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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 
   
Le nom de Babel, langue sacrée                     Le nom de Babel, langue sacrée
Sources (*) : D'un "texte sacré" à la déconstruction               D'un "texte sacré" à la déconstruction
Pierre Delain - "Miqra, plus d'une lecture", Ed : Guilgal, 2016-2020, Page créée le 2 octobre 2005 Orlolivre : comment ne pas babéliser?

[Le nom de Babel renvoie à une langue inconnue, inintelligible, sainte, où l'absolument singulier, impossible à traduire dans aucune langue courante, se produit]

Orlolivre : comment ne pas babéliser?
   
   
   
Derrida, la tour de Babel Derrida, la tour de Babel
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Ce qui est fascinant dans ce court texte de 9 versets, c'est qu'il semble, à première lecture, facile à comprendre, mais que dès qu'on le regarde de plus près, verset à verset et mot à mot, il montre une extraordinaire complexité. Ce texte dont l'objet est la traduction a la particularité de produire dans chaque langue une multiplicité de traductions. J'ai reproduit ci-contre l'une des plus "lisibles", celle de La Bible de Jérusalem. La lisibilité étant parfois trompeuse, j'ai reproduit également : ici celle de Marc de Launay, celle de Henri Meschonnic, celle d'André Chouraqui, et la liste est évidemment très loin d'être close. Cette multiplicité résonne avec l'extraordinaire polysémie du texte. On peut trouver dans chaque verset au moins une énigme, et souvent plusieurs. Dans cette page, je vais me limiter à quatre de ces énigmes que je vais mettre en rapport avec la lettre que Gershom Scholem a écrite le 26 décembre 1926, en hommage à Franz Rosenzweig.

 

1. Première énigme : l'emplacement du texte dans la Torah.

Dans le chapitre 11 de la Genèse, le récit de la tour de Babel est placé en plein milieu d'une énumération généalogique. Ce positionnement qui, à première lecture, peut sembler étrange, est densément codé :

- De Adam à Noé, dix générations se succèdent, puis de Noé à Abraham, à nouveau dix générations. Au chapitre 5, la première liste est continue, tandis que la seconde, aux chapitres 10 et 11, est coupée par le récit de la tour de Babel. Avant Babel, elle raconte la différenciation des nations après Noé, la dispersion, et après Babel, elle ne s'intéresse qu'à l'histoire d'une lignée singulière, celle d'Abraham.

- La coupure se fait au sein même de la généalogie de Shem, qui est énoncée deux fois. Avant Babel, les cinq enfants de Shem sont cités. Héber, le petit-fils de Shem, a deux enfants, Péleg et Yoktan, mais seule la généalogie de Yoktan est développée. Après Babel, seule la généalogie de son frère Péleg, qui conduit à Abraham, est développée. Le récit de la tour de Babel se situe donc au moment où les deux enfants de Héber se séparent. Il y a ceux qui construisent la tour, les descendants de Yoktan, et ceux qui viennent après, les descendants de Péleg. Selon cette interprétation, la tour aurait été construite par certains descendants d'Heber. Ce sont des Hébreux, des sémites fils de Yoktan, mais ils ne portent pas la promesse d'Abraham. Après la coupure de Babel, les Hébreux qui portent la promesse d'Abraham se détachent.

- Entre les trois noms auxquels renvoie la généalogie (Shem, Heber, Abraham), un élément majeur conduit à privilégier le nom de Shem : dans les neuf versets du récit, la racine correspondante (שם) est répétée à six reprises. Les mots shem (nom) et sham (adverbe de lieu, là-bas) ont la même racine. Dans le premier cas on nomme une personne, et dans le second un lieu. Il s'agit de faire ou se faire un nom, de faire ou se faire un lieu, de verbaliser le mot shem, d'en faire une action, de le rendre performatif. Le verbe et le nom se confondent dans le texte. Le nom de cette confusion est Babel, et il est impossible à prononcer.

- Autre hypothèse (reprise notamment par André Neher) : l'événement Babel se situerait à l'époque d'Abraham. Dans le premier verset, qu'on traduit par : Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots, le mot davar (chose) apparaît pour la première fois dans la bible sous la forme d'un agglomérat de la chose muette et fermée (devarim ehad). On peut interpréter la vie d'Abraham comme une mutation de ces devarim, qui sortent du silence. Le nom de Babel aurait été crié exactement au moment où le h a été ajouté au nom d'Abram (Gn 17:5), le jour où il se circoncit (Gn 17:23). Ce h le sépare de lui-même comme il sépare les langues. Pendant la construction de la tour, Abraham vit encore dans l'astrologie, l'idolâtrie. Au moment où Dieu nomme Babel, il accepte, en prenant tous les risques, de répondre à un appel incertain. Rompant avec tous les repères établis, assumant ses devoirs envers autrui, se désaisissant de tous ses attributs, il s'engage dans une errance dont il ne connaît pas le but. De même qu'Abraham rompt avec sa famille, la tradition de son père, etc., Babel rompt avec la langue close de la lignée de Yoktan.

A la place des choses, viennent les noms. Comme le dit Gershom Scholem dans le §3 de sa lettre, l'irruption des noms, c'est l'irruption de la multiplicité et de l'incertitude du sens. A partir d'Abraham, la langue courante ne se suffit plus à elle-même, elle est hantée par une autre langue qui n'est pas faite de mots, mais de noms.

 

2. Deuxième énigme (verset 1) : "Etait - toute la terre - une langue une -- et des paroles unes" (Traduction littérale Sophie Kessler). Il y a deux façons de lire ce verset :

a) Les deux membres de phrase, une langue une et des paroles unes renvoient à la même chose, une seule langue, la langue unique et sacrée. La question qui se pose alors, c'est : quelle langue? Telle est l'énigme. Pour la résoudre, on peut lire l'expression langue une (safa ehad) de deux manières :

- la langue une serait fermée, close sur elle-même, une sorte de novlangue à laquelle Dieu s'opposerait pour que l'humanité ne perde pas sa diversité.

- ou bien cette langue unique serait la langue d'Adam, c'est-à-dire la langue sainte, préservée jusqu'à cette époque. Les hommes auraient simplement gardé cette langue ancienne.

Certains commentateurs retiennent à la fois les deux positions. C'est le cas, par exemple, du Targoum palestinien, qui précise : Tous les habitants de la terre avaient une seule langue et un seul parler et ils s'entretenaient dans la langue du sanctuaire, car c'est avec elle que le monde fut créé, à l'origine. Autre exemple, Abraham ibn Ezra (XIIème sècle) : "Une seule lèvre" : une langue unique. Et il me paraît vraisemblable que c'était la langue sainte, comme le prouvent les noms d'Adam, Eve Caïn, Chet, Peleg. "Des paroles uniques", alors qu'aujourd'hui il y a dans toutes les langues des paroles incompréhensibles même pour les spécialistes des langues, à cette époque les paroles des sages et des insensés étaient les mêmes. ahadim est le pluriel d'ehad.

b) Rachi raisonne différemment, car il introduit une distinction entre les deux membres de la phrase. "Une seule langue" (safa ehad), c'est la langue sainte, "Des paroles unes" (devarim ahadim), c'est le fait que chaque parole est une, c'est-à-dire qu'ils n'entendent pas la parole de leur voisin. C'est la position développée par Léon Askenazi (Manitou). Pourquoi le texte dirait-il deux fois la même chose? demande-t-il. Il parle d'une langue unique au singulier (safa ehad) et de paroles unes au pluriel (devarim ahadim). Partant d'un passage du Talmud (Meguila I,9), il propose une autre traduction interprétative : Et il est arrivé que la terre était langue unique et paroles particulières. D'un côté, on parle encore la langue unique, celle d'Adam, mais on a tendance à l'oublier en tant que langue sainte ou sacrée, au profit des langues particulières des nations.

La suite du récit de la tour de Babel porte sur le destin de cette langue unique. Il n'y est plus question de davar ou devarim (choses ou paroles), mais uniquement de safa (langue ou lèvre). Dans le verset 6, quand Dieu dit "Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue" (am ehad, safa ehad), il n'y a plus de langue particulière, mais une seule langue intelligible pour tous. Ce n'est pas l'unité de la langue qui est inacceptable pour Dieu, c'est cette intelligibilité, car cela revient à séculariser la langue sainte, à la ravaler au statut de chose. Dans le verset 7, "Confondons leur langage (ve nabla sham chefatam) pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres", c'est toujours le mot safa qui est utilisé. Dieu met de la confusion dans la langue pour que les gens ne se comprennent plus. Et dans le dernier verset, le mot safa est associé à balal, la confusion. Dans cette interprétation, Dieu n'a pas besoin de multiplier le nombre de langues, car il y avait déjà des nations différenciées et des langues multiples. Il ne fait qu'introduire, dans la langue unique, de la confusion pour qu'on ne puisse pas la détourner de son usage. La communication des hommes entre eux ne doit plus passer par l'intelligibilité : il faut de l'incompréhensible, du caché, de l'intraduisible.

Dans cette perspective, la langue sainte, unique, ne disparaît pas, elle change de statut. Cette langue peut nommer toutes les singularités, tous les noms propres, ce qui est impossible aux langages courants composés principalement de noms communs, en nombre fini. Limités aux langues quotidiennes, les humains (ou plus exactement les sémites) perdent le pouvoir de nommer. Il n'y a plus pour eux d'unité de la langue sacrée, mais une dissémination (disschémination).

On peut expliciter cette logique Rachi-Manitou de façon plus moderne à partir du texte de Walter Benjamin publié en 1923, "La tâche du traducteur"- que Gershom Scholem connaissait probablement en 1926. Ce qui a été perdu, c'est la possibilité de traduire une langue dans l'autre. La solution n'est pas une langue universelle, mais un "à-traduire" qu'on peut nommer "sacré", car il est extérieur à toutes les langues courantes. Babel, c'est que nous n'avons jamais accès à cette langue sacrée, mais seulement aux langues particulières.

Dans le §2 de sa lettre, Scholem exprime sa crainte, voire sa panique, devant l'effacement de la langue une, la langue sacrée. Et si cette langue se révoltait, et si, comme Dieu devant la tour, elle frappait de confusion toutes nos entreprises d'aujourd'hui ?

 

3. Troisième énigme (verset 6) : Qu'est-ce qui déplait à Dieu ?

Il y a une immense littérature sur les raisons pour lesquelles les constructeurs de la tour de Babel sont condamnables. En voici quelques'unes :

- Ils veulent accroître leur puissance par le gigantisme, la domination.

- Ils ne parlent que d'une seule voix, sans tenir compte de l'étranger.

- Ils cherchent l'efficacité collective, au détriment de la singularité des personnes.

- Leur but, c'est se faire un nom. Ils sont tellement obnubilés par leur propre nom qu'ils deviennent incapables de nommer d'autres qu'eux-mêmes.

- Ils sont persuadés qu'ils vont réussir, que rien ne peut arrêter leur entreprise. Ils pensent que, quand la tour sera construire, ils auront réalisé l'essentiel, leur avenir est clos.

- Etant toujours au service des choses, ils ne croient que dans la pensée abstraite. Ils ne dialoguent jamais entre eux (avant Abraham, il n'y a pas de dialogue dans la Torah). Ils n'ont pas conclu de pacte avec d'autres qu'eux-mêmes, mais seulement avec la matière.

Toutes ces explications sont valables, et d'autre encore, mais je voudrais en ajouter une. C'est que ce qui déplait à Dieu dans le récit de la tour de Babel n'est pas (ou pas seulement) de l'ordre du pouvoir ou de la volonté de puissance, mais de l'ordre de la langue. Dans ce texte la critique de la domination ne se focalise pas sur l'inégalité des richesses, ou sur la violence qui serait exercée par quelques'uns, mais sur la question de la langue, des langues et de leur traductibilité. Ces hommes, qu'ont-ils fait de la langue d'Adam (safa), de la langue sainte dont ils ont hérité ? Leur erreur et peut-être leur crime, c'est qu'ils l'ont transformée en une langue quelconque, ils l'ont mise sur le même plan que les langues de tous les jours, les langues particulières des peuples. Ils l'ont réduite à l'état de chose (davar). Ils ont refoulé ce qui fait la spécificité de la langue sacrée, sa polysémie, sa capacité à produire toujours d'autres noms.

Je crois que, pour justifier cela, il suffit de lire le §1 de la lettre de Gershom Scholem.

 

4. Quatrième énigme (verset 9) : De qui ou de quoi Babel est-il le nom ?

Pour certaines traductions de ce verset, il semble évident que le nom de Babel est celui de la ville. cf par exemple La Bible de Jérusalem, la traduction du Rabbinat ou celle de Marc de Launay. Mais dans les traductions littérales, on voit que le texte est ambigu. Chez Chouraqui, Dieu crie Babel! sans préciser à qui se rattache ce nom. Dans Meschonnic, le nom est appelé, sans plus de précision. Dans la traduction de Sophie Kessler, le nom Babel est appelé en un certain lieu (sham), mais il n'est pas dit explicitement que ce nom est celui de la ville.

On peut donc soutenir que Babel n'est pas le nom d'une ville, mais l'un des noms de Dieu. Yhvh se donne à lui-même le nom Bab-El, qui se lit aussi, "la porte de Dieu". Il clame la division, la confusion de son "propre" nom. Il se nomme d'un nom propre, qui est également un nom commun et un verbe. On ne peut pas le prononcer, on ne peut pas le dire comme tel, on ne peut que le balbutier. Babel signifie : il est impossible de prononcer mon nom. D'une certaine façon, ce texte anticipe le buisson ardent : Tu ne me regarderas pas en face.

Quel rapport cela a-t-il avec la question des langues et la traduction ? Les langues sont multiples, et il est impossible de passer directement d'une langue dans une autre. Pour traduire, il faut passer par ce lieu inconnu, inaccessible, inintelligible, qu'est la langue sacrée. Ce il faut est une obligation, un commandement. D'après le premier verset, il faut que les langues soient séparées les unes des autres (des paroles fermées sur elles-mêmes), et il faut traduire (la langue sainte). C'est un double bind, une injonction paradoxale, une aporie (Babel), mais le chemin nécessaire pour éviter qu'on en vienne à une catastrophe encore pire, le déluge.

La Voix dont parle Scholem dans le §4 de sa lettre, c'est la voix du Dieu de Babel, celle qui introduit de la confusion dans la langue sainte, non pas pour éloigner les hommes, mais au contraire pour les rapprocher.

 

5. Conclusion : quand [Yhvh] crie ce nom, Babel, il nomme un lieu dangereux où peut s'entendre ce qui n'est jamais accessible ni audible dans la langue courante. En ce lieu chaque profération renvoie à l'absolument singulier, au tout autre. On peut nommer ce lieu la langue sainte, bien qu'il ne s'agisse pas d'une langue particulière, ni celle d'Adam ni celle d'une autre origine, quelle qu'elle soit. Là réside le pouvoir de nommer, de traduire, et aussi de passer d'une langue à l'autre. Ce lieu est nécessaire, sans quoi on ne pourrait pas traduire, mais c'est le lieu de l'intraduisible. Pour revenir à l'inquiétude de Gershom Scholem, on pourrait dire que ce serait le lieu où israëliens et palestiniens pourraient s'entendre, si c'était possible.

1. Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots.

2. Comme les hommes se déplaçaient à l'orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s'y établirent.

3. Ils se dirent l'un à l'autre : "Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu!" La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier.

4. Ils dirent : "Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre!"

5. Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties.

6. Et Yahvé dit : "Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux.

7. Allons! Descendons! Et là, confondons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres".

8. Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville.

9. Aussi la nomma-t-on Babel, car c'est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c'est de là qu'il les dispersa sur toute la surface de la terre.

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Propositions

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"A propos de notre langue, une confession" (lettre écrite par Gershom Scholem, en hommage à Franz Rosenzweig, pour son 40è anniversaire, le 26 décembre 1926)

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Le récit de la tour de Babel est la trace d'une crise : la fin de l'ère mythologique, qui donne lieu à la discussion savante d'un noyau textuel condensé et codé

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Avant même que ne débute l'épisode de Babel, les nations étaient distinctes, les langues différenciées et les peuples dispersés

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On ne connaît aucune antériorité au récit de la Tour de Babel, qui est placé dans la Torah au point de rupture de la généalogie des Sémites

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La tour de Babel doit être abandonnée car son "nom" (shem, un mot répété six fois dans le texte), Babel, est imprononçable, il conduit à la confusion et à la ruine

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En clamant la division de son nom (Babel), Dieu produit une "disschémination" : il brise l'unité de la langue sacrée

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Dans le texte sacré, le nom de Dieu (Babel) est le nom de tous les noms propres; ils sont intraduisibles, et pourtant exigent la lecture, l'interprétation, la traduction

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Refusant la chose inerte et inventant la parole, Abraham, contemporain des bâtisseurs de Babel, a été le seul homme à refuser de prêter la main à l'entreprise

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En choisissant de se donner à lui-même le nom Babel, Yhvh donne à traduire [il faut traduire] et à ne pas traduire [il ne faut pas traduire]

 


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