La photographie., chronologiquement et ontologiquement, est le point de départ de l'art moderne. Elle ne dit rien, mais exprime plus que ce qu'elle montre. C'est le début d'un défaut de maîtrise (une différance), qui a progressivement envahi de larges secteurs de l'art et l'a rendu inassimilable.
Il a fallu que les artistes se dégagent de leur milieu pour aller dans cette voie, comme en témoignent entre autres Goya, Manet, Van Gogh. Les contemporains l'ont ressenti comme une insupportable impudeur. Certains ont ri, d'autres ont réagi par un intense et profond dégoût, d'autres encore ont, dès le départ, compris que l'enjeu était la relance du désir. Quelque chose était en cours, c'était inarrêtable. Entretenir l'art par accroissement des tensions plutôt que par leur atténuation ou leur épuisement dans la rhétorique ou la beauté apparaissait comme une nouveauté radicale. Pourquoi? On peut parfois repérer ce qui ressemble à une cause : des événements historiques (Goya), des contradictions dans les exigences de l'art (Manet) ou des conflits mentaux (Van Gogh). Mais ces causes, bien réelles, entrent dans un trouble plus vaste, un brouillage plus profond, un mal d'archive qui affecte le voir et le savoir et ne cesse d'arriver, chaque fois événemant, moment unique absolument imprévu, irréductible à tout enchaînement de raisons.
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