Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, fantasme, conjuration, exorcisme                     Derrida, fantasme, conjuration, exorcisme
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 25 octobre 2006 Orlolivre : comment ne pas parler?

[Derrida : fantasme, conjuration, exorcisme]

Orlolivre : comment ne pas parler? Autres renvois :
   

Survivance, spectralité

   

Le spectral de Derrida

   
                 
                       

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1. Structure (ou stricture) du fantasme.

Jacques Derrida a sans doute hésité à employer ce mot, fantasme, et il ne l'a fait que rarement et tardivement, en éprouvant le besoin de se justifier. Mais peu à peu le mot s'est imposé à lui, jusqu'à produire dans son dernier séminaire ce qui peut ressembler à une théorie du fantasme. Prenez des sources pulsionnelles puissantes, refoulées, qui s'imposent de manière irrépressible, machinique, incontrôlable, inconditionnelle. Articulez-les en une pensée dans le sens derridien du mot, c'est-à-dire exposée à l'événement, aux antinomies, aux excès. Faites en sorte que ces choses incompatibles, imprésentables, irreprésentables, s'organisent d'une façon qui soit suffisamment rassurante. Ce deuxième aspect est essentiel car, pour s'imposer, le fantasme doit donner l'espoir d'une maîtrise, d'une autonomie. Le résultat n'est soumis à aucune autre logique, aucune autre rationalité que sa capacité à figurer le contradictoire, l'inconcevable ou l'impossible. En les nommant, il les rend désirables; par sa force et sa capacité à bousculer ce qu'il instaure, il nous affecte. Le sens commun l'exclut, le principe de réalité l'interdit, mais voilà, il se répète.

 

Exemples de fantasmes :

1a. L'origine n'est jamais présente, mais toujours produite sur un mode fantasmatique, comme ce qui est fabriqué, ce qui reste ou revient. En art, le modèle est fait pour disparaître. Il se retire et ne laisse qu'une copie sans référent, la hantise d'un point de départ fictif. Il en est ainsi pour toutes les fictions légales, y compris la maternité ou la paternité. Nous y croyons car nous en témoignons nous-mêmes, mais ce n'est qu'un acte de foi, une convention, un effet symbolique du discours, qui n'engage que dans l'ordre du serment. Des frères, des sœurs, des pères, des mères, des liens de naissance, on n'en rencontre pas dans la nature. Ce ne sont que des artefacts qui ne valent que le crédit qu'on leur accorde comme les autres fantasmes, qu'ils soient personnels ou institutionnels.

 

1b. D'un côté, la langue maternelle est la marque d'un chez soi unique, irremplaçable, insubstituable comme une mère, figé dans une construction linguistique, un passé historique, linguistique ou religieux; mais d'un autre côté, cette langue singulière peut être comparée à une langue sacrée, chargée d'un sens secret - comme si chaque mot était porteur d'une puissance imprévisible. C'est la conjonction fragile et inébranlable de ces deux dimensions qui fait d'elle un fantasme.

 

1c. Mourir vivant. Ce fantasme de Robinson Crusoé est à la fois une exigence de l'individu solitaire (laisser une trace, la possibilité d'une survie qui fasse de sa mort autre chose qu'une disparition pure et simple), et une terreur : se laisser emporter dans un hors-monde, un sans monde (dans le récit de Defoe : être dévoré par des cannibales, détruit par un tremblement de terre). Le fantasme rapproche le proche et le lointain, mais ne les unifie pas. Les rites mortuaires peuvent réduire ou dissimuler la béance, mais pas la clôturer, surtout dans une société où ils sont instables, comme en témoigne l'hésitation récente entre inhumation et incinération. Ainsi le fantasme concourt-il à une certaine stabilisation, tout en résistant au logos.

Derrida a pu écrire que ce fantasme, mourir vivant, était le premier fantasme, le fantasme même. Se voir mourir, ce serait voir venir la fin d'un monde, l'irruption d'un sans monde, et se croire mourir vivant, ce serait jouer la survie, la mise en place d'un monde qui se (ou me) prolongerait. Mais comme il l'explique ailleurs, on ne peut pas penser la mort comme telle. C'est aussi un fantasme, une fantasmagorie. Toutes nos pensées de la mort sont des pensées de survie, et prétendre regarder la mort en face est aussi un fantasme de l'esprit. Comme tous les animaux, l'homme ne fait que périr, il ne peut pas témoigner de la mort. Mourir vivant n'est qu'un fantasme.

 

1d. On peut faire semblant de vivre ensemble dans le même monde, on peut même construire des institutions, signer des contrats, mais cela ne suffit pas pour que ce soit vrai. Il n'y a pas de monde un. Un monde commun est un fantasme, une convention pour que nous puissions vivre, agir selon nos affects, nos amours ou nos responsabilités, croire que nous parlons la même langue. Mais le contrat est fragile, arbitraire, il se défait à la première occasion. Il ne suffit pas de stabiliser l'âme ou l'esprit des peuples dans une fantasmagorie nationale ou un récit fondateur pour éviter le retour des mécanismes pulsionnels : amour, haine, folie projection, rejet, etc. Il faut, pour partager le lien social, se dissocier de tout fantasme de souveraineté indivisible.

 

2. Conjuration, la chasse.

Il faut se protéger du fantasme, mais les dénégations, les rationalisations ne l'éliminent pas, elles le légitiment encore plus. Comme l'auto-immunité derridienne, la conjuration est double. 1. je jure. 2. en conjurant, j'arrête les effets délétères de mon juron. On retrouve ce dédoublement dans l'exorcisme, la contestation ou encore dans ce que Derrida appelle la chasse. Comme dit l'adage, Chassez le naturel, il revient au galop. Il suffit que j'en parle, et je fais exister ce dont je prétends me débarrasser (ce que Freud appelle le retour du refoulé). On n'expérimente pas la trace directement, mais par sa conjuration, et dès qu'il y a serment, alliance, secret, il faut conjurer les risques de mensonge ou de trahison. Entre confrères ou congénères, il faut se protéger du parjure. C'est la loi de toute communauté.

Si l'on en croit la définition de Panofsky, la perspective en art chasse le support matériel du tableau, autre façon de conjurer l'objet indésirable.

 

3. Spectralité.

Le fantasme rassure. On peut voir venir avec lui, s'identifier. Il facilite la maîtrise, procure une visibilité, un horizon - d'où son affinité avec l'image. Mais tandis qu'on peut le voir, le spectre nous regarde sans être vu. Il ne correspond à aucune essence, ne répond à aucun nom. Ni vivant ni mort, il est furtif, insaisissable. C'est ainsi qu'il délivre une injonction, qu'il fait la loi. Le fantasme se distingue de l'icône ou de l'idole par son absence de chair, mais il n'est pas sans conséquence. On sait depuis Freud qu'un fantasme de séduction se distingue mal d'un acte.

 

4. Exorcisme, la voix.

Si la voix a de tels pouvoirs, c'est qu'elle porte plus et autre chose que sa propre présence. Conjurer, c'est lancer un appel (faire venir un spectre), c'est aussi en forcer le deuil (le détruire). C'est ce que font, par exemple, ceux qui croient se protéger de la crainte de la mort par la parole vive (comme Socrate), ceux qui veulent récupérer la pleine possession d'un corps qu'ils savent étranger (Artaud), ou ceux qui, dans un autre registre, espèrent se débarrasser du spectre de Marx.

La prière est une forme d'exorcisme. Elle appelle à un contrôle externe, par l'au-delà.

Tout ce qui laisse des traces s'exorcise, y compris la machine et la déconstruction elle-même - pour autant que son fondateur ait voulu, par elle, chasser quelques images obsédantes. (Il a mentionné, dans son œuvre, plusieurs fantasmes qui lui sont personnels et intimes, mais ce n'est pas ici le lieu de les analyser).

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Propositions

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Les pulsions, symptômes, fantasmes, entre conscient et inconscient, proviennent d'un "refoulement" indécidable, irréductible et à peine pensable

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Le fantasme figure et configure le contradictoire, l'inconcevable, l'impensable, l'impossible; en les nommant, il nous affecte et les rend désirables

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"Mourir vivant", c'est le fantasme de Robinson Crusoé comme personnage et c'est aussi une puissance à l'oeuvre dans un livre, survivance d'une alliance entre mort et vif

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Pour échapper au terrible fantasme "mourir vivant", il faut un autre fantasme, le fantasme même : une souveraineté toute-puissante, inconditionnelle, circulaire

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Il est urgent de penser une logique du fantasme qui résiste au logos, quelque chose comme un fantasme de l'événement, un "mourir vivant" qui l'excède et vient après lui

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Un des critères de la modernité occidentale est la possibilité du choix entre inhumation et incinération, où se joue chaque fois autrement le fantasme du "mourir vivant"

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Penser la mort comme telle est un fantasme, une fantasmagorie; nos pensées de notre mort, de la nostalgie à la mélancolie, sont toujours des pensées de survie

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Regarder la mort en face, faire durer ce regard, le porter avec courage, confiance, loyauté, c'est le fantasme du pouvoir de l'esprit, de sa maîtrise souveraine

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Une conjuration est un appel pour faire venir par la voix un spectre afin de l'exorciser

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S'il faut conjurer le spectre, c'est parce qu'il est une voix porteuse de différance

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Une conjuration fait son propre deuil : ceux qui font peur se font peur à eux-mêmes et conjurent le spectre qu'ils représentent

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La modalité d'expérience de la trace survivante en général, ou du spectral, c'est la conjuration

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Quand le refoulé fait retour, il surgit de celui qui l'a chassé : le refoulant

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La dialectique socratique est un exorcisme qui protège de la crainte de la mort par la controverse et la parole vive de l'autre

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Le spectre, fantôme ou fantasme, est visible sur un horizon, on peut le voir venir, tandis que le revenant n'a pas d'horizon : il arrive comme la mort

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Tous ceux qui sont occupés par les spectres ne les accueillent que pour les chasser ou les conjurer : hospitalité et exclusion vont de pair

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On ne sait pas ce qu'est un spectre : une chose innommable, immaîtrisable, anachronique et secrète, un autre qui délivre l'injonction, fait la loi et nous regarde sans être vu

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L'origine est produite sur le mode fantasmatique d'un contingent restant

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Maternité et paternité sont des fictions légales : nous y croyons car nous en témoignons nous-mêmes

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Il n'y a rien de naturel dans la parenté ou la fraternité; le lien de naissance est un fantasme, qui engage dans l'ordre du serment, de la croyance et de la foi

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Il faut un contrat pour faire semblant de vivre ensemble dans un même monde, mais cela ne suffit pas pour que ce soit vrai, ni pour garantir un monde commun

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"Psyché" est le lieu psychique d'une fantasmatique pulsionnelle où se stabilise l'"esprit" ou l'"âme" des peuples, et où s'institue le logos des nations

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[The Pocket Size Tlingit Coffin] : Un modèle en art est fait pour disparaître; c'est une origine fictive, un référent fantasmatique, qui hante les copies qui en restent

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Ni la littérature ni la pensée ne peuvent exorciser la machine

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L'ami-citoyen, raisonnable et vertueux, est partagé entre la loi de l'amitié, qui commande un secret inconditionnel, et la loi de la cité, qui unit dans la conjuration du secret politique

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Par ses oeuvres, Artaud entend conjurer tout ce qui les trahit : le subjectile, le système des Beaux-Arts, le supplément étranger

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Le "nouvel ordre mondial" que propose le libéralisme est une conjuration destinée à faire taire le spectre de Marx

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La perspective est l'aptitude à représenter plusieurs objets de telle sorte que le support matériel du tableau se trouve chassé par la notion de plan transparent

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Que fait la déconstruction? Pour exorciser la mauvaise image du père, elle voyage dans la culture académique, elle l'ébranle par une violente commotion

 


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