Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Folie de la langue sacrée, maternelle                     Folie de la langue sacrée, maternelle
Sources (*) : Orlolivre : comment ne pas babéliser?               Orlolivre : comment ne pas babéliser?
Jacques Derrida - "Le monolinguisme de l'autre, ou La prothèse d'origine", Ed : Galilée, 1996, p104 Derrida, la langue

[Une langue qui garderait le pouvoir de nommer - langue sacrée ou fantasme de langue maternelle - pourrait précipiter dans l'abîme : folie, catastrophe, apocalypse, mal radical]

Derrida, la langue
   
   
   
Derrida, la tour de Babel Derrida, la tour de Babel
Derrida, la mère, la matrice               Derrida, la mère, la matrice    
Derrida, le nom                     Derrida, le nom    

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Jacques Derrida introduit cette analyse dans une longue note du Monolinguisme de l'autre (pp91-114) et la prolonge dans un autre texte issu du séminaire 1986-87, Les yeux de la langue, une étude d'une lettre de Gershom Scholem adressée à Rosenzweig en 1926. Analysant l'expérience de certains penseurs juifs, ashkénazes ou séfarades, il trace, dans cette note, un parallèle entre la langue maternelle et la langue sacrée. Ces deux types de langues se rapprochent par leur rapport à la nomination. Sprache ist Namen écrit Scholem (Le langage est nom) à propos de la langue sacrée, et l'on devine que cet aphorisme, issu de Walter Benjamin, vaudrait aussi pour la langue maternelle, si elle pouvait être appropriée - mais une telle appropriation est impossible, en tous cas pour ces penseurs juifs dont il fait la liste en s'y incluant, car Je n'ai qu'une langue, dit-il, mais ce n'est pas la mienne.

 

1. Langue maternelle.

Le paradoxe de la langue maternelle, c'est que d'une part c'est ma langue, et que d'autre part, comme je la reçois de l'extérieur, elle m'est étrangère, ce n'est pas la mienne. Je ne peux parler que dans cette langue, mais c'est la langue d'un autre (ou d'une autre). Pour que cette langue dans laquelle j'habite soit devenue mienne (mon chez-soi), il faut que je l'aie accueillie, que j'aie fait preuve d'hospitalité. Cette prothèse extérieure est devenue, pour moi, irremplaçable. Pas plus qu'à la mère, on ne peut rien lui substituer. Comme une langue sacrée dont chaque mot serait un nom, elle est insubstitutable. C'est la langue d'une mère, une mère unique, et pourtant elle est partageable et partagée avec d'autres qui la parlent aussi.

Ici commence l'étrange parallèle entre folie et rapport à la langue. La langue maternelle est là, elle est toujours déjà là, il faut lui rester fidèle. [On n'a pas le choix, on la garde]. C'est ainsi que Hannah Arendt est restée fidèle à la langue allemande, malgré le nazisme. Mais que faire si, comme dans l'Allemagne nazie, la langue devient folle ? Elle entraîne avec elle la loi et l'origine du sens. Soit on devient fou soi-même, soit on se détache d'elle, on la remplace par autre chose. On trouve un substitut pour l'unique insubstituable, ce qui transforme l'ordre du chez soi. Or, dit Derrida : 1. La possibilité d'une folie de la mère, ou de la langue maternelle, est toujours ouverte; 2. Un chez soi toujours unique, insuppléable, ce serait une folie, la folie même. Si l'ipséité était la loi, elle rendrait fou. Or la mère (ou la langue maternelle) est l'unique insubstituable, elle est la folie (p107). Arendt reconnaît qu'en niant ou qu'en déniant cette folie, on rejette la possibilité que la langue devienne folle, ce qui conduit à refouler le nom d'Auschwitz. Comme la langue sacrée, la langue maternelle est, en même temps, suppléable et insuppléable. On ne peut pas supprimer en elle cette dimension de folie dont la traduction politique est le nationalisme.

 

2. Langue sacrée et nomination.

Dans sa lettre à Rosenzweig du 26 décembre 1926, Gershom Scholem exprime son angoisse, son inquiétude. Par son engagement sioniste, il a contribué à séculariser la langue hébraïque. Que fait-on quand on adapte une vieille langue sacrée aux besoins d'un Etat moderne ? On la profane. En la réduisant à un instrument de communication, on refoule la puissance des noms, mais ceux-ci continuent à hanter la langue de l'intérieur. C'est un abîme, un volcan qui pourra toujours se réveiller et provoquer, pour les générations à venir, une catastrophe, un cataclysme. Dans son analyse, Jacques Derrida insiste sur le mal qui pourrait survenir : un mal intérieur, total, sans limite, pire et plus inquiétant que tout autre danger [ce qu'il nomme par ailleurs le mal radical]. La libération sans contrôle des mots singuliers serait un acte de sorcellerie, elle pourrait attiser des forces de destruction inouïes. Les sionistes ont ouvert un abîme sans fond au-dessus duquel ils marchent comme des fous, explique Scholem - ce qui rejoint la problématique de la langue maternelle. Ce qui arrive parfois, dans des circonstances historiques exceptionnelles, c'est que les vieux mots, chargés d'un sens secret, acquièrent une puissance imprévisible. Le pouvoir de nomination, cette puissance souveraine qui hante tout langage, revient à la surface. Tous les mots sont hantés par ce pouvoir transcendant. Sans la langue sacrée, cet abîme où réside le nom comme tel que nous ne voyons ni ne connaissons (ou, dans un autre vocabulaire, le nom de dieu), la langue ne serait rien.

 

3. Sacrifice.

Dans la parole courante, celle de la vie de tous les jours, du discours commun, sécularisé, nous renonçons à ce pouvoir de nomination, nous le sacrifions. Pour Derrida, ce qui inquiétait Scholem dans la normalisation de la langue en Palestine, c'est le sacrifice des noms. Ce sacrifice est :

- nécessaire - car la langue courante doit se stabiliser dans des systèmes linguistiques,

- impossible - car sans cette puissance du nom, cette même langue serait menacée de stérilité, l'avenir serait vidé.

Une langue absolument sécularisée serait réduite à des expressions toutes faites, des phrases creuses, des simulacres de noms. Plus rien ne serait à venir, l'avenir serait vidé. Telle est la catastrophe, la chute annoncée par Gershom Scholem. Si la langue sacrée est mise à mort (sacrifiée), alors Dieu prend acte du rien, il ne dit rien, ou il dit : "Je suis rien". C'est la non-langue, le néant de la langue. Mais il n'en est rien. Il y a toujours dans l'expérience de la langue un appel, une promesse de sacré. il faut répondre à cet appel, cette folie d'un Dieu qui, par son pouvoir de nomination, sort de son silence. On peut être pris d'effroi devant un appel qui ferait de la langue une source d'exigences imprévues, de transformations, mais les noms vivent, ils survivent malgré la terreur qu'ils suscitent, masquée sous la sécularisation. C'est cette survie - voire hyper-sur-vie - que Scholem appelle langue sacrée et Derrida logique pré-logique, archi-logique. Cette langue-là ne peut pas être détruite. Dès qu'on parle, on ouvre la possibilité de l'impossible. Alors que, dans la vie courante, nous devons nous appuyer sur la stabilité des systèmes d'opposition, la puissance des noms singuliers finit par revenir et menacer la calculabilité du monde. Tout en sacrifiant chaque jour la langue sacrée, nous nous trouvons devant l'obligation, inéluctable, de sacrifier ce sacrifice. Cette opération qui arrive sans arriver est le lieu d'une responsabilité sacrificielle. Dans le même temps, la langue fait revenir les forces qu'elle refoule. Les conséquences en sont indécidables, incalculables.

 

4. L'alliance de l'autre langue, au bord de l'abîme.

Et si cette langue sacrée, faite de noms singuliers, ni conceptuelle, ni formalisable, ni instrumentalisable, indissociable du nom de Dieu, était aussi la langue de la déconstruction ? Jacques Derrida ne semble pas reculer devant cette comparaison entre l'hébreu sacré, qu'il ne parlait pas, et cet idiome qu'il a inventé. "Notre langue" dit Scholem à propos de l'hébreu, et Derrida s'inscrit dans ce "nous" en déplaçant la langue dont il est question. La langue de la déconstruction, comme la langue sacrée, serait en même temps séculière - par son souci d'érudition et de démonstration rigoureuse, ses analyses critiques, sa filiation avec la pensée des Lumières, et insécularisable par sa confiance affirmée dans la productivité et l'incalculabilité de la langue. De tout temps, le pouvoir de nommer a été vécu comme violent, imprévisible. Une langue en plus, qui produit trop de sens peut sembler mystique, magique. En menaçant le logos, elle peut faire peur.

Dans les deux cas, la génération de transition ne peut ni déléguer sa responsabilité, ni s'appuyer sur des pères, des ancêtres, des aïeuls ou des parents (Geschlecht). Elle doit renoncer au fantasme qui situerait cette langue irréductible, introuvable, dans un passé historique, linguistique ou religieux. Rien n'est donné à l'avance de l'autre langue, ni du lieu d'indécidabilité absolue où elle se rencontre. L'alliance à contresigner, qui pourrait advenir, n'implique ni sujet, ni communauté. Elle reste, pour toujours, au bord de l'abîme, à proximité immédiate du sans-fondement (Abgrund), du sans-nom (EnSof). C'est le lieu du plus grand risque, du plus grand danger.

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Propositions

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[Derrida, la langue]

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Tout langage est hanté par un spectre sacré : le pouvoir de nommer, et nous fait vivre au-dessus d'un abîme : le nom de nom, transcendant et plus puissant que nous

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Le monolinguisme de l'autre, c'est d'abord le pouvoir souverain de nommer, qui témoigne de la structure coloniale de toute culture

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Une langue sacrée faite uniquement de noms singuliers - ni conceptuelle, ni formalisable, ni instrumentalisable - serait indissociable du nom de Dieu

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Jacques Derrida : "Je n'ai qu'une langue, et ce n'est pas la mienne"

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La mère, comme lieu de la langue, est l'unique irremplaçable - qu'il faut remplacer car l'insuppléable est la folie même, toujours à l'oeuvre

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L'hospitalité est l'essence du chez-soi - car si l'ipséité était la loi, elle rendrait fou

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Il faut, pour parler, sacrifier la langue sacrée - et sacrifier aussi ce sacrifice

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En déconstruisant l'héritage, nous habitons le paradoxe d'une responsabilité sacrificielle : risquer une expérience de la langue qui fasse revenir les forces qu'elle refoule

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La sécularisation traduit la peur de répondre à l'appel d'une langue sacrée, l'effroi devant cette folie d'un Dieu qui, sans rien dire ou disant "Je suis rien", sortirait de son silence

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Une loi au-dessus des lois (Ananké), produite par aucun désir, rend possible le fantasme d'une autre langue intouchable, irréductible, introuvable : l'intact de l'intact

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"A propos de notre langue, une confession" (lettre écrite par Gershom Scholem, en hommage à Franz Rosenzweig, pour son 40è anniversaire, le 26 décembre 1926)

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En sécularisant la langue sacrée, les sionistes ont ouvert un abîme sans fond au-dessus duquel ils marchent comme des fous, sans voir le mal sans limite qui pourrait arriver

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Certains penseurs juifs, ashkénazes ou séfarades, se rejoignent dans leur rapport problématique à une langue maternelle dont ils se détachent, qui leur reste étrangère

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Le nazisme a montré que la langue pouvait devenir folle - et entraîner avec elle la loi et l'origine du sens

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[Une langue de la déconstruction serait comparable à un texte sacré - langue d'étude et de liturgie, insécularisable comme l'hébreu]

 


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