Dans le moment historique que nous vivons, l'expérience acquise est détruite. Selon Walter Benjamin (qui écrivait dans les années 30), c'est cela qui rend la vie insupportable. Ce diagnostic a été repris plus tard par d'autres penseurs, dont Guy Debord, Pier Paolo Pasolino ou Giorgio Agamben. Mais tandis que, pour Agamben, on ne peut faire face à cette destruction qu'en ouvrant un autre horizon, global et transcendantal, Benjamin évoque un processus dans lequel on peut encore attendre, ou espérer, des ressources inattendues, des exceptions qui pourraient entraîner des conséquences inouïes, des instants de bonheur. C'est ce qui se produit dans des moments de remémoration, quand des graines apparemment mortes montrent soudain qu'elles ont conservé jusqu'à aujourd'hui leur "pouvoir germinatif". Ce processus est celui de l'"image dialectique". Dans une demi-obscurité, des expériences se transmettent, des formes s'inventent ou réapparaissent comme des lucioles.

En réalité, la destruction dénoncée par Pasolini et Agamben reste inachevée. Ce qui se produit n'est pas une rédemption, mais des survivances, des images de pensée ou de désir, des mots, des expériences intimes, intérieures, des rêves, qui viennent organiser le pessimisme. Malgré tout, même depuis le fond de l'enfer, il peut y avoir une lueur pour autrui, des images qui peuvent être regardées comme des témoignages ou des prophéties.