Quand je dis "Je t'aime", c'est une déclaration, un acte de foi, un témoignage. Je le délivre dans la nuit, sans aucune assurance sur la réponse. Je ne dois attendre aucune preuve, aucun gage d'amour. Si je pouvais compter sur une réponse ou une certitude d'amour réciproque, je détruirais l'autre comme tel - il n'y aurait plus d'autre auquel s'adresser, plus de possibilité d'une offre, d'une prière ou d'une promesse d'un "Je t'aime". "Aucune mutualité, aucune harmonie, aucune entente ne peut ni ne doit réduire la disproportion infinie" écrit Derrida, qui parle à ce propos d'aimance hyperbolique. On ne peut partager un "Je t'aime" que si chacun donne sans retour, sans reconnaissance, sans compréhension.

Quelle différence y a-t-il entre l'amitié et l'amour? Dans l'amitié, on peut exiger, au moins en apparence, symétrie et réciprocité. Mais la condition du désir d'amour, l'essence de ce désir, c'est le risque d'échec, de malentendu. Dans l'amitié, les amis sont absolument singuliers, il y a entre eux une disproportion infinie, mais cette disproportion est atténuée, apaisée [c'est la politique de l'amitié]. Il faut l'apparence d'une égalité, d'une réciprocité. Mais l'amour, dans son désespoir absolu, doit renoncer à cette égalité. [Ce qui n'empêche pas, en pratique l'amour et l'amitié de se combiner].