-

La Révolution française a sécularisé et mis en oeuvre la promesse d'égalité et de réciprocité qui, dans l'amitié chrétienne, lie entre eux les frères

-

L'universalisation du sens de l'Ecriture, chez Spinoza, est une christianisation

-

Le christianisme est un castratisme - où la femme se châtre elle-même

-

En tant qu'économie du sacrifice, la responsabilité chrétienne renvoie à une dissymétrie entre les regards : "Ton père qui te voit dans le secret, te le rendra"

-

La figure de la loi est hétéronomique, dissymétrique : elle nous regarde comme un spectre à travers un effet de visière où nous nous sentons vus sans pouvoir croiser son regard

-

"Plus de secret, plus de secret" : dès lors qu'il n'y a plus de secret pour Dieu, s'instaure pour le sujet un lieu de retrait où plus de secret encore, en supplément, peut se loger

-

Dans l'économie chrétienne du sacrifice, cette étrange économie du secret, un calcul infini prend la relève d'un calcul fini

-

Pour ouvrir la dimension de la foi ou de la responsabilité, il faut l'invisible absolu, secret au-delà du secret : ça me regarde, par la voix d'un autre, même là où je ne vois rien

-

La possibilité de la littérature tient à ce moment chrétien, abrahamique, où l'on croit pouvoir excéder l'économie du sacrifice

-

La peinture chrétienne met en oeuvre une allégorie qui, en ordonnant la vision charnelle à la vision divine, convertit le regard

-

Une oeuvre est un événement sacrificiel, apocalyptique, qui ruine ce qu'il met en ordre et implore la résurrection de qu'il ruine

-

La mondialisation télévisuelle, où le médiatique est indissociable du religieux, est fondamentalement chrétienne

-

La tolérance organise un discours aux racines religieuses, le plus souvent tenu du côté du pouvoir

-

Pour interpréter la corruption du "Geschlecht" comme chute, malédiction, Heidegger doit présupposer un lieu originel, univoque, qu'il hérite de Platon et du christianisme

-

On peut désormais penser une "autre tolérance" comme scrupule, retenue, respect devant la distance de l'altérité infinie

-

On n'a jamais peint le pénis circoncis du Christ

-

Entre le sacré (culte, image, incarnation) et le saint (distance, séparation, secret) se distinguent le visible et l'invisible, le continu et le séparé, le lumineux et l'obscur

logo

 

 


Recherche dans les pages indexées d'Idixa par Google
 
   
   

 

 

   
 
     
 
                               
Création : Guilgal

 

 
Idixa

Marque déposée

INPI 07 3 547 007

 

Derrida
DerridaChrist

AA.BBB

DerridaCheminements

KV.CH.RIS

OrloPriere

GE.LDF

CulpaDette

FD.LKJ

AT_DerridaChrist

Rang = zQuoisDerridaChrist
Genre = -