L'ambiguité des discours nationalistes, c'est que pour assurer le salut d'un peuple, sa rédemption, sa guérison, ils affirment un horizon universel. Il leur faut une téléologie, une justification spirituelle, pour s'adresser à un peuple (un seul) qui est leur habitat, leur "heimat", leur "Geschlecht". Ce geste est celui de Fichte en 1807 dans ses Discours à la nation allemande. Après la défaite de la bataille d'Iena (1806), pour redonner un élan à la nation, la sortir de son impuissance et de son isolement, il fallait affirmer que le progrès infini de la liberté était au fondement du plus proprement allemand. Heidegger reprend à sa façon la même posture dans sa Lettre sur l'humanisme (1946), après la défaite nazie. Il situe cette défaite sur le plan de l'histoire de l'être. C'est selon lui l'homme moderne (en général) qui est jeté dans l'absence de patrie (heimatlosigkeit), c'est l'Occident qui a perdu sa proximité à l'origine. Il faut, pour la restaurer, revenir au plus originel, et ce plus originel se dit avec des mots allemands.

En 1908, un siècle après la défaite, Ferdinand Hodler a peint ces étudiants d'Iena qui se préparent pour, pensent-ils, restaurer la liberté contre la dictature napoléonienne. Sa peinture insiste sur une homogénéité de couleur : le bleu (comme chez Trakl).

Dans le texte sur Trakl comme partout chez Heidegger, c'est le "plus originaire" qui est porteur du "plus futur", du "plus à venir" (Derrida, p125). Cette forme circulaire, cercle du cercle, est pour Heidegger la plus authentique.