Derrida
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TABLE des MATIERES :

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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, médias, télé - technique                     Derrida, médias, télé - technique
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 5 novembre 2006 Orlolivre : comment ne pas, aujourd'hui, être présent ?

[Derrida, technosciences, télé-techniques, médias]

Orlolivre : comment ne pas, aujourd'hui, être présent ? Autres renvois :
   

Derrida, l'Internet

   

Audiovisuel et autres media

   

Technique, technologies actuelles

Gramophonie contemporaine Gramophonie contemporaine

Derrida, notre époque, le contemporain

                 
                       

1. Télé-techno-discursivités.

Pour nommer un ensemble complexe aux frontières floues, un vaste conglomérat regroupant les médias, la science, la technique, la télévision, l'audiovisuel, l'Internet etc..., Jacques Derrida se sert d'une série de syntagmes plus ou moins interchangeables : télé-communications, télé-technique, télé-techno-science, techno-télé-discursivité, etc.... Cet ensemble comprend aussi le cinéma, mais la photo, silencieuse, s'en distingue. En tant que savoir-faire pratique, il est performatif. Un acte techno-scientifique est toujours une intervention, une mise en œuvre, un faire. Il joue avec les distances, les vitesses, le lieu; il délocalise, éloigne et rapproche. Pour qui ne sait pas comment "marchent" les technologies, leur fonctionnement quasi-miraculeux produit une croyance, un acte de foi.

Les télétechnologies ne sont pas nouvelles dans leur principe. Dès le 17ème siècle, on commence à inventer à la façon moderne : en fabriquant des dispositifs techniques ou des machines, en suscitant le désir de produire de nouvelles inventions. Mais la productivité technologique est plus vieille encore, elle hante l'écriture depuis toujours.

Science et technique sont indissociables. L'histoire des sciences est aussi une histoire des métaphores et des téléologies qui contaminent les concepts et rendent inopérantes les coupures épistémologiques. Cela vaut pour les sciences dites "dures" (qui risqueraient de se fermer sur elles-mêmes) et pour les sciences dites "humaines", notamment la biologie, qui tend à analyser le vivant comme un texte - avec les paradoxes et les pouvoirs qui s'y attachent. Mais pour parler "scientifiquement" du sexe et de la mort, les concepts ne suffisent plus. Freud ne s'y est pas trompé, qui s'est tourné vers la spéculation.

Malgré toutes les dénégations qui visent à faire valoir une pensée plus pure ou plus authentique, il n'y a, entre pensée, science et technique, ni dissociation, ni hiérarchie.

 

2. Spectralités.

Aujourd'hui, dans les démocraties libérales, l'espace public est étroitement lié aux télé-technologies. Le direct ou temps réel fait croire que l'événement montré (l'information) est réellement présent. En prétendant donner à voir intuitivement la chose même, en fabriquant l'illusion qu'elle est capable de garder vivants des événements qui ont disparu, de reproduire comme vivantes (ou quasi-vivantes) des voix enregistrées (gramophonisation), de les archiver comme un autre présent-vivant unique, irremplaçable, ces technologies spectralisent le monde. On est forcé d'introjecter ces images, de s'y identifier, d'y croire, de les intégrer dans un savoir (les ontologiser). On est forcé de prendre acte d'une parole publique artificiellement produite : artefactualité (une actualité performativement fabriquée), actuvirtualité (possibilité de reproduire l'événement avec des suppléments prothétiques qui tiennent lieu de réalité), spiritualisation (production idéalisante de "faits").

Pour être crédible, la télévision doit dissimuler sa technicité, s'effacer, se dénier, protester contre elle-même. Entre l'événement auquel elle se réfère, dont on suppose qu'il a été, à un moment donné, actuel et présent, et ce qui est reproduit, montré sur les écrans ou écouté sur les différents appareils, l'écart est insurmontable, la division irréductible. La "chose réelle" ne peut survivre qu'en tant qu'image ou archive, par un effet de différance qu'on peut comparer à une fable ou une affabulation. Le cinéma dit d'exploitation, largement commandé par la culture américaine, ne fonctionne pas autrement. Marqué par le rêve, le divertissement, la musique ou l'érotisme, il agit comme une drogue, une manipulation.

Pour que l'espace public se constitue, il aura fallu que de nombreuses conditions soient remplies : démocratie, liberté d'expression, possibilité de faire un usage public de la raison, droit de réponse, etc. Il aura aussi fallu qu'une opinion publique soit produite comme artefact, qu'une doxa liée à la presse et aux télé-technologies hante et déborde la représentation électorale, le plus souvent aux limites des institutions politiques : entre public et privé, entre parole et écrit, entre réalité effective et fabrication sondagière, etc. Cette opinion, aujourd'hui, ne se fait entendre que par l'intermédiaire des médias [et aussi des réseaux sociaux] et de leurs "effets télémétathéoriques". Pour s'en dissocier, il faudrait qu'elle s'ajourne, qu'elle se détache du présent.

 

3. Croyance.

Mais la tekhné de l'image, qui envahit tout, est un travail de deuil. Sans cesse relancé, ce travail ne peut qu'échouer. Malgré toutes les exhibitions, on ne fera jamais revenir les traces non visibles, on ne saura jamais qui aura été le premier témoin de l'événement narré, on n'expliquera jamais qui est le responsable de son émission et de sa diffusion, après quel retard, cadrage, filtrage et censure il aura été restitué, ni par quels moyens techniques il aura été fabriqué.

Les télé-technologies transforment profondément notre perception et notre expérience des contenus archivables. Il suffit que nous croyions que le prétendu "direct" est possible, pour que soit suscitée en nous une pure croyance (la foi à l'état nu), un effet de savoir, une structure fiduciaire, une promesse de vérité. A travers ces machines qui représentent l'autre dans sa présence vivante, on peut s'adresser à lui, lui parler, lui répondre. On peut même prier à distance, renouvelant le miracle le plus ordinaire : la croyance inconditionnelle en un autre qui dit : "Crois-moi!".

 

4. Technique et religion.

La "présence réelle" produite par l'alliance entre science, technique et médias traduit le retour du religieux. Pour incarner les événements, il faut les sacraliser. Dans l'espace public sécularisé, le montage / cadrage qui donne l'illusion du direct n'est pas vécu comme rituel d'une religion déterminée (par exemple l'incarnation ou l'eucharistie chrétiennes), mais comme savoir performatif, lié à la langue et aux institutions de l'Etat-nation. Il reste cependant fondamentalement chrétien : savoir, foi, technoscience, machine, religion et nation sont articulés et pensés ensemble. De plus en plus vidés de contenus, réduits au mécanisme pur de la croyance ou de la foi mise à nu, ils assurent ensemble l'hégémonie politique et économique de la tradition gréco-romano-chrétienne. C'est cette absence de contenu qui entretient en eux, dans le prolongement de la mort de Dieu (elle-même associée à la figure du Christ sur la croix, la kénose, son corps-cadavre transfiguré en hostie), un mal d'abstraction, un déracinement.

La mondialatinisation, c'est ce déracinement du capitalisme télé-technoscientifique, cet arrachement à l'identité, cette surenchère dans l'abstraction (fondamentalismes, intégrismes, rigueur formelle, hégémonies), ce retour à des comportements archaïques, ce retrait en un lieu désertique où le calculable (la machine, la science) et l'incalculable (l'usage magique de la machine, la religion) se rejoignent. En ce lieux, des mécanismes d'auto-immunité entretiennent des effets paradoxaux : le désir de sauvegarder une identité propre, indemne, déclenche la violence la plus cruelle; l'appel à tout ce qui pourrait fonctionner comme racine (famille, nation, filiation, ethnie, idiome, etc.) coexiste avec les formes les plus radicales d'exapropriation, la science la plus pointue avec le mysticisme ou l'animisme, les technologies les plus sophistiquées avec la sauvagerie la plus archaïque.

 

5. Mutations.

Les télétechnologies d'aujourd'hui transforment de fond en comble la structure du contenu archivable. Elles ne se bornent pas à enregistrer, conserver ou stocker l'archive, elles la délimitent, en détruisent une partie ou la refabriquent comme supplément ou comme prothèse. Les techniques d'impression, d'inscription ou de chiffrage n'affectent pas que les médias, mais aussi l'appareil psychique (délimitation des champs, lieux de lecture et d'interprétation). Elles déplacent les frontières et bouleversent l'expérience du lieu. Elles renouvellent la menace d'expropriation qui est déjà dans tout rapport à l'autre. Elles entretiennent une demande de déconstruction qui invite à penser un nouveau concept du politique, une nouvelle éthique.

Que peuvent faire les intellectuels face à cet ensemble télé-techno-scientifico-industriel? Ils doivent s'organiser, imposer des normes et des conditions qui permettent à leur point de vue d'être entendu - ce qui peut passer par l'utilisation, voire la mise en œuvre, de ces mêmes télé-technologies. Du moindre appel téléphonique, on attend une réponse qui peut être prophétique. Chaque voix peut être hantée par une autre voix, imprévisible.

 

 

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Propositions

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L'écriture est déjà une télétechnologie, avec ce que cela comporte d'exappropriation originelle

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Si je veux être chez-moi, ici-maintenant, avec mes proches, c'est pour répondre à la menace d'expropriation dont les télé-technologies sont une forme

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La technoscience, qui arrache à toute identité et filiation propres, favorise un usage magique, archaïque, de la machine et des artefacts

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La télé-techno-discursivité, qui détermine l'espacement de l'espace public, est irréductiblement spectrale

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La logique spectrale envahit tout, partout où se croisent le travail du deuil et la tekhnè de l'image

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Le miracle ordinaire, c'est l'acquiescement au "Crois-moi!" de l'autre - inconditionnellement, sans confirmation, ni garantie, ni preuve, ni accès à son for intérieur

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L'évolution technique (ordinateur, Internet, images de synthèse) entretient une demande de déconstruction inégalée

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Dès qu'il y a technologie de l'image, la visibilité porte la nuit (notre propre mort) et la croyance en une réapparition miraculeuse

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Une spiritualisation spectrale est à l'oeuvre dans toute tekhnè

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Il faut penser ensemble - mais autrement - savoir et foi, technoscience et religion, calculable et incalculable

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Pour penser la religion aujourd'hui, il faut la relier à un mal d'abstraction, un déracinement dont les lieux sont : la machine, la technique et la technoscience

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La spécificité des télétechnologies d'aujourd'hui, c'est qu'on garde "vivantes" des choses (voix, visage, geste, regard) pour les reproduire plus tard comme prétendument "vivantes"

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Dès lors que nous croyons que le prétendu "direct" est possible, le champ de la perception et de l'expérience est profondément transformé

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Dans la médiatisation d'aujourd'hui, on ignore qui est le responsable de l'émission et de la diffusion d'une information, qui en aura été le premier témoin

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Les télétechnologies divisent le présent-vivant, qui ne survit qu'en tant qu'image ou archive spectralisée

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En prétendant montrer la chose même, en faisant tout pour effacer les dispositifs sur lesquels ils reposent, les médias télévisuels reconduisent la foi à l'état nu

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Miracle des télé-technologies : avec l'enregistrement de la voix, un autre présent-vivant unique, irremplaçable, est archivé et spectralisé, auquel on peut croire ici et maintenant

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A travers des machines qui le représentent dans sa présence vivante, on peut s'adresser à l'autre, lui parler, lui répondre - et même prier Dieu

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[La "gramophonisation" d'aujourd'hui est une parodie d'assentiment : dire "oui", automatiquement, à des voix enregistrées et reproduites comme vivantes]

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Aujourd'hui, penser son temps, c'est prendre acte que la parole publique est artificiellement produite : artefactualité et actuvirtualité

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Seule la technique peut opérer l'"effet" de temps réel qui n'est qu'un effet particulier de différance

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Comme la fable, l'information médiatique "fait savoir", elle produit un effet de savoir "à même" l'image ou l'oeuvre, elle accrédite un sens par une rhétorique

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L'acte scientifique est lié par essence au savoir et au "faire" de la communauté scientifique; il est structurellement performance, performativité, technoscience

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Les télétechnologies transforment de fond en comble la structure du contenu archivable, dans ses événements et dans son rapport à l'avenir

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Le discours politique moderne produit l'opinion publique comme artefact, cinématographie spectrale, qui hante et déborde la représentation électorale

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Il n'y a d'opinion publique "comme telle" qu'aux limites de la démocratie : dans / hors les institutions, entre public et privé, etc.

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Il se pourrait que dans une démocratie à venir, encore ajournée, le "jour" de l'opinion publique et des médias, avec ses effets télémétathéoriques, se détache du présent

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Avec la télévision ou le cinéma, une image survit en disant "Je suis un spectre"; elle produit des effets de reproduction, de virtualisation, qui sont des enjeux politiques

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L'"invention" moderne comme production, proposition, dispositif technique ou machinique tend à prévaloir sur la "découverte" comme dévoilement de la vérité

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A partir du 17ème siècle, dans la technique comme dans l'art, on programme l'invention, on suscite le désir de la produire, de l'orienter et de réinventer son statut

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Entre la pensée et la technique, il n'y a ni dissociation, ni hiérarchie

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Une nouvelle cruauté allie la calculabilité technoscientifique la plus avancée à la sauvagerie la plus archaïque

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La transformation des techniques d'archivation, impression, inscription, formalisation et chiffrage des marques affecte l'appareil psychique, et aussi l'avenir de la psychanalyse

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L'aporie de notre temps, son anachronie absolue, c'est qu'un même principe abstrait conduit aux surenchères les plus opposées : des technosciences aux intégristes

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A vouloir garder intacte l'opposition traditionnelle de la métaphore et du concept, on s'interdit de rien comprendre à l'histoire de la science, et aussi d'y contribuer

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On ne peut, dans le rapport métaphore-concept, sauver à la fois la téléologie et la coupure épistémologique

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[En analysant leur ultime référent, le vivant, comme un texte, la biologie et les sciences humaines altèrent l'axiomatique même qui sous-tend leurs énoncés]

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Au texte des sciences de la vie, commun au vivant et au biologiste qui les énonce, s'attachent des pouvoirs tout à fait singuliers

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Pour parler "scientifiquement" du sexe ou de la mort, les concepts habituels ne suffisent plus

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Freud spécule sur une "graphique de la différance" qui n'appartient ni à la science, ni à la philosophie, et qu'il ne peut interroger pour elle-même

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La mondialatinisation est une alliance étrange du christianisme, comme expérience de la mort de dieu, et du capitalisme télé-technoscientifique

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La mondialisation télévisuelle, où le médiatique est indissociable du religieux, est fondamentalement chrétienne

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L'expérience mondiale du cinéma est largement commandée par la culture américaine : utilitaire, manipulatrice, marquée par le rêve, le divertissement, la musique et la danse

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L'expérience du lieu, c'est que la pulsion territoriale est toujours contredite, tourmentée, déplacée, déterritorialisée par les télétechnologies - aujourd'hui plus que jamais

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Ce qu'on nomme aujourd'hui "retour du religieux", ce sont des phénomènes médiatiques, nationaux, spiritualisés et spectralisés, plus que des traditions religieuses

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Les télétechnologies déplacent les lieux et disloquent le "topolitique", ce qui détache la démocratie de la citoyenneté

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Le nouveau régime des télécommunications disloque le lien entre Etat, territoire, et nation, ce qui forge un nouveau concept du politique dont il faut repenser le lieu

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Il faut se battre non pas contre les télétechnologies ou l'Internet, mais pour que ces médias laissent une plus grande place aux normes proposées par les citoyens ou intellectuels

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Dans la question du droit de regard et de notre place par rapport aux télépouvoirs, il y va d'une nouvelle éthique et d'un nouveau droit

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Tous les réseaux de communication et de traduction, gramophoniques ou téléphoniques, attendent l'arrivée du prophète Elie : la promesse d'une voix extérieure

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Elie est double : on ne peut convier l'un - le grand opérateur des savoirs et des centraux téléphoniques - sans avoir l'autre - le prophète imprévisible

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