Ces hommes sont tous d'accord. De Platon à Aristote, Cicéron, Montaigne, Kant, Hegel, Michelet, Nietzsche, ils excluent les expériences hétérosexuelles ou féminines de l'amitié. Entre "philia" et "eros", il y aurait incompatibilité morale, politique. Seule l'homosexualité virile entre frères fondée sur l'alliance, le serment (ce qui exclut aussi le père) pourrait accéder à la figure de l'amitié.

La femme ne serait pas mûre pour l'amitié, pas encore disent Michelet comme Nietzsche. Pour l'instant, jusqu'ici, elle ne connaît que l'amour. Incapable de respecter ce qu'elle n'aime pas, elle ne peut accéder ni à une amitié, ni à une humanité qui suppose liberté, égalité, fraternité (la loi).

Ce modèle de communauté fraternelle est politique. Il se retrouve dans le christianisme, la démocratie, et aussi la psychanalyse - dans tous les discours qui réservent l'espace public à l'homme, l'espace domestique à la femme.

Mais cette tradition est fracturée. Elle menace et déstabilise les oppositions mêmes qu'elle fonde. L'exclusion de la femme elle-même n'est pas absolue (c'est une question d'hégémonie, de rapports de force, et ces rapports de force peuvent évoluer). Derrière les contradictions de la fraternité, les apories de la figure du frère, c'est la différence qui insiste.

Amitié (Egon Schiele, 1913).