On n'a jamais, selon Derrida, fondé un projet d'université contre la raison. On peut même aller encore plus loin et dire que c'est la raison qui est la raison d'être de l'université. Ou encore : il ne pourrait y avoir d'université sans un certain rapport de la raison à l'être. Quel rapport? Celui de la techno-science moderne, qui ne cesse de vouloir répondre à la question du fondement. Il faut rendre raison des choses, répondre à cet appel qui exige de dire d'où elles viennent. C'est cette demande qui conduit au progrès des sciences, à l'avancement des techniques et à ces missions spécifiques de l'université que sont l'enseignement et la recherche.

Se tenir à l'écoute du principe de raison, c'est, selon Heidegger, assurer la maîtrise de l'homme sur terre et au-delà de la terre. Telle est bien la fonction de l'université. On a l'habitude de distinguer, dans cette fonction, la recherche "fondamentale", qu'on suppose noble et désintéressée, de la recherche "finalisée" dont le but serait la rentabilité ou l'utilisation à des fins militaro-industrielles. Mais ces deux "types" de recherche sont indissociables. Qu'il s'agisse de mathématiques, de physique, de biologie, de médecine, des télécommunications, de linguistique, d'épistémologie, de psychologie ou même de littérature, toutes les activités universitaires sont programmées par des instances étatiques. C'est partout la "techno-science" qui s'impose, basée sur le savoir objectif, l'instrumentalisation du langage, la visée d'une calculabilité intégrale, c'est-à-dire le principe de raison.

La faculté de philosophie, dont Kant préconisait l'autonomie, ne peut pas rester à l'écart de ce mouvement. Elle est, elle aussi, soumise à la répartition des crédits, à l'habilitation des enseignants, à l'évaluation des recherches. Une de ses tâches les plus indispensables devrait être d'étudier les processus qui lient fondamentalement la métaphysique à la technique, d'interroger l'essence du principe de raison, et d'en tirer toutes les conséquences.