Jacques Derrida commente la hiérarchie des Beaux-Arts proposée par Kant. Au sommet se trouve l'art le plus expressif : la poésie. Pourquoi? Parce que (selon Kant) c'est la poésie qui se rapproche le plus de la productivité libre qui caractérise la beauté artistique. Elle est la plus authentique, la plus adéquate à elle-même, la plus apte à faire le travail de deuil nécessaire pour renoncer au plaisir objectif et à la jouissance. Et pourquoi en est-il ainsi? Parce que la poésie met en jeu la production vocale, qui se caractérise par la structure du s'entendre-parler. Quand nous parlons, nous nous entendons, sans passer par aucun dehors. Dans ce processus, l'intériorité s'exprime directement, l'intelligence et la parole sont liés. La bouche et l'oreille ne peuvent pas se dissocier. C'est leur particularité, leur privilége, qui peut se déplacer dans d'autres parties du corps, mais reste unique dans le système des sens. L'ouïe n'est pas le plus noble des sens, mais le moins remplaçable (ou le plus intolérant à la prothèse, dit Derrida qui, sur ce point, ne semble pas se dissocier de Kant). Grâce à elle, nous considérons l'esprit comme une substance idéale habitant en nous. Elle a pour élément ou pour forme le temps, elle idéalise tout, elle hiérarchise, - et elle exclut aussi tout ce que la bouche ne peut pas assimiler (le vomi, le dégout). Aucun autre sens ne peut fonctionner de cette façon. C'est l'axe bouche-oreille qui dessine la limite, le cadre, le parergon où le système logo-phonocentrique peut fonctionner.

Ce privilège de l'audition intérieure fait penser à la tradition juive : Ecoute ma voix est une prière sans contenu, sans mots.