Les pratiques "artistiques" traditionnelles renvoient à des genres, des styles, des formes graphiques qui se distinguent les uns les autres et peuvent être classés selon des systèmes. Un objet d’art se rattache à l’un de ces systèmes. On peut le décrire, l’analyser ou le différencier d’autres objets en fonction de critères disponibles et descriptibles, liés à des savoirs spécialisés qui peuvent faire l'objet d'un classement ou d'une accumulation (l'"histoire de l'art"), sous l'autorité d'un expert, d'un enseignant ou d'une institution. Il faut que l'oeuvre d'art se présente sur un support stable et identifié, qu'elle soit mise en ordre, entreposée et/ou exhibée en un lieu reconnu et légitime, qu'elle soit protégée, et aussi qu'elle ait une valeur (financière, ou au minimum symbolique). L'accès aux archives, les descriptions des oeuvres, la documentation et le savoir qui les accompagne font l'objet d'une consignation qui doit être réglementée, régulée, confinée dans des lieux réservés aux connaisseurs, aux chercheurs, ou aux personnes habilitées. En ces lieux s'organise à la fois le commencement et le commandement (l'arkhè).

La dimension d'archi-oeuvre de l'oeuvre fragilise de telles opérations. Elle ne les élimine pas - car toute oeuvre s'inscrit dans une tradition, mais elle les déborde. Bien après sa production, sa fabrication ou son exposition au public, elle continue à bouleverser la hiérarchie des savoirs et à déplacer les postulats humanistes de l'histoire de l'art. Elle oblige sans cesse à inventer de nouvelles catégories pour la classer. Quelle que soit la précision des concepts et leur renouvellement, on n'arrive pas à l'intégrer définitivement dans un champ, un genre ou un style. Une oeuvre autrefois cultuelle devient kitsch; un objet banal se transforme en readymade et prend une valeur mystique ou sacrée. Cette mobilité, qui vaut déjà pour les oeuvres les plus anciennes, vaut encore plus aujourd'hui, avec la diversification presque sans limite des formes de l'oeuvre. Parmi les oeuvres résistant au savoir, on peut citer : une série d'événements, un corpus, une collection, une agglomération, une accumulation, un détail ou encore un assemblage, un montage, un geste, un mouvement, une structure, une performance.

Exemple : les oeuvres de Haïm Soutine. En tant que peintre (une catégorie bien définie), il peut être inscrit dans des lignées traditionnelles (Rembrandt et les carcasses, Chagall et l'art juif, l'impressionnisme allemand), mais chacune de ses oeuvres résiste à ce classement.

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Propositions

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