Selon Kant dans D'un ton grand seigneur adopté naguère en philosophie, la voix de la raison, qui donne accès à une connaissance scientifique, parle à chacun sans équivoque. C'est une "voix d'airain" qui résonne en tout homme, car tout homme a en lui l'idée du devoir. Elle ordonne de sacrifier ses pulsions, de résister aux séductions, de renoncer à ses désirs. Ne se donnant jamais à voir ni à toucher, en même temps intime et transcendante, elle ne décrit rien, ne dit rien de descriptible. Du haut de sa majesté, elle prescrit, elle dicte (dictamen rationis), elle frappe, et l'homme tremble. Sublime, elle soulève les plus grandes questions, le plus grand étonnement, sans rien promettre en retour. Il n'y a pas de pathos en elle, elle commande sans rien échanger, elle demande sans assurer aucune compensation.

Cette axiomatique kantienne s'accorde à la structure auto-affective du "s'entendre-parler", c'est-à-dire, selon la thèse que Derrida défend depuis ses premiers écrits, à l'essence de la voix :

a. Toujours audible, auditive, autonome, la voix de la raison fonde et légitime un savoir-vivre, une sagesse réglée sur la science. Comme la loi morale, elle s'entend au plus proche, dans le temps de la parole.

b. Comme la voix, qui meurt dans le temps même où elle s'entend, la raison est eschatologique.

c. La voix de la raison selon Kant s'oppose à celle que d'autres entendent, une voix tout autre, ces usurpateurs, ces mystagogues qui se disent en rapport intuitif avec un mystère, un secret qui ne se donnerait pas comme tel (dans la transparence), mais devrait être déchiffré. Il faut récuser ou ridiculiser cette autre voix, qui s'entend dans le texte qui domine l'apocalyptique occidentale, l'Apocalypse de Jean.

Buste en marbre d'Immanuel Kant, sculpté par Emanuel Bardou en 1798.