Derrida
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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, plaisir, jouissance                     Derrida, plaisir, jouissance
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 8 février 2006 Le tout autre du principe de plaisir

[Derrida, plaisir, jouissance]

Le tout autre du principe de plaisir Autres renvois :
   

Le "tout-autre" du principe de plaisir

   
   
Orlolivre : comment ne pas s'entendre, se sentir? Orlolivre : comment ne pas s'entendre, se sentir?
                 
                       

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Tout se passe comme si Derrida se méfiait du plaisir. Ce n'est pas un mot qu'il utilise très souvent. Ses premiers développements majeurs sur le sujet, en 1975-76, le situent du côté d'un désir de maîtrise ou de souveraineté. Le principe de plaisir de Freud, indissociable du principe de réalité, est indémontrable. Il est hanté par le déchaînement d'autres différences, ou des différences toutes autres, que Freud a nommées pulsion de mort, plus originaires, qui se traduisent par la violence, les guerres, le sadisme, la cruauté ou l'érotisme. Il faut attendre plusieurs décennies, le dernier séminaire (2002), pour qu'au-delà de l'athèse spéculative de Freud, Derrida avance, sous son propre nom, ce qu'on pourrait nommer une théorie nostalgique du plaisir. Il n'est pas de plaisir sans deuil d'une trace vers laquelle je tends, pris dans une logique paradoxale de la vitesse. Avec la course au plaisir, il s'agit de courir vers la mort en l'évitant.

 

1. Nostalgie.

Pour envisager, rechercher ou espérer un plaisir, il faut l'avoir déjà éprouvé. Il renvoie à une expérience antérieure, une archive qu'il répète, qu'il réitère. Se souvenant du deuil de cette trace, il arrive comme déjà passé, dépassé, comme un mal d'archive, comme mémoire de jouissance qui fait que, d'avance, il m'est dérobé. Je vais à la mort et rapidement la mort me rencontre / Tous mes plaisirs sont d'hier écrit John Donne. Déjà mes plaisirs sont teintés de nostalgie. Ils n'ont ni substance, ni contenu; ils arrivent comme la revenance d'une trace qui reste toujours indécidable, improbable, retenue. Jamais je ne suis sûr de reconnaître cette trace ou de me la réapproprier. D'avance, un plaisir est mort-né, il est affecté d'un pas de plaisir, pris dans une course à la mort qui m'oblige à un deuil de moi-même.

L'incertitude m'oblige à la hâte : toujours plus de vitesse, de précipitation. La nostalgie empêche tout calcul, elle me livre à l'incalculable, l'incommensurable. La jouissance est déjà endettée, en échec. La mort a déjà gagné la course. Si le plaisir vient toujours de l'autre, il faut abandonner la croyance en un plaisir souverain. Plus vite, par la recherche du plaisir, je fuis la mort, plus vite je m'en approche. Si le plaisir ne nait que du deuil, seule ma mort me laisse jouir, elle seule me laisse prendre du plaisir. Dire qu'"elle me gagne de vitesse", c'est dire que cette course de vitesse me dépasse, qu'elle échappe à mon contrôle. Le plaisir ne pourrait arriver qu'au-delà de la vitesse. Là seulement, dans ce saut, il toucherait à la vie.

 

2. Présence.

Le plaisir est toujours double. D'un côté, il renvoie à une expérience antérieure, une archive qu'il répète, qu'il réitère, mais d'un autre côté, on ne peut jouir qu'au présent, il ne peut survenir que dans la présence, en ce moment même. Une pure jouissance - si cela existait - serait un moment de plénitude où le désir ne se distinguerait pas du plaisir, un temps d'accueil où l'homme vivrait au présent ce qui lui est propre, sans artifice ni suppléance, sans inquiétude ni attente, sans langage articulé ni espoir d'un supplément à venir. Mais alors, d'où viendrait la certitude de cette jouissance, l'évidence inébranlable que je jouis ? Il faudrait, selon Derrida, avant cet acte de foi, le témoignage d'un autre qui rendrait ce plaisir crédible. Rien ne m'est plus sensible que le sentiment du moi, la perception sensible que j'ai de moi-même, mais dans le même mouvement, cette expérience suppose aussi la bonne foi. Ma jouissance repose sur des normes, des critères, des signes, des codes qui ont alimenté mon imagination. Elle est habitée par l'autre qui m'a transmis ces codes et m'a fait croire en ces représentations. Pour soutenir l'évidence du plaisir, il faut un garant qui puisse me rassurer du dehors, et s'il a le pouvoir de me conforter, il a aussi le pouvoir de trahir la confiance que j'ai mise en lui. Et si ce plaisir si manifeste, si évident, était un faux plaisir ?

Jouir de la présence pure (ou pleine), ce serait jouir d'un écoulement, s'absorber dans l'instant présent de la vie. Ce serait accueillir le moment où l'hétéro-affection la plus radicale, irréductible [ce tout autre en moi], s'identifierait à l'auto-affection la plus pure [s'affecter soi-même comme tout autre]. Mais ce point de présence, immédiatement présent, n'est qu'un archétype. Il est paradoxal et inimaginable.

 

3. Promesse.

Avant d'être effective, la jouissance est d'abord promesse de jouissance. On saura peut-être, plus tard, au dernier moment, ce qu'aura donné cette promesse. En attendant, le plaisir se dissocie difficilement du déplaisir. Il faut, pour s'assurer de son effectivité, l'oreille de l'autre. Suis-je jamais sûr de mon propre plaisir ? Pas plus que celui que, éventuellement, je peux donner. Mon plaisir est alors suspendu à celui qui reçoit. L'enseignant, par exemple, suspend son plaisir à celui qui l'entend.

 

4. Principe (Freud).

La lecture derridienne du plaisir est anasémique. Il distingue entre d'une part le plaisir courant, celui qui fait sens dans le discours, et d'autre part cette autre dimension du plaisir qu'on peut écrire avec des guillemets, qui prend sa source dans une langue archi-ancienne, inconsciente, pré-originaire, qui ne se donne jamais comme telle mais seulement par traduction ou conversion. L'une de ces traductions est proposée par Freud. Alors que la psychanalyse était, depuis le début, fondée sur le plaisir au sens courant du terme, il prend acte des paradoxes liés aux traumas. Comment expliquer que la survie du moi dépende de la répétition d'un déplaisir ? Freud s'interroge sur un énigmatique "plaisir" inconscient, "au-delà" du principe de plaisir (1923). En donnant à cet au-delà le nom de pulsion de mort, il change de paradigme. A l'origine des processus psychiques, il n'y aurait pas une dualité (Eros / Thanatos, vie / mort), mais le dédoublement d'un processus unique. Bien que cette thèse soit présentée avec prudence, en multipliant les réserves (athèse), Freud s'engage dans une spéculation apparemment gratuite, sans modèle préétabli, où les oppositions plaisir / déplaisir, vie / mort, en-deça / au-delà, sont désactivées. En quoi consiste le plaisir, s'il peut être représenté par un déplaisir ? Le principe de réalité, capable de lier (binden) les pulsions qui mettent en danger la survie, ne peut pas être indépendant. Il est, comme le plaisir, hanté par la possibilité du déchaînement d'autres différences, un autre absolu, tout autre, immaîtrisable, inconceptuable, ininscriptible. Freud renvoie ce tout autre à une autre source omniprésente, indépendante de ce principe, plus originaire, plus pulsionnelle. Polymorphe, insaisissable, cette force parcourt un cercle, un anneau toujours liminaire. Entre le sans-plaisir et la décharge, elle ne passe que pour s'effacer, ne se produit et ne se limite qu'avec restriction, jusqu'à sa propre annulation, sa destruction. S'il y a jouissance, elle ne peut être capitalisée que dans l'horizon de son extinction (orgasme). Pour penser cette expérience, il faut un concept irréductible, un quasi-concept, un concept inconcevable.

 

5. Une jouissance tremblante, idiomatique.

On ne peut pas jouir de la vérité, mais il n'est pas exclu que la vérité puisse jouir, en ce point d'archi-plaisir où la chose est au plus proche et aussi toute autre, où les systèmes d'opposition se disloquent. Il est possible que, sur la scène d'écriture d'"Àu-delà du principe de plaisir", Freud ait frôlé ce point. Il s'est senti alors acquitté de toute dette, libre de donner libre cours à sa spéculation.

Cette dislocation ouvrirait la voie à une jouissance sans contenu, ni identité, ni présence, ni plénitude. Jacques Derrida parle de vibration différentielle pure pour nommer un rêve, ou un désir, ou une promesse qui se manifeste dans un rythme, un timbre de voix, un tremblement, un appel de l'autre. Ce lieu énigmatique, idiomatique, indéchiffrable, vient à lui comme une exigence, une nécessité. Il l'attend, mais le garde en réserve. Il le craint, mais en craint aussi l'effacement dans la douleur ou le manque.

On peut trouver dans la photographie un exemple de vérité qui s'expose elle-même, par auto-affection, dans le procès de son développement. La photo est une trace, une archive, qui d'avance est affectée de nostalgie. C'est la reconnaissance d'un deuil, mais inappropriable. Un autre pourra toujours en jouir, ou encore sa jouissance restera toujours à venir, dans le vivant de celui qui la regardera (autobiophotographie).

 

6. Hétérogénéités.

Irrémédiablement solitaires, les amis peuvent jouir ensemble de leurs deux jouissances disjointes, hétérogènes. On peut rapprocher ce moment du beau kantien (le plaisir désintéressé) - cette coupe de plaisir.

Il est aussi quelques restes dont on peut jouir. Par exemple le dessin, qui est le reste d'un modèle; ou encore le tableau vivant qui est le reste d'un fantasme, d'une chose encryptée.

 

7. Inconditionnalités.

Quel est le plus grand plaisir qu'on puisse donner? Faire surgir, par surprise, le nouveau. En tous cas Baudelaire le dit, et Derrida le reprend implicitement à son compte. Un don sans cause, sans intention, sans justification, qui n'engage dans aucun procès d'endettement ni de restitution, pourrait faire jouir la langue.

On peut, dans le même temps, jouir et demander pardon. C'est ce qui arrive, par exemple, quand on fait une œuvre. Il y a plus de jouissance dans ce qui survit que dans le monde ici et maintenant.

En accueillant un hôte incompréhensible, en déplaçant, en transformant le discours, le travail de déconstruction pourrait, lui aussi, donner un plaisir de ce genre.

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Propositions

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[D'avance, mes plaisirs présents, datés d'hier, me sont dérobés, et c'est la nostalgie d'hier qui me donne le plaisir, en ce moment même, comme hier]

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Il n'est de plaisir ou de jouissance que dans la trace, la revenance de ce pas que jamais je ne suis sûr de reconnaître, de me réapproprier

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Déjà, depuis le commencement, je suis en deuil de moi-même; tous mes plaisirs sont d'hier, déjà passés d'avance, teintés de nostalgie

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La jouissance est d'avance le passé d'elle-même : plus vite je fuis la mort, plus vite, au-delà de la vitesse, une vitesse absolue, infinie, me gagne de vitesse

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Tout commence par l'archive : une trace qui s'affecte d'avance de nostalgie, une mort qui me précède et reste à venir, une autobiophotographie non réappropriable

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Le sentiment du moi, son auto-affection ou sa jouissance ne tiennent pas à l'évidence du cogito, mais au témoignage d'un autre qui, avant tout acte de foi, peut trahir

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En usant de sa liberté académique, Jacques Derrida propose une certaine démonstration autobiographique; il y prend un plaisir qu'il souhaiterait enseigner

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La jouissance est toujours l'accueil de la présence

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Jouir de la présence pure (ou pleine), c'est jouir d'un écoulement

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Le mouvement qui introduit la différance et le langage fracture l'heureuse plénitude, la vivante présence à soi du propre, qu'une fiction rousseauiste décrit comme jouissance

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Pour qu'il y ait désir et jouissance, il faut que la représentation habite la présence

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Toujours déjà encodé, le premier cri vient suspendre une jouissance qu'on veut faire attendre

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Le "pas au-delà" de Freud dans "Au-delà du principe de plaisir" tient à l'impossibilité de s'arrêter à une thèse ou une conclusion posée comme théorique ou scientifique

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L'hypothèse de l'"athèse" chez Freud, c'est que la structure de son texte, sa spéculation, ne correspond à aucun genre, aucun concept concevable, aucun modèle préétabli

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Freud parle depuis une scène d'écriture auto-hétéro-thanato-graphique où son bon plaisir a le dernier mot; en ce non-lieu, il est acquitté de toute dette

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Dans la spéculation freudienne sur le principe de plaisir, la possibilité du tout-autre est d'avance inscrite à même ce principe, en tant qu'ininscriptible

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Un ensemble travaille silencieusement à se lier lui-même; plus il y a de forces encore libres, plus il se sexualise et s'érotise

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[Dans le principe de plaisir qui, selon Freud, domine la vie psychique, est à l'oeuvre, en silence, le "tout autre"]

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Les concepts anasémiques comme "plaisir" ou "libido" ne renvoient pas au sens qu'ils ont dans la langue, mais au pré-originaire à partir de quoi, en-deçà du sens, ils ont un sens

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Le plaisir, Freud ne sait pas ce que c'est : concept inconcevable, passage qui n'arrive qu'à s'effacer, hymen qui revient à son point de départ, stricture qui se lie elle-même

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La maîtrise du principe de plaisir, c'est la maîtrise en général, celle qui, par idéalisation, capitalise la jouissance

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La chose qui fait loi est au plus proche, et aussi toute autre - en elle jouit la vérité, comme en la serviette-éponge de Ponge

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A l'origine de la connaissance, il y a un point oublié d'archi-plaisir : en ce point, les oppositions perdent de leur pertinence, la science rejoint le beau

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Séparés l'un de l'autre, irrémédiablement solitaires, les amis se taisent ensemble, dans le rire éclatant de leurs deux jouissances partagées, disjointes, hétérogènes

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L'écriture est un intense rapport à la survivance, non par désir qu'après moi quelque chose reste, mais par jouissance, ici et maintenant, de la vérité du monde en mon absence radicale

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La seule jouissance pensable, c'est celle d'une voix purement idiomatique, fantômatique, tremblante : un désir, un rêve, une promesse, une Nécessité

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A-t-on jamais joui d'autre chose que d'une promesse?

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Faire une oeuvre, c'est voler l'acte qui la produit, le confesser, en jouir tout en demandant pardon, s'en exonérer tout en reconnaissant le mal et en en acceptant la sanction

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Le dessin met en scène un travail et une jouissance quant au reste

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Avec la déconstruction, quelque chose arrive à la langue : jouissant d'elle-même, elle accueille un hôte incompréhensible qui l'oblige à parler autrement

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En donnant à lire comme symptômes les textes de notre culture, le travail de déconstruction donne un grand plaisir

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Dans la coupe multiple où se produit la dissémination, au-delà du tout, le plaisir littéraire a lieu

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Donner par surprise à l'autre, tel est le plus grand plaisir qu'on puisse se donner, celui qui fait surgir le nouveau au plus proche de la cause de soi, de l'auto-affection

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Dans la crypte, une Chose inconnaissable, muette, traduite en allosèmes, se donne à jouir comme un tableau vivant

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Le "plaisir désintéressé" produit par l'objet beau ou sublime est un "se-plaire-à" : une auto-affection purement subjective

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S'il y a un art de la photographie, la vérité s'y révèle dans le système d'un appareil optique, sans qu'on puisse en arrêter la jouissance

 


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