Derrida
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TABLE des MATIERES :

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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
D'un "texte sacré" à la déconstruction                     D'un "texte sacré" à la déconstruction
Sources (*) : Orlolivre : comment ne pas babéliser?               Orlolivre : comment ne pas babéliser?
Pierre Delain - "Miqra, plus d'une lecture", Ed : Guilgal, 2016-2020, Page créée le 11 juin 2017 Folie de la langue sacrée, maternelle

[Une langue de la déconstruction serait comparable à un texte sacré - langue d'étude et de liturgie, insécularisable comme l'hébreu]

Folie de la langue sacrée, maternelle
   
   
   
Pour plus d'une déconstruction à venir Pour plus d'une déconstruction à venir
Derrida, judaïsme, judéités               Derrida, judaïsme, judéités    
Derrida, la tour de Babel                     Derrida, la tour de Babel    

1. La langue sacrée : un héritage à interpréter.

Inspiré notamment par le texte de Walter Benjamin, La tâche du traducteur, Jacques Derrida associe la question de la langue sacrée à celle de la traduction. Tout texte, quel qu'il soit, toute écriture, toute œuvre, - on pourrait dire toute assertion, toute énonciation, toute parole - exige d'être traduit. D'un côté, il ne faut pas toucher à l'original, il faut garantir sa pureté. Le texte doit rester tel quel, intraduisible, sacré. Mais d'un autre côté, il faut promettre une réconciliation entre les textes, un hymen. C'est le langage pur de Benjamin, à la fois nécessaire pour croiser les langues, et inaccessible. L'œuvre est unique, irremplaçable, elle donne un nom ou plutôt se donne comme un nom, et pleure pour être traduite (ou lue, ou interprétée, ou déchiffrée, etc.). C'est elle qui, comme le Dieu de Babel, fait la loi et suscite la dette. Son exigence étant absolue, inconditionnelle, la dette est insolvable. Dans l'interprétation derridienne, le texte sacré n'est ni une langue historique, ni une langue universelle, ni une langue naturelle, mais l'acte de langage qui fait que d'une part il faut traduire d'une langue à l'autre, on ne peut pas en rester à une seule langue, mais que d'autre part la traduction, nécessairement inadéquate, enrichit et déplace le texte. Dans le même mouvement, on appelle la dette, le devoir de traduire, on suppose un accord entre les langues, et l'on reconnaît que ce qui est à traduire est comme un nom propre, intraduisible.

Ce qui est unique, absolument singulier dans cet événement, c'est que l'exigence de survie du texte exige aussi la confusion. Quand on traduit, on prétend clarifier, mais on ajoute du texte au texte. Le contrat de traduction ne lie pas des personnes, mais des textes qui, dans la position de nom propre où ils sont assignés, ne peuvent pas s'harmoniser - tout au plus peuvent-ils se réconcilier. C'est un contrat absolu qui scelle une alliance d'avant même le langage (une alliance entre noms, intraduisibles). Obéir à l'injonction du Dieu de Babel, c'est proclamer l'unicité du nom qui impose la confusion. A cette condition seulement le texte biblique (ou tout autre texte), en tant qu'il fait survivre un original, un texte incorruptible, peut se dire "texte sacré".

 

2. Une langue dangereuse.

Dans son texte Les Yeux de la langue (édition posthume, pages 73 et 83), Derrida analyse la lettre écrite par Gershom Scholem en hommage à Rosenzweig en 1926. Pour exprimer son inquiétude devant la sécularisation de la langue hébraïque dans la Palestine de l'époque, Scholem s'exprime en allemand, en latin ou en français - et pas en hébreu. Il parle de Verwertlichung ou de Säkularisierung (racine allemande et latine pour la sécularisation) en précisant : "La sécularisation n'est qu'une façon de parler" (en français dans le texte). Si c'est une façon de parler, c'est que pour Scholem, en tant qu'héritier de la tradition hébraïque, elle pose des questions insolubles. Il est exclu que les vieux mots perdent leur trop-plein de sens. Même quand ils sont utilisés dans la vie courante, ils restent des mots de la langue sacrée. Scholem semble douter que le mot sécularisation puisse être traduit en hébreu. Cette langue, comme toute langue peut-être, est à la fois sacrée et séculière. Citation de Derrida :

"Le principe de la question que j'aimerais ici poser, dans mon incompétence même, serait le suivant : que peut-on traduire, dans l'hébreu sacré ou dans la sémantique qu'il enjoint, par Verweltlichung? Quel est l'équivalent juif pour l'opposition spirituel/mondain, sacré/séculaire, etc.? Y en a-t-il un et quel en est l'enjeu pour cette "confession au sujet de notre langue" (Bekenntnis über unsere Sprache). Plus bas, au lieu de Verweltlichung, mot consacré, pour "laïcisation", "sécularisation", Scholem utilise entre guillemets le mot "Säkularisierung", comme s'il y avait un jeu de mots allemand ou latin autour de l'hébreu sacré, la langue intouchable, langue d'étude ou langue liturgique" (Les Yeux de la langue, p73).

Dans ce passage, Derrida glisse facilement du mot "hébreu" au mot "juif", comme si tout ce qui est hébreu était juif et réciproquement. Le problème se pose, dit-il, pour "un penseur juif"; et à propos de la traduction, ce qui semble manquer dans la langue ne serait pas un "équivalent hébreu", mais un "équivalent juif". On trouve le même glissement chez Scholem : quand il veut désigner un locuteur hébreu, il parle de "notre langue" - car il est évident pour lui que l'hébreu est la langue des Juifs. Pour Derrida comme pour Scholem, malgré la forme interrogative de la phrase, il ne peut y avoir de sécularisation de la langue sacrée ni pour un locuteur hébreu, ni pour un Juif.

 

3. La langue de la déconstruction.

Avant une longue citation de Stéphane Mosès, Derrida conclut ce texte qu'il intitule Les Yeux de la langue sur la déconstruction. Qu'est-ce qui caractériserait "une pensée de la langue, une expérience de la langue qui permettrait de déconstruire les oppositions"? Elle ferait courir le risque d'un rejet de la science et de la philosophie. En d'autres termes, la langue de la déconstruction, comme la langue sacrée, ne serait pas sécularisable. Le mot de "laïcité" ne pourrait pas se dire dans cette langue - et d'ailleurs Derrida ne l'emploie presque jamais dans son œuvre.

De cette logique, on pourrait déduire une série de formulations paradoxales, par exemple : La langue de la déconstruction n'existe pas, mais elle est sacrée. Ou bien : En tant que langue philosophique, la déconstruction est séculière, mais elle détruit nécessairement la sécularité. On pourrait aussi déduire de cela quelques considérations sur le rapport de Jacques Derrida à la langue hébraïque. À part de rares exceptions il évite généralement de citer des mots dans cette langue. Lorsqu'il mentionne des textes de l'Ancien Testament, il choisit de le faire dans une langue vernaculaire, parfois en latin ou en grec, mais très rarement en hébreu. Tout se passe comme s'il voulait éviter une contamination de son idiome à lui, la langue de la déconstruction, par la langue sacrée des Juifs. Rapprocher ces deux langues pourrait produire des effets imprévisibles, du type de ceux mentionnés par Gershom Scholem. La question est celle du pouvoir de nommer : dans l'une ou l'autre langue, il faut montrer la plus grande prudence.

La langue à venir serait celle qui s'éloignerait des généralités et se rapprocherait de la dimension la plus singulière, celle du nom. A la place de la langue commune, viendrait l'idiome. À la place qui pour Scholem est celle de l'hébreu (pas l'hébreu moderne, l'hébreu en tant que langue sacrée à interpréter et déchiffrer), à la place qui pour Benjamin est celle du langage pur, viendrait la langue de la déconstruction, avec les paradoxes, les difficultés et les dangers qui tiennent à ce lieu. S'il faut déconstruire, c'est à la fois pour favoriser entre les langues une alliance, les réconcilier, et pour obéir à l'injonction de Babel : tu ne feras pas obstacle à la confusion.

 

 

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Propositions

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"A propos de notre langue, une confession" (lettre écrite par Gershom Scholem, en hommage à Franz Rosenzweig, pour son 40è anniversaire, le 26 décembre 1926)

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[Le nom de Babel renvoie à une langue inconnue, inintelligible, sainte, où l'absolument singulier, impossible à traduire dans aucune langue courante, se produit]

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En parlant dans sa langue maternelle, séculière (l'allemand), pour dire le mal qui va arriver à la langue sacrée (l'hébreu), Scholem brouille la distinction sacré / séculier

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L'événement du texte sacré, c'est qu'en commandant une traduction sans laquelle il ne serait rien, il se fait acte de langage, modèle et limite de toute écriture

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Il y a du Babel partout : chaque fois qu'il y a du nom propre, de l'intraduisible, chaque fois qu'on crée une oeuvre, ça sacralise, ça produit du texte sacré

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"On ne peut pas toucher à l'original"; il faut cet axiome - qui garantit la pureté de l'original - pour interpréter, déplacer, traduire et inventer

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Traduire, c'est viser l'essence, la racine commune du littéraire et du sacré, c'est promettre un hymen, une réconciliation, un contrat qui préserverait l'intouchable et la brisure

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Le contrat de traduction est exceptionnel, unique, absolument singulier; en engageant des noms, il exhibe, avant le langage, l'affinité a priori entre les langues

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Pour survivre comme texte sacré, messianique, un original promet à la fois l'accroissement des langues, leur parenté et leur réconciliation

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Comme le Dieu de Babel, l'oeuvre pleure après la traduction; elle exige que le nom qu'elle donne, intraduisible, soit lu et déchiffré

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La traduction répond à une double dette insolvable : celle du traducteur à l'égard de ce qui est "à-traduire"; et celle de l'"oeuvre originale", à laquelle il manque quelque chose

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Dans le texte de la Genèse, le statut et l'événement de Babel, comme texte sacré, est unique

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En déconstruisant l'héritage, nous habitons le paradoxe d'une responsabilité sacrificielle : risquer une expérience de la langue qui fasse revenir les forces qu'elle refoule

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[Le texte biblique, en tant qu'il fait survivre un autre texte, peut se dire "texte sacré"]

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