Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

                     
                     
Babel, un lieu d'aporie                     Babel, un lieu d'aporie
Sources (*) : Orlolivre : comment ne pas babéliser?               Orlolivre : comment ne pas babéliser?
Pierre Delain - "J.D. : un héritage à venir", Ed : Guilgal, 2018, Page créée le 30 avril 2010

 

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Derrida, la tour de Babel

[Il faut, aujourd'hui, préserver un lieu d'aporie, babélien, possible et impossible, pour que se traduisent les langues et les cultures]

Derrida, la tour de Babel
   
   
   
Un retrait inouï à mettre en œuvre Un retrait inouï à mettre en œuvre
Babel, mot polysémique, étrange, intraduisible               Babel, mot polysémique, étrange, intraduisible    
La Tora raconte l'impossible                     La Tora raconte l'impossible    

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Le chapitre 11 de la Genèse sur la Tour de Babel est reproduit ci-contre dans la traduction de Henri Meschonnic, ici dans la traduction de Marc de Launay et dans celle d'André Chouraqui.

 

1. Le Babel biblique, lieu d'aporie.

De nos jours, l'interprétation la plus courante du récit de la Tour de Babel, classique par son contenu mais moderne par son actualité, se présente comme une critique du totalitarisme. A une époque où Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots (second verset), la société se présentait comme un monde clos, avec une pensée unique, un travail impersonnel organisé d'en haut, un objectif identique pour tous et un horizon collectif, limité à des frontières étroites. Peu importe l'anachronisme de cette interprétation, elle semble coller avec le texte. L'ironie qui qualifie de balal (confusion en hébreu) cette construction merveilleuse devait correspondre à l'état d'esprit des habitants de la ville. Ils n'étaient pas dupes du gigantisme, de la folie des grandeurs de leurs dirigeants. Ils savaient que ces grands décideurs étaient en réalité soumis à des marchands, des prêtres ou des rois, et qu'ils ne s'intéressaient en réalité qu'à la vie matérielle. En prétendant monter à la conquête du ciel, ils ne faisaient que servir des intérêts médiocres.

Mais ce lieu dérisoire, misérable, c'est aussi celui où Dieu-Yhvh se manifeste de la façon la plus éclatante. C'est le lieu où il choisit de prescrire une de ses lois les plus essentielles : il faut préserver la pluralité des lignées, la différence des cultures. Pour faire venir cette exigence absolument neuve parmi les descendants d'un ancêtre unique, Noé, il fallait sa contrepartie, la Tour. Les deux sont indissociables. Pour pouvoir dire Tu ne construiras pas de Tour, il faut aussi dire : Tu construiras une Tour.

 

2. Aujourd'hui.

Tout ce qui est dit traditionnellement de la Tour de Babel, nous le vivons aujourd'hui : domination d'une seule langue (l'anglais), enfermement de la pensée dans des paroles scellées et des phrases closes, gigantisme, folie des grandeurs, subordination à des puissances ou des forces collectives dirigées par des marchands, des prêtres ou des rois, intérêt exclusif pour la vie matérielle. Ce ne sont pas ces circonstances qui manquent, c'est un Dieu qui pourrait dire un mot comme Babel. Ce Dieu absent, introuvable, anéanti n'existe pas et n'a jamais existé, mais cela ne nous dérange pas, nous pouvons quand même tenter de traduire ce qui nous arrive dans sa langue. Il faut pour cela que certains mots aient un double sens, le sens courant et un autre, par exemple celui que Nicolas Abraham a nommé anasémique. L'anasémique n'est pas le sens, c'est ce qui, avant le sens, renvoie au sens.

 

3. Le langage du cinéma.

Un des langues les plus partagées, les plus communes, dans laquelle Babel peut se dire, c'est la langue du cinéma. C'est une langue très singulière qui ne s'exprime ni en mots ni en images, mais seulement par cette composante complexe, temporelle et spatiale, qu'est un film. On ne peut pas parler de cette langue en général, ni dans l'abstrait, ni conceptuellement, mais seulement à travers des films. Prenez par exemple It must be heaven, d'Elia Suleiman (2019). Le personnage principal, E.S., y est si peu bavard qu'il ne prononce qu'une seule phrase : I am Palestinian. On pourrait dire que cette phrase est la phrase babélienne par excellence, même si ce n'est pas la seule, même s'il y en a beaucoup d'autres. Pour E.S., I am Palestinian ne peut pas se dire dans la langue courante, mais seulement dans une autre langue, celle du cinéma. Mais ne généralisons pas : seul un parfait étranger peut mettre en œuvre le langage pur du cinéma à travers une telle phrase. Il se trouve qu'avec le temps, c'est le Palestinien qui finit par occuper cette place. Ce n'est pas le lieu ici d'interroger le processus historique qui est arrivé à ce résultat, et d'ailleurs même si l'on essayait, on ne pourrait qu'échouer. Il faut une autre langue que le langage historique ou politique pour dire cela, et il se trouve que là, en particulier, cette autre langue est la langue du cinéma.

 

 

1. Et il y a eu toute la terre - langue une -- Et des paroles - unes

2. Et il y a eu - dans leur voyage vers l'orient -- Et ils ont trouvé une vallée - au pays de Chinear - et là ils ont fait leur demeure

3. Et ils ont dit - l'un vers l'autre -- allons - faisons blanchir des briques blanches -- et flambons - à la flambée -- Et la brique blanche pour eux - a été - la roche et la boue rouge -- pour eux a été - l'argile

4. Et ils ont dit - allons - bâtissons-nous une ville -- et une tour - et sa tête dans le ciel -- et faisons-nous - un nom -- Sinon nous nous éparpillerons - sur la face de toute la terre

5. Et Adonaï est descendu -- voir la ville - et la tour -- Que bâtissaient - les fils de l'homme

6. Et Adonaï a dit -- si le peuple est un - et la langue une pour eux tous -- et cela - ce qu'ils commencent à faire -- Et maintenant - ne pourra être retranché d'eux - rien - de ce qu'ils méditeront - de faire

7. Allons - descendons -- et là embabelons - leur langue -- Qu'ils - n'entendent pas - l'un - la langue de l'autre

8. Et Adonaï les a éparpillés - de là - sur la face de toute la terre -- Et ils ont cessé - de bâtir la ville

9. Aussi - on a appelé son nom - Babel -- parce que là - Adonaï a embabelé - la langue de toute la terre -- Et de là - Adonaï les a éparpillés -- sur la face de toute la terre.

(Traduction de Henri Meschonnic).

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Propositions

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A l'époque de la tour de Babel, l'univers n'avait qu'un seul bord, c'est-à-dire une seule langue

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A l'époque de Babel, le monde entier était un ensemble de paroles scellées et de choses fermées

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L'homme de la tour de Babel accède à l'artifice et à l'art, mais il met cette invention au service d'un pacte avec la matière

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La faute de Babel, c'est de vouloir se faire un nom; Dieu punit en affectant le pouvoir de nommer

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La transgression de Babel tient à son caractère collectif : elle veut unifier l'humanité en une seule voix, sans tenir compte des individus ni des peuples

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En construisant la tour de Babel, les hommes se réunissent pour monter à la conquête du ciel; tandis que Yhvh descend pour donner à chacun le temps de son histoire

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À l'époque de Babel, chaque famille humaine et chaque peuple parlait son dialecte; mais la langue sacrée avait été oubliée

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[La psychanalyse tente l'impossible : saisir, par des concepts anasémiques, la source même dont le langage émane]

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Les concepts anasémiques comme "plaisir" ou "libido" ne renvoient pas au sens qu'ils ont dans la langue, mais au pré-originaire à partir de quoi, en-deçà du sens, ils ont un sens

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En la qualifiant de "balal" (confusion en hébreu), les juifs babyloniens se moquaient de Babel et de sa tour (Bâb-Ilou, la "porte de Dieu" en akkadien)

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Refusant la chose inerte et inventant la parole, Abraham, contemporain des bâtisseurs de Babel, a été le seul homme à refuser de prêter la main à l'entreprise

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La confusion babélienne se joue entre la parole et l'écriture : la différence phonétique s'entend par la voix, mais la graphie ou la lettre passent l'entendement

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La tour de Babel doit être abandonnée car son "nom" (shem, un mot répété six fois dans le texte), Babel, est imprononçable, il conduit à la confusion et à la ruine

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La tour de Babel (Pierre Bouretz, Marc de Launay, Jean-Louis Schefer, 2003) [COL-LTDB]

 


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