Derrida
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TABLE des MATIERES :

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 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, nation, élection                     Derrida, nation, élection
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 15 février 2020 Orlolivre : Comment ne pas politiser ?

[Derrida, nation, élection]

Orlolivre : Comment ne pas politiser ? Autres renvois :
   

Derrida, communauté, famille, pays

   
   

Derrida, pouvoir et souveraineté

                 
                       

Jacques Derrida a consacré son premier cycle de séminaires à l'EHESS (1984-1988), le premier pour lequel il ait eu entière liberté de choix du sujet, au thème Nationalité et nationalismes philosophiques. Par ce syntagme, nationalisme philosophique, il ne définit pas la nation par son histoire ou sa généalogie, mais plutôt par rapport à la mission qu'elle se donne, son élection. Les textes étudiés pendant ces quatre années renvoient au théologico-politique, au philosophique bien sûr, et aussi à la littérature, la poésie. Deux peuples semblent privilégiés dans son analyse : l'Allemagne, les Juifs et le lieu où ils se croisent. Qu'est-ce qui fait que certaines nations se considèrent comme élues? Il abordera dans toute son œuvre et jusqu'à l'un de ses derniers livres Voyous (publié en 2003), de façon très diversifiée, la question de la nation, de l'État et de ce qui va avec, le souverain. Le déplacement sera aussi géographique : vers les Etats-Unis et leur rapport au reste du monde.

 

1. Un coup.

Selon Derrida, l'ultime fondement du nationalisme (qui est aussi le fondement de l'élection), c'est un temps d'affirmation absolue, un coup initial (Schlag) qui, sans justification ni raison, ouvre un chemin, fait effraction, événement, frayage. Cette ouverture est indissociable d'un certain discours du retour. Il faut garder ce lieu, le mettre à l'abri, et puisqu'il s'est effacé, il faut en promettre la venue pour l'avenir. Dans cette métaphysique de l'origine, la nomination du fondement est indissociable d'un appel, d'une injonction. Il faut se rassembler, préserver cette identité perdue, ce chez soi (Heimat) qui donne lieu à une suite de générations (Geschlecht), une famille, une communauté. On peut dire de ce lieu assigné au commencement, archi-originel (avant même la naissance) qu'il est une terre, un foyer, et aussi un destin. Le nommer annonce un retour et aussi un salut qui déborde la communauté considérée. En choisissant de privilégier le style de Heidegger et ses mots (Ort - le lieu, Geist - l'esprit, Fremd - l'étranger, Wahnsinn - la folie, Land - notre pays, Gedicht - l'idiome poétique, Kampf - le combat, Volk - le peuple, Weg - le chemin, Geschick - l'envoi, Gewalt - la violence, etc.) Derrida situe le nationalisme du côté d'un certain mal, l'aventure nazie, mais aussi du côté d'autres textes comme ceux de Hölderlin ou de Trakl qui (re)viennent aux sources de la langue allemande.

Ce nationalisme dit philosophique peut conduire au repli nostalgique, à la guerre, aux pires catastrophes mais pas seulement, il est aussi à l'œuvre dans d'autres constructions culturelles (exemples : les Grecs, les Juifs, les USA), qu'elles se disent nationalistes ou non.

 

2. Témoignage.

Pour appartenir à une nation, il faut témoigner de ce coup initial. L'affirmation nationale se présente à la fois comme le retour d'une origine, et la revendication d'une mission exemplaire, d'une vocation. Chaque membre de ce peuple doit parler au nom de l'exception, il doit en partager (selon les cas) la vision, la souffrance, la langue, le savoir, les textes sacrés, etc. Pour convertir, il doit excéder sa particularité.

 

3. Violence.

Une société humaine s'institue pour répondre à une violence qui la précède, une violence pré-originaire sans limite, qui excède la conscience de l'individu et aussi la continuité des générations. Si l'on attribue cette violence à Dieu, elle peut prendre l'aspect d'une punition ou d'une vengeance. D'un point de vue rationnel, un Dieu juste et pacifique comme celui de Spinoza ne devrait ni se mettre en colère, ni se venger, mais dans les textes sacrés la violence originaire insiste. En instaurant une communauté, un chez-soi, on se protège contre les menaces d'expropriation ou d'errance.

Pour vivre ensemble, rassemblés dans une nation, il faut oublier cette violence originaire. Sans ce refoulement, on ne pourrait pas idéaliser, homogénéiser, unifier la culture d'un peuple. De là viennent les fables, les récits, la science et la vérité, l'exigence logocentrique, tout ce qui constitue l'âme d'un peuple.

Avec la mondialisation, les télé-technologies, le nouveau régime des télécommunications qui disloque le lien entre Etat, territoire et nation, le risque de violence et d'expropriation est démultiplié. Il faut repenser le lieu du proche, du familier, le lieu où j'habite.

 

4. Nom.

Dans le récit biblique, Dieu instaure la nation d'Israël en son nom, par son nom propre à lui (Yhvh). Il n'a aucun contact direct avec le peuple. Il décide, et le médiateur (Moïse) n'a pas de place dans cette décision. Israël reçoit son élection, la charge d'une mission exemplaire, par un geste absolument singulier qui humilie le peuple et ne garantit aucune certitude de survie. Par la violence de son propre nom, Dieu peut faire vivre la nation, mais il peut aussi la ruiner, il peut susciter la catastrophe.

 

5. Souverain.

Instaurer la nation, c'est instaurer en même temps le souverain qui l'assujettit. Cela vaut pour l'ancien régime et aussi pour le nouveau - la décapitation ouvre un héritage, une transmission, la possibilité d'un nouveau partage, d'une autre économie (peuple, nation, démocratie, république). On raconte une autre histoire qui refonde l'élection - sans en transformer le principe.

 

6. Election.

On ne peut contourner l'exemple princeps de l'élection juive qui raconte l'émergence d'un peuple, son errance, son retour et ce qui, pour Jacques Derrida qui signe de son nom (c'est sa position unique, singulière, subjective) trace un chemin au-delà de cette tradition, au-delà dans cette tradition. Pour l'enfant, l'infans, avant la parole, au moment de la circoncision (huit jours), la question de l'alliance était déjà posée. Avant sa naissance, sa responsabilité était déjà engagée. Il était élu, affecté par l'universel, par un engagement inconditionnel et sans fin. Cette élection lui venait d'une étrange assertion, qu'il devait entendre en lui-même et se répéter, sans justification ni explication : Je suis Juif. On peut dire cette phrase, la signer, et même organiser sa pensée autour d'elle, sans savoir ce que c'est. L'élection juive est liée à cette incertitude, cette précarité. Même si je rejette tout dogme, je ne peux pas effacer l'héritage. Il conditionne mes décisions, ma responsabilité. D'où vient cette dette, pourquoi moi, quelle faute ai-je commis? Cela restera secret. L'élection se fait dans l'obscurité, dans l'aveuglement. C'est un secret terrible, absolu, celui auquel Abraham a été exposé et auquel il a acquiescé, en silence. L'alliance est l'épreuve du mal impardonnable, le meurtre d'un enfant. Abraham ignore pourquoi il agit ainsi, il ne peut rien en dire, et pourtant il garde sa confiance qui sera récompensée par l'utime rétractation de Dieu. Au sacrifice d'un enfant est substitué celui du bélier. C'est le début de la dette, dont la chaîne se poursuivra indéfiniment. D'abord élu par Dieu, le Juif sera élu par la lettre.

On peut nommer "Jérusalem" le lieu irremplaçable de l'élection, mais laquelle? De quel retour, revenance, annonce ou promesse ce nom est-il le lieu? Il n'y a pas de réponse générale à cela, mais seulement des réponses particulières. Pour celui qui se dit le dernier des Juifs, à la fois Jacques (Jacob-Isaac) et Elie (le dernier de sa lignée, le plus déraciné, le plus éloigné du communautaire et du familial, le pire Juif donc et aussi le plus responsable, le seul qui reprenne à son compte l'exigence démesurée de l'alliance d'Abraham, le seul qui se soit donné ironiquement, outrancièrement, excessivement pour tâche de maintenir ouvert l'avenir du judaïsme), il s'agit d'inviter à une autre alliance, une autre bénédiction, qui ne soit plus adressée à ce qui fait peuple.

 

7. Au-delà.

Il ne suffit pas de dénoncer le nationalisme pour s'en défaire, ni même de le déconstruire. Ce sont d'autres exigences, d'autres coups, d'autres inconditionnalités, d'autres élections, qui doivent s'affirmer.

 

 

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Propositions

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Promettre le retour à la simplicité d'un "coup" initial (Schlag), au frayage matinal d'un Geschlecht, tel est l'ultime fondement du nationalisme

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Le style de Heidegger, sa manière, recourt à ce qu'il nomme "notre langue" : la signification supposée originelle, intraduisible, de mots en haut et vieil allemand

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En pensant l'"allemand" depuis une origine qui le déborde, Heidegger reproduit l'ambiguité de tous les discours nationalistes

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Aucun "schème" médiateur ne peut donner à une nation singulière une mission exemplaire, à la fois irremplaçable et singulière, ce ne peut être qu'un "shem", un nom propre

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La fondation de toute société humaine répond à une violence pré-originaire, une vengeance de Dieu qui peut toujours faire retour

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Vivre ensemble, rassemblés dans une nation, exige, à même la mémoire, l'oubli des violences originaires qui fondent la nation

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Pour celui qui exige la raison, la vérité, la science, une hypothèse absolue ou "anhypothèse" s'impose : "Une économie générale de l'esprit, logocentrique, unifie la culture"

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"Psyché" est le lieu psychique d'une fantasmatique pulsionnelle où se stabilise l'"esprit" ou l'"âme" des peuples, et où s'institue le logos des nations

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Toute affirmation nationale en appelle à la structure du témoignage

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Le chez-soi n'est ni nature, ni racine, mais réponse à une errance qu'il arrête

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Si je veux être chez-moi, ici-maintenant, avec mes proches, c'est pour répondre à la menace d'expropriation dont les télé-technologies sont une forme

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La décapitation du roi est un transfert fictionnel, narratif, théâtral, représentatif et performatif de sa souveraineté à celle de la Nation et du peuple

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Le nouveau régime des télécommunications disloque le lien entre Etat, territoire, et nation, ce qui forge un nouveau concept du politique dont il faut repenser le lieu

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L'élection juive est une marque d'avant la parole, qui pose à chaque Juif la question de l'universel

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Dans la tradition juive, l'"élection" est une techouva inconditionnelle : "Je déclare devoir faire l'impossible pour une responsabilité sans fin"

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L'élection juive est suspendue à une incertitude qui affecte aussi la réponse : "Je suis Juif"

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Une élection secrète voue le Juif au silence

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Le Juif élit l'écriture qui élit le Juif en un échange qui est l'historicité même

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On peut nommer "Jérusalem" le lieu irremplaçable de l'élection, mais on ignore de quel retour, revenance, annonce ou promesse c'est le lieu

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"Je suis le dernier des Juifs" : le plus indigne par son déracinement, et aussi le plus Juif, car le seul survivant qui puisse sauver la responsabilité devant l'élection

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Jacques Derrida a reçu le nom hébraïque d'Elie : signe d'élection, don caché, appel silencieux d'un prophète qui, à chaque circoncision, rappelle l'alliance

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Jacques Derrida, dont le prénom commence comme Jacob et finit comme Isaac, est à la fois le fils élu contre la loi et le père qui, en bénissant ses fils pour les protéger, se retire

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[Au-delà du performatif, du souverain, "au-delà dans" le politique, vient la mise en oeuvre de principes éthiques, inconditionnels]

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