Dans la bible, le prophète Elie ne meurt pas. Il est enlevé au ciel par un char de feu et disparaît dans un tourbillon. La tradition juive attend son retour. Dans les synagogues, lors de la fête de Pâques, à chaque dîner familial, on laisse une porte ouverte et un siège (ou un couvert) inoccupé. S'il arrivait, ce qui peut se produire à n'importe quel moment, on lui dirait "Oui". Qu'annoncera-t-il? On peut tenter de le prévoir en s'adressant à des spécialistes, des philosophes, des savants. On supposera que derrière chacune de ces voix il est là, c'est lui le grand opérateur qui fait venir la révélation de l'extérieur, qui nous invite à acquiescer, à dire "oui" au savoir. C'est lui qui préside à l'entrée dans la communauté, à l'alliance et à la légitimation. Après tout, dans toutes les circoncisions, il est présent. C'est lui qui collecte les prépuces (p105) [sur ce qu'il en fait, le débat est ouvert]. Il préside à l'accumulation et à la commémoration. Chaque fois qu'on le consulte, il répond oui.

Mais il y a aussi (ou encore) un autre Elie, celui qui arrive du dehors - à moins qu'il ne soit déjà arrivé dans un rire (car il est plus vieux encore que le savoir). Celui-là n'est pas prévisible par les experts ni par les savants. Aucun ventriloque ne peut parler à sa place, aucun code ne peut le programmer. Les téléprogrammations techniques et gramophoniques n'opèrent que sur le premier Elie. Celui-ci est un homonyme qui parasite le premier, qui le hante.

Si le premier Elie est une figure du moi, le second Elie est une figure de l'autre.