D'où vient l'amour, d'où vient l'amitié? Qu'est-ce qui peut conduire à aimer de tel ou tel genre d'amour, à se laisser aller à tel ou tel sentiment d'amitié? Il faut pour cela un certain type de décision : pas la décision souveraine d'un sujet - qui ne serait en définitive que la mise en application d'une volonté ou d'un calcul, mais une autre logique, une logique du peut-être, de l'expérience d'un peut-être qui fait arriver, à l'insu du sujet, cet accident singulier qu'est l'amour ou l'amitié. Ils peuvent se déclarer, se dire, mais on n'est jamais sûr qu'ils existent, et l'on n'a jamais aucune garantie qu'ils pourront perdurer. On ne peut ni les décrire, ni les constater, on ne peut porter sur eux aucun jugement.

Il y a des figures de l'amitié et de l'amour (de la philia grecque à l'amour courtois, à la mystique). Au-delà de ces figures, par-delà les époques, Jacques Derrida introduit le terme "aimance". Comme la décision [ou la différance, ou l'ouvrance], l'aimance est un mouvement, un acte, un événement imprévisible, hétéronomique, qui ne vient pas de moi, mais de l'autre. C'est un événement qui peut revenir ou non, d'instant en instant.

Comparer l'aimance à un battement de coeur, c'est insister sur son caractère incertain, tremblant. Chaque battement de coeur est un événement. Le rythme peut s'arrêter n'importe quand, il peut mourir. Aura-t-il la force de continuer, d'arriver encore? On n'en est jamais certain.