Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
L'oeuvre, et le paradoxe du "oui"                     L'oeuvre, et le paradoxe du "oui"
Sources (*) :              
Pierre Delain - "Pour une œuvrance à venir", Ed : Guilgal, 2011-2017, Page créée le 22 mars 2015

[Il faut mettre le "oui" en oeuvre, avec ses paradoxes et la possibilité qu'en le contresignant, un tout autre "oui", un oui-rire, lui réponde et le ruine]

   
   
   
                 
                       

1. Les paradoxes du "oui".

Le paradoxe du oui repéré par Jacques Derrida dans l'oeuvre de Joyce se se retrouve, dit-il, chez tous les écrivains depuis Babel et Homère (Ulysse gramophone, Ouï-dire de Joyce p99). Mais Joyce en est l'exemple princeps, le paradigme. Le petit mot "oui" - ce mot grammaticalement énigmatique, comparable à aucun autre mot - apparaît, directement ou indirectement, des centaines de fois dans Ulysse. C'est l'indice que la question de la croyance, de l'adresse à l'autre, est particulièrement engagée par ce texte, quoique de manière paradoxale.

a. D'un côté, tout en disant "oui" à son oeuvre par sa signature, Joyce appelle le "oui" de l'autre, il implore sa réponse, sa contresignature. C'est un engagement qui redouble le "oui", répond à un "oui" par un autre "oui".

"Il faut écrire, il faut signer, il faut faire arriver de nouveaux événements aux marques intraduisibles - et c'est l'appel éperdu, la détresse d'une signature qui demande oui à l'autre, l'injonction suppliante d'une contresignature" (Derrida, Ulysse gramophone, p99).

b. Mais d'un autre côté, la même signature ruine ce modèle. L'oeuvre de Joyce est une formidable machine de production et de reproduction où tout semble avoir été prévu à l'avance, sans aucune possibilité d'invention originale, réduisant le lecteur à la position d'une calculatrice interprétative dont toutes les interventions auraient déjà été anticipées, encadrées.

"La singulière nouveauté de tout autre oui, de toute autre signature, se trouve déjà programmophonée dans le corpus joycien" (Ulysse gramophone, pp99-100).

Ce paradoxe n'est pas seulement virtuel. Il donne lieu à différentes modalités du "oui" (repérables dans l'oeuvre, mais qui ne sont pas seulement littéraires) :

- le oui-modèle. C'est celui qui peut être répété, réitéré, notamment par les moyens de la techno-science moderne. Dans la "gramophonisation" d'aujourd'hui (pour employer le terme derridien qui désigne à la fois les médias, les technologies, les formes d'écriture et d'écoute), il redouble mécaniquement ou parodiquement l'assentiment originel (le "oui" primordial). Revenant sans cesse tel quel, ce "oui" ne s'appuie même pas sur un "je", il peut être reproduit comme graphème, comme phonème.

- le oui-singulier, celui qui acquiesce en réponse à l'autre, comme engagement, alliance ou signature. Il est archivé, gardé, mais aussi parasité par son double mimétique. Ce "oui" du secret s'impose à nous, parfois inconditionnellement. Même rejeté, exclu, encrypté, il continue à nous hanter.

 

2. Le oui-rire, ce "oui" tout autre.

Aux deux "oui" du paradoxe peuvent s'ajouter un autre "oui", intempestif, que Derrida nomme le "oui-rire". La tentative de déployer ou de recombiner la totalité virtuelle des expériences et des cultures laisse un reste inéliminable, un pathos qui hante son texte. Cette restance traverse toutes les strates de l'écriture. Il vient, l'homme qui rit, dit Joyce, et cet homme rit du livre (Ulysse) et de tous ceux qui voudront l'interpréter. Ce rire a toutes les dimensions, toutes les qualités : rabelaisien, satirique, ironique, etc. Tout-puissant, triomphant, jubilateur, il ne commémore pourtant pas le succès, mais l'échec. Joyce et ses interprètes ne peuvent qu'échouer. Ni l'oeuvre ni les commentaires n'épuiseront jamais le savoir disponible. Plus Joyce prend son oeuvre au sérieux, plus son ambition encyclopédique s'élargit, plus il multiplie les langues, plus il en rit.

Plus vieux que le savoir, ce rire serait, selon Derrida la signature de Joyce. Apparenté au oui primordial, il vient de très loin, d'avant même le texte. En ne signant pas par un nom mais par la marque du rire, par le don du rire, Joyce dit "oui" à l'autre. Il prend alors tous les risques, au-delà même de ce "oui". Quand s'ouvre la circumnavigation d'Ulysse, l'envoi se disperse en une multiplicité d'envois, chacun singulier.

 

3. Le "oui" derridien, son rire.

Dans toute réponse, même modeste, même négative, il y a un "oui". Me voici, dit le répondant, je me présente. Sans cette présentation préalable, aucune adresse à l'autre ne serait possible. Avant de répondre de soi, de son "quant-à-soi", avant de répondre de ce qu'on est devant une instance quelconque, une institution ou devant un tiers, il faut s'être adressé à l'autre, à lui. Cet acquiescement est l'acte le plus originel, le plus fondamental, le plus inconditionnel. A chaque fois que je m'adresse à l'autre, directement ou indirectement, par une parole, un texte ou une oeuvre, il est réitéré. En disant "oui", j'engage mon corps, ma sensibilité, mes affects. Je ne me présente pas seulement à l'autre dans l'abstraction du langage, mais dans ma personne, y compris le plus ineffaçable de ma personne.

Dans ce "paradoxe du oui", Derrida semble expliciter la contradiction dans laquelle il se trouve lui-même. Il faut écrire, dit-il, il faut signer, il faut faire arriver de nouveaux événements, et en outre Il faut appeler le oui de l'autre. Pourquoi le faut-il? On ne le saura pas, mais ce "il faut" est inconditionnel, pour celui qui signe "Jacques Derrida" comme pour les autres oeuvrants. Cette ambition même, cet appel au "oui", oblige à produire l'oeuvre la plus rigoureuse possible, la plus inclusive. Elle tend à produire ses experts, ses commentateurs, et donc à produire du même, à exclure l'autre "oui". Tournant autour de l'oeuvre-Joyce ou plus exactement de l'événement-Joyce (p20), Derrida ne peut faire autrement que de parler de lui-même, comme il le dit au début du livre (p9). Et nous-mêmes, lecteurs de Derrida, ne pouvons faire autrement que de nous trouver dans la position des "spécialistes" qui étudient indéfiniment le corpus (joycien ou derridien) - une position qu'il s'agira de perdre, singulièrement, dans un grand rire.

 

4. Le prophète et le circoncis.

Pour s'impliquer, lui, son oeuvre, son nom et sa signature, dans ce paradoxe, Derrida annonce qu'il n'écrit pas sur Joyce, mais "en" Joyce (p97), ce qui implique, entre leurs oeuvres, une limite indéterminée, voire des marges et des problématiques partagées. Par exemple le nom Elie (celui du prophète), orthographié aussi HELY chez Joyce, qui est l'un des prénoms de Jacques Derrida, arrive dans les deux oeuvres comme voix extérieure (prophétique, eschatologique), à la fois attendue et imprévisible.

Ce oui-rire, c'est le rire de Derrida qui, dans le temps même où il signe du nom d'Elie, reprend la thématique de la circoncision. Comme il l'explique dans Circonfession, quand il écrit, il est à la fois le circoncis, le circonciseur et celui qui témoigne de la circoncision (Elie), il est à la fois, lui-même, dans la chaise prophétique (le circoncis) et à côté de la chaise (le croyant), près d'elle, le meilleur des spécialistes, le plus grand des érudits, et celui qui disqualifie toute érudition. Ainsi Derrida atteste-t-il de la circoncision de l'oeuvre opérée par Joyce. De même que la circoncision entame le corps, le rire entame le texte. Dans les deux cas, c'est une nomination et une alliance : avec Dieu ou avec l'oeuvre.

 

 

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Propositions

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[Derrida, l'oeuvre de James Joyce]

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[La "gramophonisation" d'aujourd'hui est une parodie d'assentiment : dire "oui", automatiquement, à des voix enregistrées et reproduites comme vivantes]

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Un mot "gramophoné" est à la fois graphème et phonème : comme le YES anglais dans EYES ou le OUI français dans OUÏ-DIRE

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Paradoxe du "oui" : il lance une machine de production et de reproduction dont il ruine le modèle

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En disant "Oui", je m'engage et je signe, je réponds à l'interpellation d'un autre en lequel je crois

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Face à l'université moderne dont le projet terrifiant, intolérable, est d'archiver toute la culture, l'oeuvre implore un "oui" de l'autre, la nouveauté d'une contresignature

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Un "oui" primaire, incompréhensible et ineffaçable, marque avant la langue et dans la langue qu'il y a de l'adresse à l'autre

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Le mot "oui" a toujours la forme, le sens et la fonction d'une réponse; cette réponse a parfois, peut-être, la portée d'un engagement originaire et inconditionnel

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"Oui oui"; tout discours est entre deux "oui", celui qui s'adresse à l'autre pour lui demander de dire oui, et le oui d'un autre, déjà impliqué dans le premier "oui"

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"Oui" est la condition transcendantale de tout performatif, de toute écriture, promesse, serment, engagement, qui en appelle au "oui" de l'autre et s'envoie, à soi-même, un "oui"

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James Joyce tend à déployer/recombiner la totalité virtuelle des expériences et des cultures; mais cette tentative laisse un reste, un pathos supplémentaire : le rire

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La signature requiert un "oui" plus vieux que le savoir, un oui qui, derrière chaque mot et même sans mot, confirme le gage d'une marque laissée

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Dans l'Ulysse de Joyce, ce qui fait rire est l'ouverture du cercle qui renvoie de soi à soi : le "oui" affirmé/appelé implique un autre "oui" au-delà du "oui", un "oui-rire"

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La signature de Joyce invite les lecteurs et experts à acquiescer à la circoncision de l'oeuvre, à l'alliance du "oui-rire"

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Tous les réseaux de communication et de traduction, gramophoniques ou téléphoniques, attendent l'arrivée du prophète Elie : la promesse d'une voix extérieure

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En signant du nom du prophète Elie, Jacques Derrida rit tout bas de la signature, il contresigne par un "oui-rire" le fou rire de l'oeuvre joycienne

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Il y a deux "r" dans le nom de Derrida, comme dans "rire", et deux "d", comme dans "dédoubler"

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