Derrida
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TABLE des MATIERES :

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 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Dans l'université : faire venir l'inouï                     Dans l'université : faire venir l'inouï
Sources (*) : Orlolivre : comment ne pas œuvrer ?               Orlolivre : comment ne pas œuvrer ?
Pierre Delain - "Pour une œuvrance à venir", Ed : Guilgal, 2011-2017, Page créée le 26 novembre 2013 Derrida, le savoir, l'université

[Le génie de Jacques Derrida, c'est d'avoir laissé venir dans l'université ce qui aurait pu arriver autrement ou ne pas arriver : une inconditionnalité absolue, inouïe]

Derrida, le savoir, l'université
   
   
   
Derrida, l'inouï Derrida, l'inouï
Derrida, performativité inouïe               Derrida, performativité inouïe    
                       

CITATION : "De tout ce qui arrive, de tout événement, qui par essence est imprévisible et contingent, on dit, on doit pouvoir dire et on pense en effet, on sent bien : c'eût pu être autrement, c'eût pu être quelqu'un d'autre. Ce SUPU est l'a b c, si je puis dire, de l'expérience de l'événementialité de l'événement, avant même toute alternative entre performatif et constatif. Ça arrive, il ou elle arrive, c'eût pu arriver ou ne pas arriver, c'eût pu être autrement ou quelqu'un d'autre. L'un arrive toujours là où c'eût pu être l'autre, l'un, c'eût pû être l'autre. SUPU est le rapport entre l'un et l'autre. Au conditionnel passé, certes, cela veut dire que l'inconditionnel a vraiment été inconditionnel, il a eu lieu et les conditionnalités conditionnantes sont au conditionnel passé. Elles sont devenues inconditionnelles. C'est ce que j'appelle l'inconditionnalité absolue, qu'il s'agisse de don, d'hospitalité ou d'amour dignes de ce nom" (Genèses, généalogies, genres et le génie, p99).

On peut, partant de cette citation, tracer un trait entre une certaine définition du génie - celle que, implicitement, Jacques Derrida laisse planer sur son oeuvre - et une certaine définition de l'inconditionnalité absolue - celle qu'on trouve dans le seul texte qu'il ait écrit et qui contienne, dans son titre, l'inconditionnel : L'Université sans condition.

 

1. Un concept d'inconditionnalité absolue, distinct de chacune des inconditionnalités.

D'un côté, on peut affirmer que toutes les inconditionnalités "dignes de ce nom", celles dont on peut essayer de faire la liste, sont absolues. En effet c'est l'inconditionnalité elle-même qui, par définition, est absolue, et donc, s'il y en a, les inconditionnalités le sont aussi. Mais d'un autre côté, on peut se référer à l'"inconditionnalité absolue" comme concept distinct, celui d'une inconditionnalité "en général", d'une inconditionnalité "sans pouvoir" (L'Université sans condition, note 1, p15), qui mérite une analyse particulière car il permettrait, en tant que concept, une approche de ce qui fait la singularité irréductible de la construction derridienne. Dans la citation ci-dessus, tout part de Proust qui aurait inventé la graphie SUPU pour dire "c'eût pu", c'est-à-dire ce qui aurait pu arriver ou ne pas arriver, arriver de cette façon ou d'une autre. A partir du moment où c'est arrivé, où la conditionnalité s'est inscrite dans le passé (il aura fallu que Proust rencontre Albertine pour qu'il devienne un génie), il n'y a plus de condition, l'événement se donne comme absolument contingent, et donc, comme absolument inconditionnel. Sans doute cette logique vaut-elle pour toutes les inconditionnalités. Mais l'exemple de Proust et d'Albertine pourrait se retrouver sur un autre mode dans la question qui nous occupe : il y aurait eu un jour un événement contingent qui aurait impliqué le jeune Jacky dans la philosophie. Cet événement était aléatoire, aussi aléatoire que la rencontre d'Albertine. Mais voilà que, dans la philosophie, il a fait irruption. Cet événement qui n'a rien de philosophique, qui est l'autre de la philosophie, d'une contingence absolue, restée secrète, cet événement qui eût pu ne pas arriver a fait venir cette oeuvre-là dans la philosophie, comme inconditionnalité absolue. Et c'est pourquoi, cette oeuvre, on peut la lire, à tort ou à raison, comme quelque chose de génial.

Le champ privilégié dans lequel Derrida intervient n'est ni la littérature, ni le théâtre - ce qui le distingue des autres signatures éponymes du génie, comme Shakespeare, Genet, Proust, Joyce où Hélène Cixous. Même quand il travaille des textes littéraires, même quand il se réfère à sa vie, son autobiographie, c'est toujours en rapport avec ce qu'il faut bien appeler un travail théorique, philosophique. C'est donc dans ce champ qu'il faut repérer les traits qu'on pourrait qualifier de géniaux - même et surtout si ces traits n'ont rien de philosophique. Tentons de les situer à partir d'une autre citation : "J'en appelle au droit à la déconstruction comme droit inconditionnel de poser des questions critiques non seulement à l'histoire du concept d'homme, mais à l'histoire même de la notion de critique, à la forme et à l'autorité de la question. Cela implique le droit de le faire affirmativement et performativement, c'est-à-dire en produisant des événements, par exemple en écrivant, et en donnant lieu (ce qui jusqu'ici ne relevait pas des Humanités classiques ou modernes) à des oeuvres singulières" (L'Université sans condition, p14-15).

Entre cette logique d'affirmation et le concept même d'inconditionnalité absolue, la relation est étroite. [SUITE sur cette page §2].

Une affirmation inconditionnelle n'a pas à s'inscrire dans un savoir ni dans un fonctionnement institutionnel. Le genre d'oeuvre qu'elle produit est difficilement situable, énigmatique. C'est un "autre" genre d'oeuvre, un "autre" concept d'oeuvre qui fait arriver quelque chose aux concepts traditionnels : la vérité, l'humanité, la raison, etc.. D'où vient la force de ces oeuvres? C'est la question qu'on peut poser, à propos de Derrida lui-même.

 

2. L'irruption de l'inconditionnel, comme autre de l'université.

L'université est, pour Derrida, le lieu par excellence où les inconditionnalités se déploient : liberté de questionnement, de proposition, sans tenir compte ni des frontières nationales, ni d'aucune limitation externe; liberté absolue de déconstruction; inviolabilité ou immunité "quasi-absolue" de l'université; droit à tout dire dans l'espace public; droit illimité à poser des questions critiques, y compris si ces questions mettent en cause le principe de raison (son fondement, sa finalité); droit à déconstruire les dispositifs institutionnels; droit à élaborer de nouvelles Humanités, un autre concept de l'homme, à s'ouvrir aux forces du dehors (institutions, savoirs, politique, théâtre, littérature, réseaux ou autres), à résister à toute tentative de réappropriation; droit à transformer les techniques de communication et d'archivage; mise en place de structures indépendantes, absolument nouvelles pour remplacer celles que les nouvelles technologies déstabilisent et désorganisent; droit à professer selon sa foi, sans tenir compte des autorités reconnues; droit à reconsidérer la topologie de l'université, son organisation interne; droit à engendrer des oeuvres singulières dépourvues de précédents - tout cela doit pouvoir être affirmé, performativement et surtout sans condition.. S'il est question d'une université à venir, ce serait celle qui légitimerait sans limitation toutes ces exigences. Le titre du livre, comme on le voit, ne doit rien au hasard : il n'est d'université, pour Derrida, que sans condition.

Ces éléments qui font aujourd'hui irruption ou devraient faire irruption inconditionnellement dans l'université, ce sont les autres de l'université. Si on les considère isolément, l'un après l'autre, à la limite, un seul d'entre eux pourrait suffire pour détruire (et non pas déconstruire) l'université; ce qui, d'ailleurs, n'est pas sans arriver effectivement, si l'on analyse telle ou telle évolution contemporaine.

Mais le point sur lequel je voudrais, à ce stade, insister, c'est celui qui a trait à la question du génie. Le génie vient en trop, explique Derrida au début de Genèses, généalogies, genres et le génie. Il arrive en excès comme une force monstrueuse, inhumaine, qui ne se plie à aucune généalogie et perturbe les genres établis; mais par sa singularité, il se soustrait du commun, du partageable, et se retire. Ainsi opèrent les inconditionnalités dans l'université : tellement excessives qu'elles ne peuvent que se soustraire à toute épreuve du réel. Et ainsi opère aussi l'oeuvre derridienne : tellement absolue qu'elle creuse la distance avec ce lieu où elle est née et a grandi : l'université. Mais cette distance qu'elle creuse, c'est ce qui opère comme fondement.

 

3. Un équilibre instable qui brouille tous les genres, y compris sexuels.

CITATION : "Voici, je suis ici le corps enseignant. Je - mais qui? - représente un corps enseignant, ici, à ma place, qui n'est pas indifférente" (Du droit à la philosophie, p142).

Jacques Derrida pointe, dans l'université, l'évitement de la première personne du singulier, et aussi le refoulement du corps et du sexe. Le corps enseignant n'a pas de visage. Neutralisé, anonyme, il joue le mort, s'érige dans une rigidité qui est celle du cadavre. Il n'efface pas seulement le lieu où il parle (la salle de classe), mais aussi le corps socio-politique qu'il représente. Comment le philosophe pourrait-il, lui, éviter d'éroder et de réprimer le corps? Alors que le thème du corps enseignant a été abordé par Derrida dès le début de l'année scolaire 1974-75, le thème de l'inconditionnalité n'est développé que quelques années plus tard (on le trouve en juin 1979, dans le discours prononcé pour l'ouverture des Etats généraux). En 1974, Derrida hésite, de manière significative, à dire "je". "Je - mais qui? - représente un corps enseignant", écrit-il. Qui est ce "je"? On ne peut pas le savoir, on ne sait pas qui parle. Et pourtant il faut bien que ce "je" pose quelque chose, qu'il ait quelque part une thèse. "Quand je dis que je pose des questions, je feins de ne rien dire qui soit une thèse. Je feins de poser quelque chose qui au fond ne se poserait pas. La question n'étant pas, croit-on, une thèse, elle ne poserait, n'imposerait, ne supposerait rien. Cette neutralité prétendue, l'apparence non thétique d'une question qui se pose sans même avoir l'air de se poser, voilà ce qui construit le corps enseignant" (p142).

Quelle est donc la position de l'enseignant? Est-ce un "je", et ce "je" est-il sexué? Les professeurs ne se bornent pas à dispenser un savoir, ils en témoignent. Le thème de la confiance ne sera développé qu'au début des années 1990. Mais dès Mochlos et le conflit des facultés (1980), Derrida note que le performatif et le constatif (la croyance et le savoir) coexistent, qu'ils s'articulent dans l'institution sur un mode chaque fois original, à partir d'un corps qui dit "Faites-moi confiance". Dans chaque énoncé universitaire, il faut un performatif singulier pour engager une axiomatique et une responsabilité.

Vingt ans plus tard, quand Derrida, à propos d'Hélène Cixous, pose les linéaments d'une théorie du génie, il insiste pour que ne soient jamais dissociés les genres littéraires des genres sexuels. Sa position sur ce thème évolue parallèlement à celle d'Hélène Cixous, qui a publié sous sa signature 26 livres aux éditions des Femmes entre les deux publications du Rire de la Méduse (1975 et 2010). Une université qui ne respecterait plus les distinctions entre savoirs, facultés ou genres s'engagerait en même temps dans un au-delà de la différence des sexes aux conséquences incalculables. La problématique d'un dépassement du performatif est déjà largement déployée dans les années 1970 (rappelons que la première version de Limited Inc a b c a été publiée en langue anglaise en 1977, en pleine période de combat du GREPH).

 

4. Le performatif inouï, indissociable de son simulacre, sa contrefaçon.

a. L'inouï derridien.

[cf [Derrida, l'inouï], §1].

b. Le performatif inouï.

Le performatif derridien est doublement inouï. D'un côté il met en acte ou en oeuvre un événement qui aura été aléatoire et ne cesse de l'être, malgré le déroulement de ses conséquences; et d'un autre côté il laisse faire une dépolarisation générale dont les effets sont inanticipables. A cette double incertitude s'en ajoute une autre, peut-être encore plus inquiétante. Comment distinguer l'oeuvre "géniale" construite entre ces deux balises d'un faux-semblant, d'une imposture? Comment distinguer un événement digne de ce nom, de ce qui se passerait "comme si" un événement arrivait? Ce concept du "comme si" est au coeur de la réflexion menée dans L'Université sans condition. Si l'événement "digne de ce nom" est irréductible au performatif traditionnel, s'il n'est ni contrôlable, ni programmable, ni anticipable, s'il ne suppose ni pouvoir, ni habilitation, si son contexte n'est jamais absolument déterminable, alors on ne peut pas le distinguer d'un "faux" événement (une fausse monnaie, une mystification). En l'absence de critère, seule sa force détermine son succès ou son échec. Cette force, c'est la force de l'autre, du tout autre qui vient en supplément du performatif - et le point important, pour ce qui nous concerne ici, c'est qu'une telle force ne peut se manifester que dans des oeuvres.

 

 

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Propositions

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L'université moderne, qui fait profession de vérité, doit par principe se voir attribuer une liberté inconditionnelle de questionnement, de proposition et de déconstruction

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L'"indépendance" inconditionnelle de l'université l'expose aux forces du dehors; se dissociant du fantasme de souveraineté indivisible, elle oeuvre aux limites de l'autorité performative

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L'université devrait être "sans condition" : un espace de résistance critique, déconstructrice, où s'élaborent de nouvelles Humanités, un nouveau concept de l'homme

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La raison d'être de l'université d'aujourd'hui, sa nouvelle responsabilité, c'est de penser aux limites du principe de raison - fût-ce dans un clin d'oeil, un battement de paupières

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A la limite de l'impossible, du "peut-être" et du "si", tel est le lieu où l'université, par ses oeuvres, s'expose à la réalité et tente de penser

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Aujourd'hui, une nouvelle étape de la virtualisation déstabilise la communauté universitaire et désorganise ses lieux

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Dans l'université s'articulent de façon originale des mouvements performatifs et constatifs, la foi et le savoir

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Dans chaque énoncé universitaire, un performatif singulier est à l'oeuvre, qui engage une philosophie, une axiomatique et une responsabilité

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"Professer" est toujours un acte de parole performatif : c'est s'engager, par une promesse publique, à témoigner de son savoir

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Faire oeuvre, c'est produire un effet de levier (mochlos), c'est marcher par sauts successifs en équilibre instable entre marque et marge, entre constatif et performatif

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Là où il y a performatif, c'est "comme si" un événement arrivait - mais un événement digne de ce nom est "au-delà" du performatif

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La force d'un événement est irréductible au pouvoir d'un performatif

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La modalité du "comme si" semble appropriée à ce qu'on appelle des "oeuvres"

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La mutation du concept d'oeuvre dans le travail universitaire participe d'une autre mutation, absolue, radicalement nouvelle, qui transforme l'espace public

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Il s'agit, dans l'université, par l'événement de pensée que constituent des oeuvres singulières, de faire arriver quelque chose au concept de vérité et d'humanité

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Le "oui" de l'affirmation ressemble à un acte de langage performatif : il ne décrit ni ne constate rien, il engage en répondant, jusqu'au point où il est débordé par ce qui vient

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Légitimer de droit, en tant que telle, l'exigence performative mise en oeuvre par le langage philosophique, tel devrait être, aujourd'hui, le champ privilégié de la recherche universitaire

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