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Soutine, artiste juif                     Soutine, artiste juif
Soutine peint ce qu'il ne dit pas               Soutine peint ce qu'il ne dit pas

 

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Marc Restellini, Panneau explicatif recopié dans une des salles de l'exposition sur Soutine présentée à la Pinacothèque de Paris en 2007-2008.

Rien dans l'art de Soutine ne se rapporte au judaïsme, et pourtant son art est qualifié d'art juif

   
   
   
                 
                       

TEXTE INTÉGRAL DU PANNEAU : Pourquoi l'art de Soutine est-il qualifié d'art juif alors que rien dans son oeuvre ne s'y rapporte? Que signifie l'expression "art juif" en ce début du 20ème siècle? Autrement dit, quel type d'art juif un juif est-il autorisé à produire? Autant de questions auxquelles le personnage de Soutine et l'oeuvre de celui-ci nous invitent à répondre.

Soutine, rappelons-le, fait partie d'une pléiade d'artistes d'origine juive venue de Russie ou d'autres pays d'Europe centrale soumis à l'hégémonie ou à l'influence russe pour s'installer à Paris et plus particulièrement à Montparnasse.

Une argumentation traditionnelle consiste à avancer l'argument que la religion juive consiste en un monothéisme strict, qui refuse toute idole, toute représentation du divin sous quelque forme que ce soit. Cette analyse serait confirmée par le fait que les Juifs ont peu produit en matière d'arts plastiques, en raison de ce monothéisme sans concession.

Aussi séduisant soit-il, ce raisonnement n'en est pas moins faux. Il n'y a en effet aucun rapport entre le refus de l'idolâtrie et l'absence d'artistes juifs dans le domaine des arts plastiques. Le talmud est clair. Il distingue sans ambiguité l'idolâtrie - avoda zara - de la recherche esthétique - noi. Il s'agit de deux notions distinctes.

Cependant Soutine reste probablement la figure la plus emblématique de cette interprétation. Toute la légende sur l'artiste repose en effet sur ce paradoxe qui est d'ailleurs au coeur de sa vie et de son oeuvre : après avoir subi les persécutions de ceux qui, dans sa Russie natale, lui affirmaient qu'il enfreignait la Loi en peignant et avoir choisi de quitter son pays pour Paris, Soutine se retrouve confronté à la critique française antisémite qui lui reproche de peindre mal et d'avoir un art inacceptable pour des raisons analogues. Apparaît ainsi une sainte alliance entre les juifs orthodoxes et les antisémites les plus virulents. A n'en pas douter, cette situation a perturbé l'artiste tout au long de sa vie, que ce soit dans son enfance puis face à la critique parisienne développant une théorie de névrose judaïque.

Le malaise de la critique vis-à-vis de Soutine cache une autre angoisse d'ordre politique. Il existe en effet à cette époque une volonté d'auto-détermination de la diaspora juive quie st certes un phénomène clandestin, mais que Soutine ne peut pas avoir ignoré. Son absence de sympathie affichée, voire d'activité au sein de ces actions nationalistes, signifie-t-elle qu'il les refusait? Difficile de le savoir, mais c'est assez probable. N'est-il pas intéressé par la politique, est-il en opposition à ces mouvements? Nous n'avons aucune réponse à ces questions. Une chose est sûre. Soutine ne se sent pas concerné par la question du judaïsme dans l'art. En se tenant à l'écart de tous les activismes politico-religieux de l'époque, il a clairement marqué son refus d'une appartenance à un mouvement lui offrant une telle identité. Bien au contraire, son art se matérialise uniquement par une iconographie qui fait référence aux artistes français tels Corot, Courbet, Cézanne ou encore à Rembrandt ou au classicisme européen. Par conséquent Soutine ne saurait être qualifié de peintre juif ni même judaïque.

REPONSE A MARC RESTELLINI.

Marc Restellini part d'un paradoxe. Pourquoi Soutine serait-il qualifié d'artiste juif, alors qu'il n'avait aucune pratique religieuse, aucune conviction nationaliste et qu'en outre rien, dans le contenu de ses oeuvres, ne semble se rapporter au judaïsme? Restellini prend ce rien à la lettre. Si rien dans l'oeuvre de Soutine ne se rapporte apparemment au judaïsme, c'est qu'il n'y a pas de rapport.

Pour lui répondre, je voudrais d'abord rappeler une phrase célèbre de Freud à propos de son propre judaïsme : Qu'est-ce qui est encore juif chez celui qui a renoncé à tout le patrimoine de ses pères? Beaucoup de choses, et probablement l'essentiel. Si l'on compare le cas de Soutine à celui de Freud, le point de vue de Marc Restellini reviendrait à soutenir la thèse suivante : Sigmund Freud était un psychologue autrichien qui n'avait rien à voir avec le judaïsme, car il n'avait pas de pratique religieuse et ne soutenait aucun mouvement nationaliste. Il est clair que dans le cas de Freud, cette thèse est insoutenable. D'abord Freud s'est largement exprimé sur le sujet, et s'est déclaré Juif sans ambiguité. Ensuite, des travaux innombrables prouvent sa filiation avec la pensée talmudique. Ce n'est pas un hasard s'il a commencé par interpréter les rêves, les lapsus et les blagues.

En ce qui concerne Soutine, qui n'a pas laissé d'écrits à ce sujet, est-elle défendable?

A vouloir trop prouver que le judaïsme de Soutine n'a aucun rapport avec sa peinture, Restellini tombe dans l'amalgame. Selon lui, les juifs orthodoxes et les antisémites virulents convergent. En quoi? Par leur condamnation de la peinture de Soutine. Que les motifs de cette condamnation soient radicalement divergents : entre ceux qui attaquent Soutine car il serait incapable de représenter "correctement" le monde (les antisémites) et ceux qui s'opposent par principe à toute représentation de ce qui est à l'image de Dieu (les rabbins), il y a pourtant un sérieux écart. Le reproche est exactement inverse! Si cet écart ne compte pas pour M. Restellini, c'est parce qu'il tient surtout à faire une démonstration politique. Si Soutine est attaqué sur sa droite et sur sa gauche, c'est qu'il est au milieu, donc il est des nôtres. Voilà ce qu'il faut à présent démontrer : que Soutine est un artiste français, bien de chez nous, laïc de préférence, inspiré surtout par nos maîtres et accessoirement par quelques grands artistes voisins (Rembrandt) devenus des classiques. Rude tâche! Car Soutine n'entre dans aucune case, et certainement pas dans la case de l'art français.

En quoi Soutine fait-il référence aux artistes classiques? Si l'on en croit M. Restellini, c'est par son iconographie, c'est-à-dire ses motifs (exemple : il a emprunté le motif de la raie à Chardin et celui de la carcasse de boeuf à Rembrandt). Analyser une oeuvre par l'iconographie est une démarche quelque peu obsolète que la plupart des historiens d'art ont abandonnée depuis quelques décennies, et la manière dont Soutine traite picturalement la carcasse de boeuf ou la raie est visiblement éloignée de celle de Rembrandt ou de Chardin. Cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas été influencé, bien au contraire, mais ce qui le distingue d'eux est quand même plus impressionnant que ce qui l'en rapproche. Tout démontre chez lui un rapport quasiment fusionnel avec la viande. Il ne cherche pas à représenter un objet de la vie courante, il inscrit sur la toile un rapport au monde qui relève d'une participation, d'une sorte d'adhésion aux choses très étrangère à l'art français.

S'il est un point commun entre Cézanne et Soutine, c'est qu'ils font tous deux émerger les choses dans un geste presque mystique. La religiosité de Cézanne, bien connue de ses biographes, rejoint l'athéisme supposé de Soutine (supposé car, pour être honnête, on ignore tout de ses convictions religieuses). Pour eux deux, la peinture est un acte de création qui fait émerger les choses et touche en profondeur notre rapport au monde.

D'accord direz-vous, mais en quoi sa peinture est-elle juive? Voici quelques pistes :

- le monde de Soutine n'a pas d'assise. Il est flottant, instable, comme celui de Chagall. Les personnages ne semblent jamais complètement fixés au sol : c'est comme s'ils allaient s'envoler. Rien n'est immobile. Un souffle parcourt les rues du moindre village.

- en permanence, le monde est menacé par un chaos, une apocalypse. Il n'y a ni cadre, ni ligne droite, ni construction méthodique, ni bord, ni perspective, ni scène théatrale (un vécu qui ressemble plus à celui du hassid qu'à celui du paysan de la Beauce).

- indifférence complète à l'égard de la beauté des corps (difficile d'être à la fois grec et juif) et de la nature. Si l'alliance entre l'homme et l'univers est rompue, plus aucune loi ne s'applique.

- attirance pour tout ce qui est auditif : les oreilles dissymétriques, déformées, les hommes en prière qui emportent avec eux l'espace environnant, la force de l'invocation qui transfigure les mondes.

- les plaies ne se referment jamais. Elles restent ouvertes, comme Derrida le disait de la circoncision.

- les platanes ou d'autres arbres semblent s'enflammer tous seuls comme des buissons ardents.

- la couleur a une vie propre, émotionnelle, d'une façon qui peut être comparée à l'art de Rothko (s'il y a sur ce point une influence française, c'est celle des Fauves et de ses amis de l'Ecole de Paris plutôt que celle de Corot!).

Soutine était un exilé. Il s'est toujours vécu comme errant, étranger. S'il ne s'est pas occupé du sionisme, c'est parce qu'il ne voulait s'enfermer dans aucune doctrine ni communauté. Mais cela ne prouve ni qu'il ne se sentait pas juif (ce qui serait étrange pour un homme dont presque tous les amis étaient juifs, y compris d'ailleurs sa compagne qui, contrairement à ce que dit Restellini, n'était pas [seulement] allemande, mais [surtout] juive, elle aussi), ni que sa peinture n'ait pas été influencée par sa judéité. Bien entendu la police de Vichy ne s'y est pas trompée, car elle l'a pourchassé (quoiqu'en dise Restellini).

L'oeuvre de Soutine, qui a cherché à s'émanciper de son shtetl natal, démontre au contraire que l'obscure et incertaine expérience de l'héritage juif est inarrêtable : au moment même où disparaît l'art judaïque traditionnel lié au culte, apparaît un art d'essence juive, mais non lié à la religion.

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