Derrida
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TABLE des MATIERES :

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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, le savoir, l'université                     Derrida, le savoir, l'université
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 5 octobre 2011 Orlolivre : comment ne pas transmettre?

[Derrida, le savoir, l'université]

Orlolivre : comment ne pas transmettre? Autres renvois :
   

Derrida, la philosophie

   

Derrida, la raison

   

Derrida, le concept

Derrida, performativité inouïe Derrida, performativité inouïe
                 
                       

1. L'université, lieu du savoir.

L'université moderne, née en Europe, dans des Etats de type démocratique, est au moins double :

a. Par sa profession de foi, sa promesse, sa responsabilité, elle s'engage sans limite envers la vérité. Elle exige pour cela une liberté inconditionnelle de questionnement et de proposition, le droit de dire publiquement ce qu'exige la recherche. Elle rejette catégoriquement toute censure et se tient prête à résister aux pouvoirs.

b. Elle est elle-même une institution productrice de savoir, héritière du principe de raison, porteuse d'un pouvoir de connaître dont on postule qu'il s'accorde, par principe et inconditionnellement, à l'idée de bien. Institution souveraine, elle est liée aux pouvoirs dont elle véhicule la téléologie par le biais de programmes, de modes de transmission souvent critiqués comme académiques. L'universitaire est aussi un savant qui tient à s'approprier la vérité, l'organise en systèmes (ou architectoniques) et en codes qui se veulent aussi formalisés que possible. D'un côté, il multiplie les domaines réservés avec leurs frontières et leurs barrières de protection, et d'un autre côté, il affirme tenir à disposition son savoir, il le transmet à l'étudiant sur un mode oral qui, comme l'expliquait Nietzsche, est soumis aux valeurs courantes de la machine à culture. Par ses choix, ses priorités, ses jugements, ses publications, ses archives, ses projets, il suscite directement ou indirectement - comme toute institution - des effets de censure.

Derrida va très loin dans la critique du système universitaire. Porté par les spécialistes et les experts qui voudraient programmer un archivage de toute la culture (toute la mémoire, toutes les langues, toutes les connaissances), ce projet aurait quelque chose de terrifiant, et même d'intolérable si, parallalèlement, l'université n'implorait pas une réponse de l'autre, et si elle ne mettait pas en oeuvre d'autres processus qui viennent ruiner ce projet. Cette duplicité de l'institution, porteuse à la fois d'un mal qui pourrait devenir absolu, radical, et de la promesse inconditionnelle susceptible de venir le réparer, fait d'elle un des lieux les plus ajustés, peut-être même le seul, à l'émergence et au déploiement de la déconstruction.

 

2. Ce qui arrive, aujourd'hui, dans l'université.

La mondialisation, la diffusion du savoir dans d'autres lieux que l'université (instituts privés, bases de données, industrie), les bouleversements dans la communication et le débat public (réseaux, médias), désorganisent et déstabilisent les lignes qui séparent ses différents domaines, ses territoires et ses campus. L'ampleur de ces changements est telle qu'on peut parler d'événement dans l'université, d'une nouvelle expérience de ce lieu, d'un changement essentiel dans la position des enseignants et de l'enseignement. La multiplication des champs et des domaines du savoir, avec chacun ses axiomes et ses critères de vérité, met en crise la rationalité. Le malaise, voire le mal, vient de ce que les savoirs effectifs ne s'inscrivent pas dans une totalité organisée. Les dispositifs de légitimation, par exemple la thèse de doctorat, perdent de leur pertinence devant les transformations en cours.

Pour Kant, la tâche de la Faculté de philosophie, telle qu'elle s'est constituée au début du 19ème siècle mais aussi héritière d'une longue tradition, devait être la pensée, la théorie, la raison, mais jamais l'action. De son point de vue, la meilleure façon de protéger cette Faculté de toute censure était de privilégier le constatif (l'intérêt pour la vérité, réservé à un petit nombre d'initiés) sur le performatif (que le pouvoir d'Etat tenait, à juste titre selon Kant, à contrôler). Mais déjà à l'époque, le brouillage de la distinction performatif / constatif était à l'oeuvre (aporie n°2). Quand il est difficile, voire impossible, de distinguer la foi du savoir, il faut marcher sur les deux jambes, en équilibre instable. On le voit avec l'oeuvre de Kant lui-même [où l'analyse est inséparable de la prescription]. Cette confusion est aujourd'hui de plus en plus marquée. Professer ne peut pas se réduire à la fabrication - transmission de connaissances. C'est toujours aussi une déclaration, un acte de parole, un acte de foi, un engagement qui déborde l'expertise et la compétence, et ne peut que difficilement se transporter ou se traduire dans les formes traditionnelles.

Dans l'université d'aujourd'hui, il n'y a pas de place neutre. "Ce dont on parle" est indiscernable des oeuvres et des événements de pensée qui s'y produisent, de la situation de l'enseignant et de l'appareil parergonal qui l'entoure. Ce qui arrive n'est pas maîtrisable. De tout travail, il peut surgir, au-delà de toute limite, une "oeuvre performative". Chaque fois, pour chaque énoncé, un performatif singulier engage une philosophie, une axiomatique, une transformation. La responsabilité de l'universitaire, c'est de légitimer, enfin, cette exigence performative; et de rendre cette opération aussi claire que possible.

  

3. Penser hors-savoir, hors-université.

Le savoir ou la science, tels qu'ils sont enseignés, reposent sur une métaphysique de la présence. Tout ce qui n'entre pas dans une phénoménologie ou ne répond pas à la question "Qu'est-ce?" est exclu de cet enseignement. C'est le cas de concepts comme la trace, le gramme ou la différance. Une pensée hors savoir peut s'appuyer sur ces concepts (nés dans l'université), mais aussi sur des auteurs non universitaires comme Lautréamont, Jean Genet ou James Joyce. D'un côté, par sa prodigieuse érudition, Joyce provoque les experts à l'étude; mais d'un autre côté, par son écriture, il les délégitime. Ainsi brouille-t-il constamment les limites entre constatif et performatif, entre savoir et littérature. Pour le lire en disant "oui", il faut contresigner sa signature, dit Derrida, ce qui implique la première personne du singulier - celle que l'institution interdit au savant-professeur.

Le professeur qui reçoit et accepte les titres et les habilitations s'interdit de dire "je". Anonyme, asexué, privé de corps comme de visage, il se dissout dans la masse du corps enseignant, il s'efface au profit d'un corpus. On aboutit à l'extrême au concept hegelien du savoir absolu, dont nul ne peut écrire le texte ni signer de son nom. Avec sa profession de foi, son écriture aux marges de la biographie et de l'autobiographie, Jacques Derrida prend le contre-pied de cette tendance. Usant de sa liberté académique, il prend plaisir à s'autoriser d'un "je". C'est une question de désir et aussi de promesse, car il faut ce plaisir qu'il souhaite enseigner pour faire surgir, en supplément, de nouvelles institutions du "oui".

L'avenir de la raison ne peut se penser, selon lui, que comme événement, exception, singularité absolue, c'est-à-dire tout ce que l'institution universitaire vient recouvrir, avec une violence inouïe. Aucun savoir calculable ne peut se réapproprier la voix cachée, la parole dissimulée qu'il faut repérer, retrouver (voire réinventer) dans certains textes philosophiques.

 

4. Une université à venir.

Cela conduit, peut-être, à envisager une autre hypothèse, un autre avenir, une autre destination pour l'université (quoique sans chemin tracé à l'avance, elle frise l'impossible). En s'exposant aux forces du dehors, en se dissociant de tout fantasme de souveraineté indivisible, en mettant en question ses conventions, son autorité, ses frontières, en résistant, par son inventivité, à toute tentative de réappropriation, en oeuvrant aux limites de l'autorité performative, elle s'engagerait, sans renoncer à enseigner les Humanités classiques, dans de nouvelles Humanités. Par des oeuvres singulières, elle contribuerait à la définition d'un autre concept de l'homme qui transformerait certaines notions comme les Droits de l'homme, en les détachant de toute notion du "propre de l'homme".

Une telle tâche n'irait pas, pour l'institution comme pour ses servants, sans une violente commotion. C'est le principe de raison lui-même, sur lequel l'université repose depuis le 17ème siècle, qui est mis en question. Alors que les institutions sont de plus en plus assujetties aux techno-sciences (finalisation et programmation de l'enseignement et de la recherche), l'universitaire doit à la fois obéir à ce principe et réfléchir à ses fondements. Penser aux limites de ce principe, aller le plus loin possible dans son analyse, jusqu'au bord de l'abyme, ne serait-ce que le temps d'un clin d'oeil, telle est sa nouvelle responsabilité. Or, pour qu'il y ait responsabilité, il faut que ce moment reste hétérogène au savoir.

 

 

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Propositions

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Tous les rationalismes sont souverains : leur moment inaugural est un pouvoir de connaître qui s'accorde, par principe, inconditionnellement, au-delà de l'être, à l'idée de Bien

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L'université moderne, qui fait profession de vérité, doit par principe se voir attribuer une liberté inconditionnelle de questionnement, de proposition et de déconstruction

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Aujourd'hui, une nouvelle étape de la virtualisation déstabilise la communauté universitaire et désorganise ses lieux

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Dans le telos européen, un mal transcendantal est inscrit : la tâche infinie, inconditionnelle, de faire de la raison une totalité organisée, contrevient à l'effectivité des savoirs

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En résistant à l'unité de la raison, la spécialisation objectiviste des savoirs ne met pas seulement en crise la rationalité, mais la téléologie elle-même qui la commande

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Pour dire la vérité de l'oeuvre, le savoir académique se l'approprie, s'y identifie, la restitue au code en excluant son extériorité

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L'université d'aujourd'hui repose sur le principe de raison; mais nulle part il n'y est pensé, interrogé dans sa provenance

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Dans la conception biologique du vivant comme dans l'institution universitaire, des programmes reproduisent l'héritage, orientés vers un logos, une finalité sans sujet

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L'université devrait être "sans condition" : un espace de résistance critique, déconstructrice, où s'élaborent de nouvelles Humanités, un nouveau concept de l'homme

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Il faut aller au-delà du lien ombilical qui, dans l'enseignement académique, se noue entre la bouche (vivante) du père (mort) et l'oreille de l'entendeur (l'étudiant)

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Pas d'institution sans censure

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Dès lors qu'un discours ne peut pas trouver les conditions d'une exposition et d'une discussion publique illimitée, on peut parler d'un effet de censure

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En faisant disparaître toute détermination d'un visage ou d'un "moi" qui dit "je", le corps enseignant (anonyme) efface le corps socio-politique qu'il représente

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Le prix à payer pour le progrès de la philosophie, sur le chemin cartésien d'un ordre intelligible énoncé dans la langue courante, est l'effacement de la différence sexuelle

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L'oeuvre de Kant, la "Critique de la raison pure", s'achève sur l'esquisse d'une architectonique - un chemin vers un tout organique - dont le philosophe se retire

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Face à l'université moderne dont le projet terrifiant, intolérable, est d'archiver toute la culture, l'oeuvre implore un "oui" de l'autre, la nouveauté d'une contresignature

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"Professer" est toujours un acte de parole performatif : c'est s'engager, par une promesse publique, à témoigner de son savoir

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Dans l'université s'articulent de façon originale des mouvements performatifs et constatifs, la foi et le savoir

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[Le génie de Jacques Derrida, c'est d'avoir laissé venir dans l'université ce qui aurait pu arriver autrement ou ne pas arriver : une inconditionnalité absolue, inouïe]

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Dans chaque énoncé universitaire, un performatif singulier est à l'oeuvre, qui engage une philosophie, une axiomatique et une responsabilité

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La responsabilité minimale aujourd'hui, pour un universitaire, est de rendre aussi claire que possible, pour chaque opération qu'il propose, la transformation performative engagée

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Il n'y a pas de place neutre ou naturelle dans l'enseignement : jusqu'en son centre, il est déterminé par l'appareil parergonal qui l'entoure

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Les actes performatifs étant difficiles à représenter, transporter ou traduire, on ne peut les inscrire dans un genre particulier - littérature, fiction ou thèse de doctorat

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Légitimer de droit, en tant que telle, l'exigence performative mise en oeuvre par le langage philosophique, tel devrait être, aujourd'hui, le champ privilégié de la recherche universitaire

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Il y a dans les textes philosophiques une voix cachée, une parole dissimulée que l'institution universitaire vient recouvrir avec une violence inouïe

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En usant de sa liberté académique, Jacques Derrida propose une certaine démonstration autobiographique; il y prend un plaisir qu'il souhaiterait enseigner

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Il s'agit, dans l'université, par l'événement de pensée que constituent des oeuvres singulières, de faire arriver quelque chose au concept de vérité et d'humanité

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L'"indépendance" inconditionnelle de l'université l'expose aux forces du dehors; se dissociant du fantasme de souveraineté indivisible, elle oeuvre aux limites de l'autorité performative

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A la limite de l'impossible, du "peut-être" et du "si", tel est le lieu où l'université, par ses oeuvres, s'expose à la réalité et tente de penser

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Dans la différance entre le "je" auto-bio-graphique, le "je" allo-thanato-graphique et le "je" otobiographique de certains noms, peuvent surgir de nouvelles institutions du "oui"

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On ne peut dissocier la "thèse de doctorat" des transformations qui affectent l'université d'aujourd'hui, ni d'un questionnement sur ses procédures de légitimation

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Aucun pouvoir ne saura jamais justifier en raison le questionnement critique, hyperrationnel, inconditionnel, de la déconstruction

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Que fait la déconstruction? Pour exorciser la mauvaise image du père, elle voyage dans la culture académique, elle l'ébranle par une violente commotion

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James Joyce a tout fait pour que des experts travaillent pendant des siècles sur son nom; mais, comme le Dieu de Babel, il en a déconstruit par avance la légitimité

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La raison d'être de l'université d'aujourd'hui, sa nouvelle responsabilité, c'est de penser aux limites du principe de raison - fût-ce dans un clin d'oeil, un battement de paupières

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Devant l'assujettissement de l'université aux technosciences, il faut appeler à une nouvelle responsabilité : aller le plus loin possible dans la pensée la plus abyssale de ce qui la fonde

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L'à-venir de la raison ne peut se penser que comme événement, exception, singularité absolue, inconditionnalité incalculable, non réappropriable par un pouvoir souverain

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Faire oeuvre, c'est produire un effet de levier (mochlos), c'est marcher par sauts successifs en équilibre instable entre marque et marge, entre constatif et performatif

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N'étant jamais présente, n'étant rien, la trace, racine commune de la parole et de l'écriture, est inaccessible au savoir ou à la science

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"Il faut" que le moment et la structure du "Il faut", de la décision responsable, reste hétérogène au savoir

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On peut penser le savoir absolu, mais on ne peut ni le signer ni en écrire le texte

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