Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
"Glas", texte en double colonne                     "Glas", texte en double colonne
Sources (*) : Derrida, texte, hors - texte               Derrida, texte, hors - texte
Pierre Delain - "Croisements", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 2 septembre 2015

[On ne peut lire "Glas" qu'en multipliant les renvois : au même livre et à d'autres, au même signataire et à d'autres, au hors-texte indissociable du texte]

   
   
   
                 
                       

Glas a été publié en tant que livre en 1974. Il est pour partie (sur la colonne de gauche), issu d'un séminaire prononcé en 1971-72, intitulé "La famille de Hegel".

1. Par sa structure, son organisation, ses thèmes, son vocabulaire, il est indissociable d'un ensemble de textes dont la première rédaction se situe entre 1968 et 1979. En termes de chronologie, il est au centre de cette période.

Parmi ces textes, on peut citer La psychanalyse dans le texte (séminaire de 1971), La Dissémination, livre publié en 1972 avec des textes datés de 1968-1972, plus particulièrement La double séance, 1969), Privilèges, le texte de 1974 qui sert de préface à Du droit à la philosophie, publié en 1990 mais issu d'un séminaire tenu au GREPH en 1974-75, le séminaire tenu à l'ENS sous le titre La vie la mort en 1975, dont une partie a été publiée en 1980 dans le livre La Carte postale sous le titre Spéculer sur "Freud", La Vérité en peinture, livre publié en 1978 où figurent des textes datés de 1972 à 1978, plus particulièrement Parergon, texte de 1974 (la même date que Glas), et aussi Eperons, les styles de Nietzsche, nouvelle version parue en 1978 d'une conférence tenue pour la première fois en 1972. Un peu plus tard, on peut aussi signaler D'un ton apocalyptique adopté naguère en philosophie, seconde version d'une conférience prononcée en 1980, dans laquelle Derrida signale que le mot "Apocalypse" traduit le mot hébreu "gala", une racine largement déployée dans Glas.

2. On peut aussi l'analyser comme une "mise en oeuvre" ou "en corps" des deux salves antérieures de grands textes derridiens : 1967 (La voix et le phénomène, De la grammatologie, L'écriture et la différance) et 1972 (La Dissémination, Marges, Positions). Tout se passe comme si Derrida avait ressenti la nécessité d'une scansion, d'un arrêt; comme si avec ce texte extraordinaire, ce texte de rupture, il reprenait son souffle. Les textes qui suivront (La Vérité en peinture 1978, La Carte postale, 1980) prolongeront cet arrêt, et la prochaine salve se situe au milieu des années 1980 avec Otobiographies (1984), Préjugés, Devant la loi (1985) ou Schibboleth, Pour Paul Celan (1986). "Mise en oeuvre" signifie un autre rapport au texte et à la philosophie, un rapport plus performatif qui brouille les limites.

3. On ne peut pas non plus dissocier Glas des débats de l'époque, plus particulièrement dans la revue Tel Quel (1960-1982) où ont été publiés certains des articles cités. Parmi les auteurs impliqués dans ces discussions, qui participaient à cette revue, on peut citer : Philippe Sollers, Jean-Edern Hallier, Jean-René Huguenin, Renaud Matignon, Jean Ricardou, Jean Thibaudeau, Michel Deguy, Marcelin Pleynet, Denis Roche, Jean-Louis Baudry, Jean-Pierre Faye, Jacqueline Risset, Julia Kristeva, Roland Barthes, Michel Foucault, Bernard-Henri Lévy, Maurice Roche, Tzvetan Todorov, Francis Ponge, Umberto Eco, Gérard Genette, Pierre Boulez, Jean-Luc Godard, Philippe Muray ou Pierre Guyotat. Rappelons que le groupe Tel Quel a fini par éclater, en raison notamment d'un voyage en Chine qui se situe justement en 1974. On ne peut pas dissocier la dimension politique de ces discussion de leur dimension théorique.

Ces renvois ne sont pas limités à la revue Tel Quel. Rappelons aussi, par exemple, que l'Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari est paru en 1972. Glas est aussi un autre anti-Oedipe fondé sur d'autres prémisses.

4. On ne peut pas isoler Glas de l'émergence des motifs autobiographiques dans l'oeuvre derridienne. Ces motifs y ont une place significative, et doivent être rapprochés d'une part d'une série de carnets rédigés par Derrida entre 1976 et 1984 sous le titre de Livre d'Elie, ou Livre de la circoncision. Ces carnets jamais publiés mais partiellement cités dans Circonfession en 1991 prennent d'une certaine façon la suite de Glas et imprègnent aussi d'autres textes, dont Mémoires d'aveugle, rédigé dans la même période.

5. On trouve dans ce texte de nombreux mots rares, syntagmes ou néologismes, qu'on a tendance à interpréter comme des jeux de mots ou de simples inventions verbales. Exemples : stricture, double bande, Klang, plérôme, obséquence, anthérection, mors, penêtre, repli, colosse, texture, colonne, etc... La prolifération de ces termes conduit souvent à considérer ce texte comme illisible. Pourtant ces mots peuvent aussi être analysés comme des concepts ou quasi-concepts. Pour le montrer, il faut mobiliser l'ensemble de l'oeuvre derridienne, de 1963 à 2004. Exemple : le mot "colonne" se retrouve dans : La Dissémination (1972), Positions (1972), Fors (1976), La Vérité en peinture (1978), D'un ton apocalyptique adopté naguère en philosophie (1983), Forcener le subjectile (1986), Psyché I (1987), Mémoires d'aveugle (1990) et Circonfession (1991) (liste non limitative). Les colonnes de Glas n'ont rien d'un simple décor.

6. Glas est aussi une confrontation avec les grands textes classiques de la philosophie. Si l'on considére seulement le cas de Hegel, il renvoie à L'Esprit du judaïsme, et L'esprit du christianisme et son destin (1797-99), la Phénoménologie de l'esprit (1807), Les Principes de la philosophie du droit (1820), Le cours d'Esthétique (1818-1829). On ne peut restituer les critiques que Derrida adresse au concept de famille qu'en renvoyant au moins à ces quatre textes.

7. Derrida se plaignait parfois en disant que Glas n'avait pas été lu. Cela dépend de ce qu'on entend par lecture, car il existe quand même un nombre appréciable de textes qui analysent et commentent Glas. Citons parmi les auteurs : Pierre Madaule, Sarah Kofman, Geoffroy Bennington, Charles Ramond, John Leavy (Glassary), et beaucoup d'autres. C'est ce qu'on appelle la littérature secondaire. Le texte est indissociable de cette littérature.

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En somme, Glas est une sorte de plaque tournante qui invite à lire toujours d'autres textes.

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Je ferai deux remarques et trois propositions :

a. Deux remarques.

- d'un côté, les deux colonnes ne peuvent pas être lues simultanément, c'est une impossibilité pratique, comparable à ce que Derrida appelle l'hypothèse de la vue dans Mémoires d'aveugle : pour lire une colonne, il faut se retirer de l'autre, il faut s'aveugler de l'autre. Chaque lecture est un aveuglement. Mais d'un autre côté, si on ne lisait les colonnes qu'une par une, UNE colonne + UNE colonne, on perdrait un aspect essentiel de la pensée derridienne, le dédoublement. Lui-même nous empêche de le faire en brisant les colonnes par des encarts, des sortes de sous-colonnes irrégulières. Mais le risque subsiste. On ne peut pas éviter de lire linéairement, c'est-à-dire de trahir le dédoublement. On ne peut donc pas lire Glas sans expérimenter l'entre-deux. Les colonnes sont réunies par une sorte d'hymen, à la fois union et membrane à déchirer - ce qui situe la question de la différence sexuelle au coeur de la lecture.

- Comme le dit Pierre Madaule dans son intervention à la Décade sur les Fins de l'homme, "Il y a une possibilité (...), c'est que le lecteur soit appelé à lire lui-même en lisant le texte de Derrida. Cela peut arriver brusquement sur un mot, sur une phrase. Ce que le lecteur a de plus personnel, l'énigme de ce qui lui est propre et qu'il ne sait pas, son for crypté, enfermé en lui, son nom même, tout à coup il les lira. En ce sens, le texte de Derrida serait susceptible, peut-être, d'inverser le rapport de lecture, de lire le lecteur et d'inscrire cette lecture dans ses colonnes ou plutôt entre ses colonnes - et donc de produire ce lecteur" (p223). Non seulement la lecture de Glas ne peut être que singulière, mais en outre elle produit cette singularité. En transformant le texte de l'autre, elle écrit, pour chaque lecteur, un autre nom.

 

b. Trois propositions.

- lire ensemble, mot à mot, à partir du début, en se laissant aller à toute lecture fractale. Par exemple, si on considère les trois premières phrases de la colonne de gauche, il faut se référer à ce que Jacques Derrida dit dans Points de suspension p19 : "En 1967, je crois, nous y avions arrimé tout un séminaire, et la "première ligne" de Glas s'y divise ou recoupe aussi". Cela renvoie donc au séminaire de 1967. Or, si j'examine la liste des cours et séminaires de Jacques Derrida, il apparaît que c'est le seul séminaire dont le thème n'est pas précisé.... Si on considère la première phrase de la colonne de droite, elle reprend le titre d'un texte de Jean Genet "Ce qui est resté d'un rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes", qu'il faudrait lire avant toute autre lecture, et en s'appuyant sur ce que Derrida en dit lui-même dans Glas (pp52-53).. Ce texte est paru en 1967 dans Tel Quel, la même date que le séminaire au thème inconnu. D'ailleurs, les deux phrases ne commencent pas par le commencement, elles arrivent au milieu.

- analyser le texte en privilégiant certains concepts ou certaines thématiques. Exemple : dans Points de suspension, Derrida explique qu'il faut réexaminer le concept de stricture à partir du cramponnement d'Imre Hermann. Or ce mot de stricture traverse tout le texte, avant de se raréfier dans les textes de Derrida après 1978. On peut lire Glas en après-coup, à partir de ce destin du mot stricture, ou d'autres mots.

Autre exemple : la signature. C'est un thème insistant dès les premières pages du texte, explicitement et implicitement. Du côté de Hegel, le thème de la famille est aussi celui de la signature cachée, hors savoir absolu (p7a); tandis que du côté de Genet, la signature est aporétique, à la fois monumentalisée et chute (p11b).

Autre exemple : la Sittlichkeit. On peut lire Glas comme un traité d'éthique.

- s'inscrire dans des controverses que Glas a pu déclencher. Pour prendre un exemple, on peut partir de l'analyse faite par Sarah Kofman dans son intervention de la Décade de 1980, Les fins de l'homme. Elle explique qu'on peut lire Glas en partant du fétichisme généralisé, tel que Derrida l'a proposé à partir de l'analyse freudienne du fétichisme (cf Glas p232s...). Mais Derrida lui-même, dans le débat qui a suivi, a répondu qu'il n'y avait pas de clé à son texte - en tous cas pas celle-ci. Il n'y ni clé transcendantale, ni possibilité de surplomb du texte derridien - ce qui n'interdit à personne de lire ce texte à partir d'un certain point de vue.

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Mais ce ne sont que des pistes. Au bout du compte, chaque lecture de Glas est unique, irremplaçable. Ce texte nous force chaque fois à une expérience insubstituable. C'est son côté performatif.

 

 

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Propositions

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Glas (Texte de Jacques Derrida, présenté en double colonne, publié en 1974)

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["Glas" est l'oeuvre qui laisse venir, entre les colonnes, cette force secrète, irrelevable, qui exclut, écoeure, détruit, met à mort, indispose et transforme]

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[Dans l'oeuvre titrée "Glas", pour justifier le titre, "il faut" que le nom se perde, que le texte fasse son deuil de la signature]

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["Glas" peut être lu comme l'analyse interminable d'un vomissement, d'un écoeurement, d'une auto-affection qui me fait écrire : "Je m'éc."]

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[Dans "Glas", c'est la stricture qui est mise en oeuvre, quoiqu'insaisissable comme telle]

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[Dans les deux portées des colonnes de Glas, le savoir absolu (Sa) et l'Immaculée Conception (IC) se représentent l'un l'autre]

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[Dans "Glas", Jacques Derrida prend au mot ce que Hegel reproche au judaïsme : il n'est pas de relève possible au "rien" invisible, innommable, au "sans contenu" des Juifs]

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Par échange infini entre deux colonnes qui s'entrelacent, s'auto-affectent, les significations se multiplient, les contraires s'équivalent, jusqu'à la sépulture des noms propres

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Nous baignons dans des chiasmes et des chiasmes de chiasmes - entre dessin et écriture, texte et graphie

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Si l'oeuvre tient ensemble, c'est comme une double échelle qui reste disjointe

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Il s'agit pour Derrida de montrer que, pour lui aussi, l'oeuvre est le glas du nom propre : elle est le lieu où le nom résonne, se dissémine, s'encrypte et se met au tombeau

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Jacques Derrida déclare que, dans Glas, son nom, son corps, son corpus et son seing sont mis en pièces

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Dans Glas, Derrida focalise son analyse de Genet sur la syllabe GL, GAL : syllabe matricielle autour de laquelle résonne la musique du texte

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Le son "GL" - ce resserrement de la gorge, cette stricture - peut être considéré comme le texte même de l'affectivité

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Dans la "fleur" de Genet - qui, d'un coup de glas, ne signifie plus rien -, la déconstruction pratique de l'effet transcendantal est à l'oeuvre

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Avec l'écriture colossale de "Glas"; il y va du glas de la signification, du sens et du signifiant

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Ce qui se passe dans "Glas", c'est que le texte se met à produire son propre langage, qui émerge comme une mutation monstrueuse, sans tradition ni précédent normatif

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"Glas" peut être considéré comme une méditation sur le "reste", cet autre nom de l'écriture, ce quasi-concept d'une ontologie paradoxale et indécidable

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La déconstruction d'un texte littéraire n'est pas une traduction, mais un geste qui laisse résonner, sonner comme un glas le texte de l'auteur, en s'effaçant devant lui

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La tâche du commentateur-déconstructeur est de laisser intact le texte qu'il commente, tout en l'envahissant, l'infectant, le parasitant, le co-signant

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Ce qui est resté d'un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes (Jean Genet, 1967, réédité en 2013) [Rembrandt]

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Dessin d'après Glas, rebaptisé "Ich" par Jacques Derrida, divisé au moins trois fois par une voix triplement hétérogène

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La peinture est noyée dans le texte, c'est un roc muet dans un océan de discours

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