Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

                     
                     
Le dessin d'Adami, voix muette                     Le dessin d'Adami, voix muette
             
Larissa Dentyar - "Penser par le dessin", Ed : Idixa, 2007, Page créée le 18 avril 2008

 

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Page créée par le scripteur le 25 novembre 2006.

[Dans la peinture de Valerio Adami, chaque scène est un moment de crise, une catastrophe, un événement critique de vocalité, de jouissance et d'extase]

   
   
   
                 
                       

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Jacques Derrida, s'adressant à Valerio Adami dans un entretien publié en 2000 dans Couleurs et mots (pp42-45), dit ceci :

""Crise" et "extase" sont les véritables leitmotive de notre entretien. Chaque scène est un moment de crise, et décrit l'imminence d'une tragédie, d'une catastrophe, d'un dénouement - une catharsis, peut-être. Un moment critique. Bref, en termes de dramaturgie ou d'histoire littéraire, ce qui précède un dénouement. Dans chaque scène, l'événement qui se crispe dans la narration est un événement critique. Le rapport de jouissance devant cette concentration, où cette crise trouve dans le dessin sa meilleure forme, c'est la jouissance, c'est l'extase. L'artiste atteint alors une sorte d'acmé, d'instant pointu, ponctuel, et la pointe du dessin tend vers ça. En grec, l'instant se dit "stigmé", c'est le point, la ponctualité du dessin, la ponctualité de l'instant qui est à la fois critique et extatique".

 

1. Une voix énigmatique, présente et absente.

Le grand'père de Valerio Adami a vécu les dernières années de sa vie cloîtré dans sa maison. Il s'exprimait exclusivement en latin et faisait croire qu'il était devenu sourd. En réalité, selon Valerio, il entendait très bien, mais il ne voulait ni parler ni entendre. L'enfant, qui devait faire des dessins pour se faire comprendre, est toujours resté fidèle à une conception du langage où le silence est soudain brisé par un trait. Cette anecdote, racontée dans le même recueil (Couleurs et mots, p9), contribue peut-être à expliquer pourquoi Derrida et Adami sont devenus amis, et pourquoi Valerio Adami est l'un des rares peintres dont Derrida ait analysé une oeuvre en détail, à l'occasion d'une exposition (texte de 1975 publié en 1978 dans La vérité en peinture, pp169-209).

Il faut toujours, dit Adami, commencer à dessiner la tête vide (p29) - un thème qu'on retrouve également chez Derrida. Comment dessine-t-il? C'est une voix qui l'appelle pour commencer, et aussi pour arrêter - voix énigmatique qui, imagine-t-il, l'appelait peut-être déjà dans le ventre de sa mère. Tout se passe comme si, en nous mettant en présence du silence, le dessin était troué par une brèche vocale. Ce qui lui manque (la voix) n'apparaît pas, mais tombe dans une sorte d'abîme dont il reste des traces, un trait. Ainsi, dans la violence de l'acte adamien, les voix sont-elles jetées dans le dessin. Ces voix qui trouent et déchirent l'image, Adami les arrange à la façon d'un compositeur, Et pourtant sa peinture reste sans voix, mystérieuse, presque mystique, ininterprétable. Affectée par une voix muette, elle es déstabilisée par la lettre.

 

2. Mouvement.

Adami a donné le nom de sinopie au mouvement qui le fait dessiner (mouvement qu'on peut rapprocher de la différance derridienne). Chez lui, comme chez Kokoschka ou Hodler (celui qu'il reconnaît comme son maître), ce mouvement est un mouvement de la main. Cette main, qui procure la plus grande jouissance et aussi le plus grand sérieux est celle qui dessine - et aussi qui est dessinée. A travers cette main qui commande, décide, puise inconsciemment dans sa mémoire et sa culture, arrête l'oeuvre, à travers cette main plus importante que le regard, qui fait de lui un artiste, c'est toute une musique, tout un rythme qui passe.

 

3. Jouissance, événement.

Mais revenons au texte de l'entretien dont un extrait a été donné au début de cette page. Deux mots ressortent : événement, jouissance. Le premier est courant chez Derrida, il renvoie à des thèmes connus et balisés de sa pensée, tandis que le second est plutôt rare. Il y a dans la jouissance un double mouvement. D'un côté, c'est un sentiment vécu au présent, accueilli dans la certitude d'une présence. Mais d'un autre côté, c'est un acte de foi suspendu au témoignage d'un autre. On peut toujours douter de son bonheur, de son plaisir. On dit la jouissance éphémère. Il y a de la douleur en elle. Or c'est ce syntagme, jouissance douloureuse, que Derrida utilise (p42) pour décrire le moment-clef, l'instant ponctuel ou le dessinateur réussit à la fois à conquérir l'espace, l'investir, le maîtriser, et à le délaisser, l'abandonner. Il y a une satisfaction à s'assurer d'une maîtrise, et aussi une satisfaction à lâcher l'oeuvre afin qu'elle devienne une oeuvre - signée et déposable dans une galerie ou un musée. La jouissance est double : c'est celle de l'investissement et aussi celle de la séparation. Il y a à la fois extase et crise.

Or, il en est ainsi des thèmes choisis par Valério Adami pour les événements de dessin racontés par ses tableaux, qui sont aussi des événements dans l'acte de création. L'artiste est tendu vers "un instant pointu, ponctuel" (p45), qui renvoie "au moins métonymiquement à un événement daté" (p29) [Il y a dans les oeuvres d'Adami une dimension de récit]. L'événement peut être public ou privé. Sur un théâtre, une scène, il est imminent. Quand la main du dessinateur s'arrête, c'est qu'il va se produire quelque chose de dramatique, une tragédie, une catastrophe. C'est alors qu'arrive la bonne forme (la jouissance du trait).

"Il y a donc ce double geste qui est une jouissance douloureuse. On investit et on occupe symboliquement l'espace, le mieux possible. Mais la bonne forme une fois trouvée, et la maîtrise maximale assurée, on signe et on coupe le cordon ombilical. Alors l'oeuvre en devient une et se passe du créateur. C'est une autre satisfaction, qui est douloureuse car c'est le moment du départ, de la séparation : l'oeuvre se sépare de son créateur" (p42).

 

4. Par-dessus le marché (titre d'un texte que Derrida a consacré à Adami).

Vers 1975, l'oeuvre d'Adami se transforme. Ses personnages disloqués, coupés par les lignes et les couleurs, frisent le sans-voix. Avec son graphisme troué par le texte, il semble spéculer sur la disjonction. D'autres types d'écriture habitent ses dessins, qui sont plus morts que vifs, dans un monde d'objets juxtaposés. Derrida parle de coup de musique ou d'éclat de parole.

A noter qu'Adami a dessiné et peint un portrait de Derrida quelques mois avant sa mort. Dans ce portrait, c'est-à-dire dans quelques couleurs et traits de dessin, il a réussi à concentrer toute l'oeuvre derridienne.

 

 

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Propositions

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Couleurs et mots, entretiens avec Rogers Lesgards, Vonick Morel, Jacques Derrida, Daniel Arasse, Paolo Fabbri (Valerio Adami, 2000) [CEM]

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Pour dessiner, il faut se vider de tout, se débarrasser physiquement de tout désir

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Adami fait appel, dans le dessin, à d'autres types d'écriture : littéraire, politique, historique

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La peinture de Valerio Adami est, comme le travail de Jacques Derrida, un texte

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La lettre, dans le dessin, fait événement : elle troue l'espace du tableau, l'articulation du discours et aussi le langage

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Les traces du dessin ne sont pas vocales, elles ne peuvent pas se dire

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Le rapport d'Adami au sans-voix est mystique : sa peinture est un instrument pour communiquer avec Dieu

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Jacques Derrida, allégorie du dessin

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Adami figure la brèche vocale dans l'image

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Les voix d'Adami déchirent l'image, mais y restent engluées

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Le chanteur est toujours en-deça de ce qu'il faudrait

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J'ai souvent le sentiment qu'une voix m'a appelé à dessiner

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Dans toute oeuvre, aussi autobiographique soit-elle, la voix reste enfermée

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A la place de la religion est venu le vide d'une voix-trou

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Chez Adami, une musique ou un rythme passe à travers la main dans le dessin même

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La main du dessinateur a pour fonction d'arrêter l'oeuvre : c'est elle qui fait de lui un artiste

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[En dessin comme en peinture, la transmission passe par la main]

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Pour dessiner, il faut tenir à l'écart la voix et la pensée

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Le compositeur compose avec les mains

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Il n'y a de vraie jouissance que dans le sérieux de la chose

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Peindre, c'est conjurer l'héritage d'une surdité qui vous isole du monde

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Le musicien jette à l'extérieur ce qui fait défaut dans sa bouche

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Par la force du trait, le disjoint fait oeuvre

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Jacques Derrida signe "Ich", l'homme hébraïque, mais comme un chiasme : inversé, disloqué, disséminé

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Le rôle de l'artiste est de représenter le tragique

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Chaque oeuvre d'Adami est une scène; le dessin s'arrête au moment où va se produire un événement, un drame

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Dans l'interview, rien ne distingue l'interviewé de l'intervieweur

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L'événement du Ich - ce "je" que, à travers Adami, Derrida expose comme un autre -, c'est que le sans-voix troue son écriture

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La peinture est noyée dans le texte, c'est un roc muet dans un océan de discours

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Dessin d'après Glas, rebaptisé "Ich" par Jacques Derrida, divisé au moins trois fois par une voix triplement hétérogène

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Si l'oeuvre tient ensemble, c'est comme une double échelle qui reste disjointe

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Nous baignons dans des chiasmes et des chiasmes de chiasmes - entre dessin et écriture, texte et graphie

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Crise du trait : vers 1975, le dessin devient extatique, mystique

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Dessiner, la gomme et les crayons (Valerio Adami, 2002) [Dessiner]

 


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