Depuis toujours, les anciens ont apporté l'expérience aux plus jeunes - sous forme de proverbes, d'histoires ou de menaces. Dans la génération qui a vécu la guerre 1914-18, les choses ont changé. Les gens revenaient muets du champ de bataille, ils n'avaient pas d'expérience communicable, car dans cet univers, tout ce qui avait pu être acquis était dévalorisé. Le déploiement effroyable de la technique et de la destruction a engendré un chaos où se mêlent l'astrologie, le yoga, le spiritisme ou le méli-mélo des styles et des conceptions du monde. A quoi peut servir le patrimoine culturel dans ces conditions? On est confronté à une conception nouvelle de la barbarie.

Les artistes repoussent l'image traditionnelle du passé, ils se tournent vers le contemporain qui crie comme un nouveau-né. On tend à construire les immeubles en verre - un matériau dur et lisse, froid et sobre, sans aura, sur lequel rien n'a prise. Avec le Bauhaus et l'architecture moderne, on crée des espaces dans lesquels il est difficile de laisser des traces.

Les gens ne sont pas ignorants ni inexpérimentés, mais ils sont dégoûtés de la culture et de l'homme. Ils sont fatigués, et les prodiges techniques qui rendent l'existence confortable ne pèsent pas lourd. L'héritage de l'humanité a été dispersé. Devant la crise économique et la guerre montante [Benjamin écrit en 1933], ils s'apprêtent à survivre, s'il le faut, à la civilisation.