Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

                     
                     
Babel, mot polysémique, étrange, intraduisible                     Babel, mot polysémique, étrange, intraduisible
Sources (*) : Derrida, la tour de Babel               Derrida, la tour de Babel
Pierre Delain - "J.D. : un héritage à venir", Ed : Guilgal, 2018, Page créée le 1er juillet 2010

 

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Orlolivre : comment ne pas babéliser?

[Aucune explication logique ne peut rendre compte du mot "Babel", aucune traduction ne peut réduire sa polysémie, aucune étymologie ne peut enfermer son étrangeté]

Orlolivre : comment ne pas babéliser?
   
   
   
                 
                       

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En hébreu, Babel s'écrit בבל : beth - beth - lamed. Selon le 9ème verset du chapitre 11 de la Genèse, qui raconte l'histoire de la tour de Babel (on trouvera ici une autre traduction de ce chapitre), ce nom aurait été donné à la ville de Babylone au moment où tous les langages ont été confondus "C'est pourquoi on la nomma Babel - car l'Eternel y confondit le langage de tous les habitants de la terre". Cela suppose qu'on rapproche la racine balal, qu'on peut traduire en français par "il confond" (car c'est un verbe d'action), du nom propre Babel. Il ne s'agit pas vraiment d'une étymologie, mais d'un rapprochement, d'une association. Une autre étymologie semble plus crédible. En assyrien, on aurait babilu ou Bab-El (porte du Dieu), ou encore babili (porte des Dieux). En français, le mot Babel, qui a donné quelques dérivés (babelesque, babélique, babélisme), peut être rapproché de babil, de babillage ou de babiller, qui sont des onomatopées (en anglais to babble, en néerlandais babbelen, en allemand babbeln). On peut aussi le rapprocher de l'italien bambino ou du syriaque babion, qui signifient tous deux "enfant". Mais aucune traduction, aucune étymologie, ne suffit à l'épuiser, aucune ne peut enfermer son étrangeté (Pierre Bouretz, La Tour de Babel, p37).

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La lecture la plus immédiate de ce récit repose sur l'idée d'une faute qui aurait été commise, que Dieu punirait, et dont il voudrait empêcher le renouvellement. Quelle faute ? En général, les interprètes dénoncent le caractère totalitaire de la culture babylonienne. De nombreux indices dans le texte vont dans ce sens :

- Le principal but de la collectivité, c'est d'accroître sa puissance. Le gigantisme des constructions n'est justifié que par cet objectif. Si le peuple s'unit, s'il parle d'une seule voix, s'il affirme une unité sans faille, c'est pour augmenter encore son pouvoir. La racine du mot safa (lèvre ou langue) désigne aussi le bord, la limite, la frontière. Ils n'ont qu'un bord, auquel tous sont soumis.

- Il s'agit, dit le texte, de se faire un nom. Ils sont incapables de nommer les objets et les personnes extérieurs, ils ne veulent que se nommer eux-mêmes. Cette fétichisation du nom touche à l'idolâtrie.

- Les hommes de Babel étaient persuadés que la construction ne pouvait pas échouer. S'ils ne réussissaient pas eux-mêmes, alors leurs enfants réussiraient. Alors, s'ils atteignaient le ciel, l'histoire s'achèverait, l'avenir serait clos.

- c'est la victoire de l'homo artifex, qui se met au service des choses (devarim). Devant Nemrod et ses compagnons, les frontières de la nature cèdent. Il n'ont pas besoin de parler ni de dialoguer (il n'y a aucun dialogue avant ce texte dans la bible). C'est un pacte avec la matière, une période d'inertie, de silence, dans laquelle la parole n'a pas encore de place. Dans le texte biblique, le dialogue commencera avec Abraham.

- La nomination, qui régnait avant Babel, est remplacée par le jugement, un type de pensée abstraite au service de l'efficacité.

Le corrélat de ces explications par la faute, c'est que Dieu est censé corriger cette faute.

- Il faut donner à chacun le temps de son histoire, dissociée des grandes masses qui s'enroulent en spirales autour de l'édifice.

- Dieu ne détruit pas la tour, il arrête sa construction, il la livre à la ruine. Sa réaction n'est pas matérielle comme au temps du déluge, il opère par la langue, par le cri. Babel est un nom propre et aussi un nom commun. En le clamant, Dieu introduit la confusion, l'incertitude. Pour parler, il faut recourir à des tropes et des métaphores, il faut multiplier les langues, les traductions et les intraduisibles. Mais on ne peut que babiller le nom de Babel. Il introduit un genre de dette dont on ne peut plus s'acquitter, dont on ne peut pas faire système.

Babel ne se limite pas à la faute. Le récit va au-delà.

 

 

1. Et c'est toute la terre, une seule lèvre, des paroles unies.

2. Et c'est leur départ du Levant, / ils trouvent une faille en terre de Shin'ar et y habitent.

3. Ils disent, l'homme à son compagnon : / "Offrons, briquetons des briques! Flambons-les à la flambée!" / La brique est pour eux pierre, le bitume est pour eux argile.

4. Ils disent : "Offrons, bâtissons-nous une ville et une tour, / sa tête aux ciels, faisons-nous un nom / afin de ne pas être dispersés sur les faces de toute la terre".

5. [Yhvh] descend pour voir la ville et la tour / qu'avaient bâties les fils du glébeux.

6. [Yhvh] dit : "Voici, un seul peuple, une seule lèvre pour tous! / Cela, ils commencent à le faire. Maintenant rien n'empêchera pour eux tout ce qu'ils préméditeront de faire!

7. Offrons, descendons et mêlons là leur lèvre / afin que l'homme n'entende plus la lèvre de son compagnon".

8. [Yhvh] les disperse de là sur toutes les faces de toute la terre : / ils cessent de bâtir la ville.

9. Sur quoi, il crie son nom : Babel, / oui, là, [Yhvh] a mêlé la lèvre de toute la terre, / et de là [Yhvh] les a dispersés sur les faces de toute la terre.

(Traduction de Henri Chouraqui).

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Propositions

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[Il faut, aujourd'hui, préserver un lieu d'aporie, babélien, possible et impossible, pour que se traduisent les langues et les cultures]

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Avant même que ne débute l'épisode de Babel, les nations étaient distinctes, les langues différenciées et les peuples dispersés

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En la qualifiant de "balal" (confusion en hébreu), les juifs babyloniens se moquaient de Babel et de sa tour (Bâb-Ilou, la "porte de Dieu" en akkadien)

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En portant atteinte à la pureté du nom, qui est le fondement commun de l'esprit linguistique, les hommes ont abandonné les choses; alors est né le projet de la tour de Babel

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La faute de Babel, c'est de vouloir se faire un nom; Dieu punit en affectant le pouvoir de nommer

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La faute de la génération de Babel, c'est qu'ils n'étaient pas préoccupés de l'avenir : ils imaginaient que leurs descendants poursuivraient jusqu'à la fin leur rêve de progrès

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Si les langues de la génération de Babel ont été dispersées, c'est parce qu'en construisant la tour, les hommes voulaient à tout prix rester unis

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La transgression de Babel tient à son caractère collectif : elle veut unifier l'humanité en une seule voix, sans tenir compte des individus ni des peuples

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A l'époque de la tour de Babel, l'univers n'avait qu'un seul bord, c'est-à-dire une seule langue

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A l'époque de Babel, le monde entier était un ensemble de paroles scellées et de choses fermées

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L'homme de la tour de Babel accède à l'artifice et à l'art, mais il met cette invention au service d'un pacte avec la matière

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À l'époque de Babel, chaque famille humaine et chaque peuple parlait son dialecte; mais la langue sacrée avait été oubliée

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En construisant la tour de Babel, les hommes se réunissent pour monter à la conquête du ciel; tandis que Yhvh descend pour donner à chacun le temps de son histoire

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Refusant la chose inerte et inventant la parole, Abraham, contemporain des bâtisseurs de Babel, a été le seul homme à refuser de prêter la main à l'entreprise

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Babel n'est pas une figure parmi d'autres : c'est le mythe de l'origine du mythe, la métaphore de la métaphore, le récit du récit, la traduction de la traduction

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Nécessaire et impossible, la performance de Babel instaure, d'un coup de nom propre, la loi de la traduction, et aussi une dette dont on ne peut plus s'acquitter

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Babel, c'est à la fois le nom propre de l'unicité (une langue), et un nom commun semant la confusion (plus d'une langue)

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La confusion babélienne se joue entre la parole et l'écriture : la différence phonétique s'entend par la voix, mais la graphie ou la lettre passent l'entendement

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La tour de Babel doit être abandonnée car son "nom" (shem, un mot répété six fois dans le texte), Babel, est imprononçable, il conduit à la confusion et à la ruine

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En se donnant un nom supplémentaire, à la fois nom propre et nom commun, Dieu-Babel déconstruit la langue unique (la Tour) et (inter-)rompt la lignée des Sémites

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Le récit de la tour de Babel est la trace d'une crise : la fin de l'ère mythologique, qui donne lieu à la discussion savante d'un noyau textuel condensé et codé

 


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