Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, James Joyce                     Derrida, James Joyce
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 25 avril 2010 L'oeuvre, et le paradoxe du "oui"

[Derrida, l'oeuvre de James Joyce]

L'oeuvre, et le paradoxe du "oui"
   
   
   
                 
                       

1. L'oeuvre de Joyce, une des sources de la pensée derridienne.

Derrida n'a publié son premier texte sur Joyce qu'en 1984. Dans cette transcription d'un discours improvisé en 1982, il précise que, pour lui, "même dans les choses de l'académie, un fantôme de Joyce est à l'abordage" ("Deux mots pour Joyce", in Ulysse gramophone, p27). Citant l'Introduction à l'Origine de la géométrie de Husserl (1961, pp104s), il indique que le second paradigme qui s'oppose à celui de Husserl (une "lisibilité qui tend à l'univoque"), n'est autre, dès cette époque, que le paradigme joycien (une "condensation équivoque de plusieurs langues"). Plus tard, la Pharmacie de Platon (in La Dissémination, 1972, p109, note 17) peut être présentée comme une lecture de Finnegans Wake - y compris le détail de la scène du pharmakos et les diverses fonctions du dieu Thot. On trouve d'autres allusions à l'oeuvre joycienne dans Glas (1974, p47), Scribble (1977) et la Carte postale (1977-79). On peut donc dire que la publication de Ulysse gramophone, Ouï-dire de Joyce (en 1987, sur la base d'une conférence prononcée en 1984) vient, en quelque sorte, réitérer ou re-marquer des citations ou des renvois antérieurs de l'auteur irlandais.

Cela laisse ouverte l'hypothèse selon laquelle l'oeuvre de Joyce serait, pour Derrida, l'oeuvre par excellence, celle à partir de laquelle le concept d'oeuvre pourrait s'écrire.

 

2. Paradoxe de l'oeuvre, paradoxe du "oui".

Dans Ulysse gramophone, qui est aussi un essai sur le "oui" ou le concept de l'acquiescement, Jacques Derrida développe ce qu'il appelle un "paradoxe du oui" (p98) dont on peut dire, sans en changer les termes, qu'il est aussi un "paradoxe de l'oeuvre".

a. D'un côté, l'oeuvre de James Joyce est une formidable machine d'écriture, un corpus où tous les discours, toutes les langues, tous les savoirs se déploient, se combinent et se recombinent. Renvoyant aux technosciences et à la mécanisation d'aujourd'hui (la gramophonisation), elle est conçue pour faire travailler les universitaires et les experts pendant des siècles. Cet appel au oui peut aussi être entendu comme une machine de production et de reproduction, une réponse mécanique, servile, un appel aux experts pour qu'ils "expliquent" l'oeuvre par un savoir neutre, univoque.

b. D'un autre côté, sa singularité, sa ruse, ce qui fait jubiler et triompher le signataire, c'est que tout concourt à rendre le déchiffrement impossible. L'oeuvre laisse un reste immaîtrisable, elle déclenche un acquiescement ambigu, un "oui" plus vieux que le savoir. Ecrite dans un mélange de langues hétérogènes, incompréhensible, babélienne, elle entretient la confusion, l'intraduisibilité, ce qui ne l'empêche pas d'inviter à un effort de traduction infini. Le lecteur est marqué, endetté, débordé, mais aussi transformé (qu'il réussisse ou non à lire, et la plupart du temps, il n'y réussit pas). Il attend du livre une voix extérieure, prophétique. L'oeuvre est comme un coup de téléphone. Elle dit à l'autre : "Allô, je suis là, je t'écoute". Par cet appel singulier, toujours unique, elle ménage, dès le départ, l'effraction nécessaire à la venue de l'autre, au "oui" de l'autre, à l'invention d'une contresignature toute autre.

Des deux côtés, c'est un oui qui est à l'oeuvre : soit le "oui" répétitif, académique, encyclopédique, le "oui" programmable des experts qui font l'épreuve de leur érudition et de leur précision méthodologique; soit un autre "oui", celui qui, par un texte qui joue du non sens et de l'équivoque, prolonge et confirme le "oui originel". A toute oeuvre répondent ces deux façons de dire "oui".

 

3. Le nom de Dieu : un oui-rire.

Dans sa lecture de l'oeuvre joycienne, Derrida met en relation plusieurs termes entre lesquels on saisit mal, dans une première lecture, le lien : le "oui", le rire, la signature / contresignature, le nom de Dieu, la circoncision, le prophète Elie. Comment ces termes s'articulent-ils entre eux? Et comment s'articulent-ils à l'oeuvre de Joyce? Avant d'analyser cette question plus en détail (ici), on peut proposer un schéma général.

Comment acquiescer à l'oeuvre de Joyce? Les deux modalités du "oui", telles qu'elles sont présentées ci-dessus, y sont opérationnelles, mais elles ne suffisent pas. Joyce invite le lecteur à une alliance singulière, au-delà peut-être de toute alliance (si l'alliance est toujours entchée de souveraineté ou de maîtrise subjective) qu'on peut nommer circoncision de l'oeuvre - bien que ce syntagme-là ne soit pas utilisé par Jacques Derrida lui-même. Ce qui fait événement dans cette oeuvre, c'est qu'elle est inaudible, imprononçable, irrésumable. Elle se met, dit Derrida, à la place du tétragramme divin [le Yhvh biblique, qu'il est interdit et impossible de proférer]. En signant cela, Joyce, d'un seul geste, signe et contresigne le nom de Dieu. Il déclare un commencement (un acte d'une radicale nouveauté) qu'il déconstruit aussitôt. Si l'oeuvre est infinie, insaisissable, l'alliance qu'elle noue avec le lecteur ne peut être que dissymétrique.

Pour lire, il faut prendre ses distances avec ce qu'on lit, dans un grand éclat de rire. Cette association étrange, Derrida la nomme oui-rire. Le rire vient entamer l'ambition totalisante du livre, comme la circoncision vient soustraire au corps une petite peau sanglante. Dans les deux cas, cela ne peut pas se faire sans affect. Il y a de la jouissance, et aussi des pleurs; de la jubilation, et aussi du désespoir.

Dans ce processus, Jacques Derrida n'est pas neutre. Il tient à contresigner ce rire (ce qu'il a fait depuis ses premiers ouvrages, en 1961, comme il l'explique). Mais ce n'est pas avec son nom d'auteur qu'il signe (ce "Derrida" dont il fait remarquer qu'il a deux "r", comme "rire"), mais de celui du prophète Elie - qui n'est autre que son second prénom, celui qu'il a reçu, précisément, le jour de sa circoncision. La voix du prophète Elie est celle qui est toujours attendue, sans qu'elle ne quitte son extériorité; celle pour laquelle on prépare à l'avance une chaise, mais qui reste imprévisible, bouleversante.

 

 

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Propositions

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Il faut bien, au commencement, quelque coup de téléphone : "Allô, j'écoute, je suis là, présent, prêt à parler et à répondre" - comme dans le "Shema Israel"

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Par ses mots écrits en plusieurs langues, James Joyce joue de la lettre inaudible comme du nom de Dieu : il déclare et déconstruit le commencement (Yahwé/he war)

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Une oeuvre fait oeuvre par un don qui vous change de part en part, tout en faisant oublier le donné, le donateur et même l'acte du don

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La signature requiert un "oui" plus vieux que le savoir, un oui qui, derrière chaque mot et même sans mot, confirme le gage d'une marque laissée

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L'oeuvre joycienne est une machine d'écriture dans laquelle le lecteur est d'avance inscrit; il ne peut la lire qu'à s'aventurer hors d'elle, à se projeter ailleurs à partir d'elle

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James Joyce a tout fait pour que des experts travaillent pendant des siècles sur son nom; mais, comme le Dieu de Babel, il en a déconstruit par avance la légitimité

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L'université repose sur un concept de compétence capable de traduire sans reste un corpus objectif - un modèle que tout nouvel événement, s'il est intraduisible, vient ruiner

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Paradoxe du "oui" : il lance une machine de production et de reproduction dont il ruine le modèle

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L'événement d'écriture de Joyce, c'est que la marque fait loi : son contenu essentiel est la lettre inaudible, imprononçable, intraduisible

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Le Joyce de "Finnegans Wake" est intraduisible; mais il appelle la traduction, comme l'interdit de l'image appelle l'image

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La signature de Joyce invite les lecteurs et experts à acquiescer à la circoncision de l'oeuvre, à l'alliance du "oui-rire"

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James Joyce tend à déployer/recombiner la totalité virtuelle des expériences et des cultures; mais cette tentative laisse un reste, un pathos supplémentaire : le rire

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Dans l'Ulysse de Joyce, ce qui fait rire est l'ouverture du cercle qui renvoie de soi à soi : le "oui" affirmé/appelé implique un autre "oui" au-delà du "oui", un "oui-rire"

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L'oeuvre est un événement abandonné, une signature perdue qui ménage l'effraction nécessaire à la venue de l'autre

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Babel, c'est à la fois le nom propre de l'unicité (une langue), et un nom commun semant la confusion (plus d'une langue)

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La confusion babélienne se joue entre la parole et l'écriture : la différence phonétique s'entend par la voix, mais la graphie ou la lettre passent l'entendement

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En signant du nom du prophète Elie, Jacques Derrida rit tout bas de la signature, il contresigne par un "oui-rire" le fou rire de l'oeuvre joycienne

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Tous les réseaux de communication et de traduction, gramophoniques ou téléphoniques, attendent l'arrivée du prophète Elie : la promesse d'une voix extérieure

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Ce qui fait oeuvre chez Joyce, c'est qu'il a signé et contresigné le nom de Dieu

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