La prière ne va pas toujours du fidèle vers la divinité, il peut arriver qu'elle prenne le chemin inverse, qu'elle aille du fils de Dieu vers l'homme. Lors de la Cène, quand Jésus encore vivant mais prévoyant sa mort prochaine, demande littéralement à ses disciples de manger son corps, c'est aussi une prière. "Puis il prit du pain et, après avoir remercié Dieu, il le rompit et le leur donna en disant : Ceci est mon corps qui est donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi" (Luc 22:19); Pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le donna aux disciples, en disant: Prenez, mangez, ceci est mon corps (Matthieu 26:26). Jésus demande à ses disciples de garder la mémoire de ce qu'il dit, de ne pas l'oublier, mais il semble que cette prière ne suffise pas, il faut en plus qu'ils mangent de son corps. Pour garantir la pérennité de son souvenir, il faut l'Eucharistie, la transsubstantiation, la présence réelle du pain et du vin à la place de son corps et de son sang. À ce moment Jésus est encore vivant, mais sa postérité est incertaine. Se faire manger, c'est déjà une résurrection avant la Résurrection : il survivra dans la mémoire de ceux qui le mangent. Mais comme lui-même ne peut pas en être absolument certain, cela prend la forme d'une prière. Il propose la nouvelle alliance, mais c'est à eux de faire ce qu'il faut pour se souvenir de lui, préserver sa vie en l'ingérant, comme on dit dans Ezéquiel (3:1-3) et dans Jerémie (15:16) qu'il faut manger la loi écrite.

Il n'y a pas que le Christ qui demande à ses successeurs : souviens-toi de moi, rappelle-toi de moi. Il faut pour cette demande présomptueuse (si courante à l'approche de la mort) un acte de foi en la résurrection. Mon corps va mourir, mais il restera en vous un corps glorieux, un corps spirituel.