Derrida
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 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, l'amitié                     Derrida, l'amitié
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 9 octobre 2014 Derrida, inconditionnalités, principes inconditionnels

[Derrida, aimance, amour, amitié]

Derrida, inconditionnalités, principes inconditionnels
   
   
   
Orlolivre : Comment ne pas acquiescer à l'aimance ? Orlolivre : Comment ne pas acquiescer à l'aimance ?
                 
                       

Amour et amitié sont des mots de la langue, tandis que aimance est un mot choisi par Jacques Derrida. Il ne l'a pas inventé car on le trouve déjà, avec un autre sens, dans des textes psychanalytiques des années 1950. Dans Politiques de l'amitié (1994), on trouve ce mot 14 fois, souvent en italiques - ce qui souligne son statut de concept ou plutôt de quasi concept -, auxquelles il faut ajouter les mentions de ce mot associées au grec phileîn (aimer à l'infinitif) dans L'Oreille de Heidegger, autre texte publié dans le même livre. Aimance, précise Jacques Derrida, traduit phileîn, que Heidegger traduit en allemand par le verbe Lieben. Dans l'ensemble du livre, c'est un chaînon indispensable à l'élaboration de ce qu'on pourrait appeler un autre concept de l'amitié, en rupture avec la tradition. Il n'est de politique de l'amitié, au-delà de la fraternité traditionnelle, que mettant en jeu l'aimance; mais l'aimance elle-même est un mouvement complexe, contradictoire, dont le mode opératoire peut être comparé à celui de la différance.

 

1. Acquiescement.

L'aimance est ce mouvement qui engage dans le "oui originel", primordial, qui précède tout langage, toute croyance, tout discours. Il aura fallu que, près de moi, je porte la voix d'un autre, à la fois intérieure et extérieure. Il aura fallu que j'entende la voix d'un ami qui m'aura ouvert l'oreille. Elle ne m'aura rien dit, elle aura gardé le silence, mais elle m'aura fait venir à l'écoute, à la compréhension, à l'appartenance. Par cet acquiescement, le "oui originel" se sera traduit en engagement, en affect.

Avant toute question, tout échange, avant toute amitié déterminée, avant même la langue, il faut répondre à l'autre. Même si l'autre est éloigné, indifférent, absent ou mort, même si l'amour est impossible, il vaut mieux aimer. Ou encore : même dans la solitude, le silence, dans une dissymétrie absolue, il est plus juste d'aimer. Le mouvement hétéronomique de l'aimance est indissociable de la justice, et aussi de l'altérité.

Quand l'amour ou l'amitié font irruption, c'est toujours incalculable, imprévisible. Ils arrivent à l'insu du sujet, se déclarent, surgissent comme un événement, un accident. Le moi se retire des valeurs courantes, des savoirs communs, des jugements habituels, des déterminations du discours. Son mode de pensée n'est plus le cogito du "Je pense", c'est celui du : J'ai besoin de lui pour penser (s'adressant à l'aimé ou à l'ami). Si je pense, je pense l'autre. Aimer, c'est laisser l'autre tel qu'il est, le prendre tel quel, sans rien lui imposer. C'est un renoncement infini à celui qui, pourtant, n'est pas indifférent, et même : plus il y a de renoncement, plus il y a d'amour. Il faut garder l'autre inaccessible, le respecter, c'est l'amour même, sans ruse ni stratagème. L’amour, c’est laisser venir une singularité quelconque, se rendre à l’impossible. C'est faire en sorte que ce mouvement de retrait "reste à l'œuvre (donc renonce à l'œuvre)" (Sauf le nom, p92).

En se disant au passé, l'aimance se dit aussi au futur antérieur. Elle est imprésentable, mais indéniable. Sa trace ne s'épuise pas. C'est un performatif qui déborde le présent.

 

2. Un mouvement conflictuel.

L'aimance est un affect, le corrélat inévitable de la réponse ou de l'adresse à l'autre. Elle peut se transformer, s'inverser en son contraire : haine, inimitié ou hostilité (c'est la philopolémologie ou l'hostipitalité derridiennes). C'est une force qui, d'avance, s'unifie à ce qui semble s'y opposer : le combat (polemos), le logos. Elle peut aussi se refouler, se dénier, s'oublier, se perdre. En la mettant en avant, on suscite une nostalgie qui est peut-être l'origine de la philosophie (la nostalgie d'un accord avec le logos). Mais s'il y a eu nostalgie d'un accord, c'est qu'il y a eu, avant, discordance. C'est cette discordance, ce polemos originaire qu'on a tendance à sacrifier - ce que fait Heidegger lui-même, quand il semble renoncer au combat (Kampf) dans les années 1950.

L'aimance est ineffaçable, inavouable, incommensurable. Elle respire avant tout contrat, mais ne se pose jamais dans la certitude. Ce n'est pas une donnée présente, actuelle, mais une attente, une promesse, un engagement, une prière qui ouvre à l'avenir. Comme un coeur instable, son rythme ou son battement pourraient s'arrêter n'importe quand. Aura-t-elle la force de continuer, d'arriver encore? On n'en est jamais certain. On peut avoir foi en elle, avoir en elle une confiance plus grande qu'en soi-même, on ne peut ignorer la possibilité de sa mort, son rapport étroit avec la mort.

 

3. Une structure dissymétrique.

"Aimer" ou "être aimé", ce sont deux mouvements différents, deux structures distinctes. L'aimant est doué de vie, de souffle, il aime au présent, dans l'instant même où le sentiment a lieu. Pour que l'amitié ne défaille pas, il faut qu'elle soit renouvelée à chaque instant. L'aimant n'attend aucune réciprocité. Sa logique est celle du don : celui qu'il donne et aussi celui qu'il reçoit de l'autre, dont il reconnaît la préséance. Quant à l'aimé, il peut être mort, inanimé. L'amitié dont il est l'objet n'est pas conditionnée par sa vie. Au-delà de la vie, dans la mort, elle peut survivre et le faire survivre.

Aristote, dit-on, définissait l'amitié comme une seule âme en deux corps. C'est le point de départ d'une longue tradition, où les grands auteurs (Cicéron, Saint Augustin, Montaigne, Nietzsche et d'autres) se succèdent et se citent, se référant à un concept d'amitié complexe, hétérogène et paradoxal, qu'on peut qualifier d'amitié inconditionnelle souveraine. Bien que séparés l'un de l'autre, les amis sont irrémédiablement solitaires. Chacun habite un corps et aussi un autre corps, hors du sien, un corps étranger, éloigné, unheimlich. Ils sont différents, mais indivisibles, se donnant l'un à l'autre tout entiers, sans mesure ni réciprocité. Ensemble ils jouissent, mais dans l'éclat de deux jouissances disjointes, hétérogènes. Même si la dissociation est voilée, oubliée, le "je t'aime" traditionnel est toujours dissymétrique et unilatéral.

Derrida insiste sur le caractère politique de l'amitié. Bien que privée, elle ne peut pas se dissocier de la loi de la cité (publique). La tradition grecque du phileîn, reprise par Heidegger, suppose une harmonie, un accord préalable, originel - qui est aussi celui des citoyens. D'un côté l'ami, lui-même citoyen, est respectueux du secret politique. Mais d'un autre côté, l'amitié se situe au-dessus des lois, au-delà de tout principe politique. A la loi de réciprocité, elle résiste par sa loi de dissymétrie, son exigence d'une singularité absolue. C'est dans cette aimance-là, revisitée par une autre politique, que Derrida s'engage.

Dans l'amitié, le temps se retire doublement. D'un côté [celui de l'aimant], si elle rencontre un obstacle, un contretemps, elle est fragilisée, elle peut s'arrêter et disparaître. D'un autre côté, une véritable amitié doit résister au temps, elle doit être intemporelle, omnitemporelle. On veut toujours le bien de l'ami, mais pas trop; car s'il était absolument juste, vertueux, autonome, on le perdrait.

Un examen détaillé de ces contradictions, ces apories, montre que d'innombrables oppositions courantes, sur lesquelles s'appuie le discours traditionnel sur l'amitié, sont instables - une instabilité renforcée par des ruptures historiques majeures.

 

4. Rareté, singularité, secret.

L'amitié ne peut pas être prévue ni anticipée. Quand elle a lieu, c'est un événement irréductible à l'habitus, et même au désir. Que se passe-t-il? C'est difficilement descriptible.

L'amitié suppose la rareté. Peu d'amis sont élus, et chacun est différent, irremplaçable. Comme Aristote l'aurait dit : Celui qui a trop d'ami n'en a aucun (l'une des traductions possibles de la fameuse apostrophe "O philoi, oudeis philos"). Chaque ami est choisi dans la solitude, par un autre, et quand, entre eux, l'alliance s'instaure, elle est silencieuse. Elle repose sur une confiance, une foi, dont on ne peut témoigner que de manière elliptique, pudique. Même quand ils sont ensemble, les amis restent séparés. Ils tendent vers le rien. Jamais ils ne peuvent s'assurer avec certitude l'un de l'autre. Leur relation repose sur un secret, un fond sans fond, un abyme qu'il vaut mieux préserver, car si l'on cherchait à tous prix à le nommer ou le clarifier, ce serait au risque de la déliaison, ou de la déraison, ou de l'aveu involontaire, intraduisible (à la façon de l'écho poétique de Carl Schmitt, dans sa cellule de Nuremberg). Seul le fou vivant, dit Nietzsche, peut en parler.

Se porter vers ce nom, "amitié", déclarer sa fidélité et son respect pour ce nom, c'est en appeler à une autre justesse, incalculable, une autre fidélité, celle de la singularité irremplaçable - une singularité improbable, aussi introuvable qu'un cygne noir. Mais c'est aussi en appeler à la responsabilité, à l'universalité de la loi.

 

5. Une autre politique, au-delà de la politique.

Chaque phrase s'adresse à quelqu'un. Il suffit qu'un seul l'entende, un seul et unique, pour qu'un appel soit entendu. Mais toute phrase est itérable, elle peut être énoncée dans un autre contexte. Il peut toujours y avoir plus d'un auditeur. Sa destinerrance, c'est qu'elle peut proliférer, et cette prolifération rend inévitable la prise en compte du politique. Il en est de même pour l'amitié. Il suffit de promettre l'amitié à quelqu'un, de l'appeler à se lier d'amitié, et c'est à l'autre comme tel qu'on s'adresse. Quand l'acte de langage se fait politique, c'est déjà un projet de communauté qui est mis en oeuvre (c'est pourquoi Aristote, comme Montaigne et d'autres, ne sépare pas l'amitié de la citoyenneté). Le résultat est indécidable. On peut, par un "Je t'aime entends-tu?" donner sa chance à une politique de l'amitié. Mais elle n'a aucun contenu positif. C'est un acte de foi, soumis à l'épreuve du peut-être, de l'indécidable.

Peut-on regrouper les amis, peut-on les constituer en communauté? On voit mal comment cela serait possible, quel lien serait privilégié. Ni la réciprocité, ni l'égalité, ni la ressemblance, ni l'affinité, ni la parenté ne pourraient servir de critère. On aboutirait à une communauté étrange, une communauté sans foyer, sans présence, sans figure, sans lien généalogique, sans différence hiérarchique, dans laquelle chacun serait, pour l'autre, tout autre. En se laissant hanter par cette pensée ou par ce rêve, Jacques Derrida fait déjà quelque chose. Il transforme, change le sens des mots, modifie leur usage, repère des apories qui ouvrent à une autre expérience. On ne peut évoquer la communauté (celle de ceux qui n'ont pas de communauté) du lien amical sans s'engager. Il y va de l'affect - et aussi de l'avenir de la démocratie.

La loi de la démocratie est double. D'une part, il faut pouvoir compter avec des sujets identifiables et égaux entre eux, ce qui suppose le surgissement du tiers, de la loi. D'autre part, il faut respecter la singularité irréductible de l'autre. L'ami est irremplaçable, on ne peut même pas en faire son deuil, comme on le ferait pour un père.

Peut-on concevoir une justice autre, une justice qui romprait avec le principe d'équivalence et aussi avec tout calcul et toute appropriation (y compris amoureuse et fraternelle)? Une justice qui inviterait à une politique dissymétrique, renversante? Une telle justice annoncerait ces politiques de l'amitié que Derrida annonce en titre de son livre.

 

6. Une hyperaporétique de l'amitié.

Que se passerait-il si le projet politique aristotélicien, celui d'un bien-vivre fondé sur le plus d'amitié possible, perdait ses piliers essentiels? S'il n'y avait plus d'amis, comme le dit Montaigne, et plus d'ennemis non plus, comme le dit Nietzsche? Pour Carl Schmitt, cette hypothèse terrorisante détruirait la possibilité même du politique. Or c'est là que les choses deviennent intéressantes. Au lieu de nier les apories de l'amitié, on peut s'attacher à ce qu'elles promettent, une "hyperaporétique". On peut en faire la condition d'une autre pensée du politique où serait prise en compte la place singulière du frère, "ami des hommes" - et aussi celle de la femme, doublement exclue jusqu'ici de toutes les pensées de l'amitié.

Avec la suspension de la possibilité de tuer, la communauté politique au sens de Schmitt (les frères unis contre les ennemis) se disloque. Arrive alors, peut-être, une alliance improbable qui n'a pas encore de nom.

 

 

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Propositions

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Avant tout autre contrat, une amitié d'avant les amitiés, ineffaçable, inavouable, incommensurable, fondamentale et sans fond, respire dans le partage de la langue

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"Répondre à l'autre", c'est l'acquiescement le plus originel, le plus fondamental, et aussi le plus inconditionnel

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Chacun écoute, près de lui, à travers l'oreille, la voix d'un autre singulier qui, en tant qu'ami, lui dicte un sens et le fait venir à l'appartenance

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La possibilité de l'amitié se loge dans la logique d'un cogito humain et fini : "Je pense, donc je pense l'autre"

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L'"aimance" tient à cela qu'il vaut mieux aimer, même dans la dissymétrie entre l'aimé et l'être-aimé, et même en aimant un mort - Poison Ivy (film de Katt Shea, 1992)

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L'amitié n'est jamais une donnée présente; son discours d'attente, de promesse, d'engagement, de prière, porte en ce lieu où une responsabilité ouvre à l'avenir

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Aimer ou être aimé, ce sont deux structures dissymétriques, deux expériences irréductiblement différentes

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Le "Je t'aime" de l'amour doit rester dissymétrique et unilatéral, tandis que, dans l'amitié, cette dissymétrie s'entoure d'un voile de réciprocité et d'entente

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L'amitié m'inspire une confiance plus grande en l'autre qu'en moi-même, une foi démesurée qui me met sous la loi de l'autre

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Une logique du don rappelle l'amitié à la non-réciprocité, la dissymétrie, la disproportion, l'irréductible préséance de l'autre

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L'amitié ne peut loger dans l'intimité économique d'un chez soi : elle est hors lieu, sans lieu, hors de soi, unheimlich, atopique

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Avec la formulation "Ennemis, il n'y a point d'ennemi!" (Nietzsche) qui répond à "O mes amis, il n'y a nul amy" (Montaigne), c'est une révolution du politique qui a lieu

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Séparés l'un de l'autre, irrémédiablement solitaires, les amis se taisent ensemble, dans le rire éclatant de leurs deux jouissances partagées, disjointes, hétérogènes

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L'amitié est contradictoire en son essence même - car on doit vouloir le plus grand bien de l'ami, mais on ne peut pas le vouloir, car il deviendrait aussi autonome qu'un Dieu

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Depuis un lieu invisible, Jacques Derrida s'engage dans une aimance qui en appelle à une loi d'hétérogénéité, à la dissymétrie d'une singularité absolue

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A condition de s'ouvrir en tremblant au battement de coeur du "peut-être", l'aimance peut se produire comme décision hétéronome, don de l'autre

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L'amitié n'est pas réductible à ses conditions de possibilité : elle a lieu, c'est un événement

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L'événement qui mériterait, une seule et unique fois, à telle date, le juste nom d'amitié, supposerait l'expérience d'une alliance improbable, la pensée d'un concept du "peut-être"

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Un ami parfaitement fiable, capable du secret absolu, serait aussi improbable, introuvable, qu'un cygne noir

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La vérité de la vérité, c'est cette folie, ce fond sans fond qu'il vaut mieux ne pas savoir ni avouer - pour rester, "peut-être", sans l'avoir ni l'être, l'ami de la vérité

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L'amitié projette au-delà de la vie, elle conditionne la survie de l'autre, par-delà la mort

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En secret, intraduisiblement, par une amitié poétique, résonne chez Carl Schmitt l'écho de la loi du pire

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Les discours sur l'amitié appartiennent à l'expérience de la perte, du deuil impossible - car réussir le deuil du frère ou de l'ami, cela pourrait faire revenir un père

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On peut traduire la phrase attribuée à Aristote : "O philoi, oudeis philos" par : "Celui qui a trop d'amis n'en a aucun" (en amitié, il faut préférer la rareté, le repli, le retrait)

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L'amitié suppose la rareté : par élection, affinité, proximité, familiarité ou choix, elle prend acte d'une préférence pour un petit nombre de singularités incalculables

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Ami ou ennemi, c'est le même respect pour le nom, la même fidélité à la singularité irremplaçable

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Dans la "communauté" des amis, l'ami est tout autre : c'est un ami de la solitude - sans lien ni reconnaissance, ni réciprocité, ni égalité, ni proximité, ni ressemblance, ni parenté

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Il vaut mieux qu'entre amis l'alliance soit silencieuse; ensemble mais séparés, conjoints et dissociés, ils se taisent pour garder leur amitié

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Au coeur de la parole, le silence est l'un des modes essentiels de l'"ouvrance" à la vérité - une vérité "unheimlich" qui désidentifie tout concept, défie toute opposition

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Le temps se retire doublement de l'amitié : il faut qu'elle soit à chaque instant réitérée à neuf; et il faut qu'elle survive, qu'elle résiste à l'épreuve du temps

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Par l'aveu d'un futur antérieur, indéniable, le temps et le mouvement de l'amitié débordent le présent

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Il n'est d'amitié ou d'aimance qu'à la condition de se retirer des déterminations, savoirs, jugements, valeurs, qui éloigneraient de la singularité solitaire

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La théologie négative adresse à l'ami l'injonction ultime : il faut qu'en naissant de rien et en tendant vers le rien, il vienne à l'être, il se fasse écriture

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Dans n'importe quel amour, on peut reconnaître la création définie comme retrait, kénose, renoncement, délaissement ou production expropriante

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En déclarant le vrai nom, le juste nom, d'"amitié" ou de "démocratie", on affirme sa fidélité et son respect pour ce nom, même s'il n'en revient que des spectres

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Une justice qui romprait avec le principe d'équivalence ferait signe vers une équité dont le juste nom serait "amitié", au-delà de tout calcul et de toute appropriation amoureuse

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Le motif de l'amitié fraternelle, souveraine, inconditionnelle, exceptionnelle et indivisible, se retrouve avec ses paradoxes dans toute la tradition gréco-chrétienne

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Une amitié au-dessus des lois, au-delà du principe politique, ne répondrait plus devant aucune autre instance qu'elle-même, elle se placerait au-dessus de la justice

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Dans le rapport à la singularité de l'autre, il y a toujours de la responsabilité, du respect, du secret, et aussi le surgissement d'un tiers qui, en plus, porte l'universalité de la loi

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Une amitié inconditionnelle, indivisible, serait gouvernée par un échange sans mesure ni réciprocité, un don sans don

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L'ami-citoyen, raisonnable et vertueux, est partagé entre la loi de l'amitié, qui commande un secret inconditionnel, et la loi de la cité, qui unit dans la conjuration du secret politique

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Double loi de la démocratie : elle doit respecter la singularité irréductible de l'autre, et il lui faut des sujets identifiables, représentables et égaux entre eux

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Avec la politique de l'amitié, il s'agit de penser, à la racine de la démocratie à venir, une altérité sans différence hiérarchique

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Dans l'horizon du phallogocentrisme politique, le frère occupe une place unique et singulière, celle de l'"ami des hommes", le lieu irremplaçable de toutes les substitutions (khôra)

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Le modèle canonique de l'amitié exclut doublement le féminin : il n'y aurait d'amitié possible ni entre hommes et femmes, ni entre femmes

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On peut faire l'hypothèse d'une autre aimance ou d'une autre politique, au-delà du politique, qui lierait l'affirmation de la vie à la suspension de la possibilité de tuer

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La pensée derridienne du politique est hantée, avant toute question et toute affirmation, par le rêve d'une amitié sans foyer, sans présence, sans ressemblance, sans affinité

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La structure testamentaire de l'archi-amitié annonce la possibilité d'une autre justice, d'une autre politique

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Une hyperaporétique de l'amitié est la condition archi-préliminaire d'une autre expérience, une autre pensée du politique, qui promet "peut-être" autre chose

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"Je t'aime entends-tu?"; cette déclaration d'aimance hyperbolique ne pourrait donner sa chance à une politique de l'amitié que soumise à l'épreuve du peut-être, de l'indécidable

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"O mes amis, il n'y a nul amy!" Selon l'accent (iota) mis ou pas sous la lettre omega, la phrase est assertive (jugement) ou vocative (interpellation)

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Il ne faut pas tenir une politique de l'amitié pour une assurance ou un programme : l'aimance hyperbolique est hantée par la possibilité de l'indécidable, de l'échec

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Pour en appeler à une politique de l'amitié, il faut s'adresser à l'autre comme tel - par la mise en oeuvre d'une force performative qui ne puisse compter sur aucune assurance

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Toute l'oeuvre de Heidegger se rassemble autour d'une force marquante, le combat (Kampf) qui unifie d'avance l'aimance (phileîn), le logos et le polemos

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L'oreille de Heidegger est celle qui entend et sacrifie la voix discordante, inouïe, celle de l'inimitié originaire que le Dasein aura portée chez lui, "avant" le rassemblement du logos

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La destinerrance d'une phrase, c'est qu'elle s'adresse chaque fois à un seul - mais il est impossible qu'elle ne s'adresse qu'à un seul, elle s'adresse à plus d'un

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Selon Aristote, la loi tendancielle du politique, son telos, son oeuvre, c'est de créer le plus d'amitié possible

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Toute promesse d'amitié laisse entendre un projet de communauté politique, qui appelle plus d'un destinataire à se lier

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L'amitié, c'est (peut-être) la communauté de ceux qui n'ont pas de communauté

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A travers deux ruptures historiques majeures, les grands discours canoniques sur l'amitié fondent et déstabilisent d'innombrables oppositions, peut-être toutes

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A l'origine de la philosophie est la tension nostalgique qui, après le deuil d'une aimance originelle en accord avec le logos, désire le retour du sage perdu

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L'écriture performative de Jacques Derrida, qui transforme l'usage et le sens des mots, n'est jamais dépourvue d'affect

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La proposition aristotélicienne selon laquelle il ne peut pas y avoir d'amitié entre Dieu et l'homme organise toute réflexion sur la possibilité d'une politique de l'amitié

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